« Les médias audiovisuels tendent un miroir déformé aux Français, c’est bien fâcheux. » Ainsi se désole Marc Epstein, président de l’association La Chance pour la diversité dans les médias, alors que la dernièrae édition du Baromètre de la diversité de la société française, publié par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en septembre 2020, le confirme une fois encore. Ses conclusions sont sévères pour les chaînes TV : la part des personnes perçues comme « non-blanches » a diminué en 2019, la présence des femmes a stagné à 39 %, il existe toujours « un décalage persistant de la représentation des catégories socioprofessionnelles avec la réalité », une « représentation des territoires peu conforme à la réalité » et une « quasi-absence de personnes handicapées ». « Si la présence des femmes a bien progressé, la représentation de l’ensemble de la société française - qui permet à chacun de se reconnaître dans ce qui lui est donné à voir - n’est pas totalement intégrée », résume Carole Bienaimé Besse, membre du CSA. Or « pour faire avancer l’égalité, l’un des fondements de notre République, il est indispensable de mieux représenter la société française sur les antennes de télévision », avertit-elle.
Crise de représentation
Le constat est le même du côté de France Télévisions. « Nous sommes dans une crise de représentation : de nombreuses catégories de Français ne se sentent pas bien représentés, non seulement par les politiques mais aussi par les médias », estime Tiphaine de Raguenel, directrice de la stratégie éditoriale. Les chaînes prennent cette problématique au sérieux. « Représenter la société dans toutes ses diversités est un enjeu important en période de défiance », ajoute-t-elle. « TF1 se veut le reflet de la diversité de la société française. Cette préoccupation imprègne donc nos contenus éditoriaux », assure de son côté Christelle Leroy, directrice RSE du groupe TF1. Chez M6, Thomas Valentin, vice-président du groupe, en charge des contenus, tempère : « cela nous paraît toujours étonnant quand le régulateur nous parle de quotas autour de la diversité à l’antenne. La diversité fait partie de l’ADN de M6 depuis sa création. »
Reste à savoir ce que les chaînes font concrètement pour mieux représenter la diversité de la population française. En ce qui concerne l’information, les leviers sont assez simples : elles ont la main pour nommer le présentateur du JT, qui incarne alors la chaîne. Si la parité femmes-hommes n’est depuis longtemps plus une question dans les grands journaux télévisés, celle de la représentation des minorités a longtemps été plus complexe. Le Franco-Algérien Rachid Arhab a été le premier journaliste « perçu comme non-blanc », pour reprendre la terminologie du CSA, à présenter un JT national. C'était en 1992 sur Antenne 2, d'abord comme remplaçant estival, avant sa titularisation en septembre 1998. Il faut attendre 2005 pour voir une femme de couleur présenter un grand JT, avec la Martiniquaise Audrey Pulvar aux commandes du 19/20 de France 3. « La télévision a un rôle d’exemplarité à jouer, souligne Anne de Coudenhove, rédactrice en chef à TF1, chargée des relations avec les écoles. Il faut que tous les jeunes, quelle que soit leur origine, puissent se dire : "Si c’est possible pour lui, c’est aussi possible pour moi". »
Le journalisme sportif, bastion masculin
En termes de parité femmes-hommes, un dernier bastion masculin résiste encore : le journalisme sportif. Alors que la profession est ébranlée par les révélations de sexisme envers des journalistes sportives, voire de harcèlement (cf le documentaire Je ne suis pas une salope de Marie Portolano, diffusé sur Canal+ en mars), Jérôme Saporito, directeur de la chaîne L’Équipe, admet qu’« il y a encore du chemin à faire, nous ne sommes pas encore à la parité ». Lui se dit particulièrement vigilant à la parité des recrutements et il cherche à montrer à l’antenne que le sport, c’est une question de passion, de compétences, pas de genre.
Pour les divertissements ou les fictions, il appartient aux chaînes de faire passer le message, voire d’imposer leurs conditions aux producteurs, sociétés de castings, agents d’artistes... Le processus est donc un peu plus complexe que pour l’information. Si les chaînes généralistes imposent à leurs fournisseurs de contenus des clauses ou des engagements en matière de diversité ou d’inclusion des différents publics, ceux-ci n’imposent généralement aucun objectif chiffré et ne sont pas contraignants sur le plan juridique. La clause Diversité de France Télévisions par exemple « oblige tous les acteurs de la production à partager nos valeurs et à prendre en compte la représentation des diversités », défend Tiphaine de Raguenel. Le groupe public a aussi nommé un référent Diversité dans chacune de ses unités de production afin de veiller à la bonne application de cette clause. Chez TF1, « pour arriver à une meilleure représentation de la diversité, cela passe nécessairement par une phase de pédagogie auprès de nos fournisseurs de programmes », reconnaît Christelle Leroy. Même chose chez M6 : « nos exigences éditoriales sont claires. Mais cela demande une vigilance permanente de nos équipes, car les différents acteurs de la chaîne de production peuvent être issus de milieux dans lesquels il y a peu de diversité », souligne Thomas Valentin.
Sensibiliser les managers
Et selon Carole Bienaimé Besse, du CSA, « contrairement à ce que pourraient penser certains, la juste représentation de la société n’est pas un frein à la création. Pourquoi Demain nous appartient ou Plus belle la vie rencontrent un tel succès ? Parce que ces séries nous racontent la société française telle qu’elle est. » Toutefois, poursuit-elle, « il est compliqué de représenter la réalité de la société française sur votre antenne si votre état-major et les équipes qui conçoivent les programmes ne sont constituées que d’un groupe sociologiquement homogène, de personnes issues du même milieu, ayant eu le même parcours... »
Là aussi, les chaînes affichent leur préoccupation à améliorer l’inclusion de tous les publics. « C’est notre rôle d’entreprise de faire bouger les choses de l’intérieur pour que la société évolue », analyse Isabelle Verrecchia, directrice de l’engagement chez M6. Pour cela, « il est nécessaire de sensibiliser les managers à recruter des profils différents, de faire tomber un certain nombre de représentations. On ne va certes pas réussir à changer les choses massivement du jour au lendemain, mais c’est aussi avec des petits pas que l’on arrive à faire bouger les choses », affirme-t-elle avec optimisme.
Avec ou sans accent ?
La télévision n’aime pas les accents régionaux. « Je reçois des courriers me disant que je ne parle pas français », annonce Marie-Sophie Lacarrau, présentatrice du JT de 13h de TF1, native de Villefranche-de-Rouergue, dans l'Aveyron, et qui a grandi à Perpignan. Et pourtant, son accent est plutôt léger : « Je le gomme quand je suis à l’antenne », reconnaît celle qui succède à Jean-Pierre Pernaut. « En France, la tradition jacobine a gommé les accents à la télévision et à la radio. Du coup, quand quelqu’un s’exprime avec un accent, cela devient un sujet », se désole Carole Bienaimé Besse, conseillère au CSA. « Quand j’écoute la BBC, j’entends tous les accents régionaux du Royaume-Uni, qui traduisent des origines socio-culturelles diverses, raconte le journaliste franco-britannique Marc Epstein. J’ai alors une représentation mentale complète de la société à laquelle j’appartiens. Ce n’est pas le cas en France. » Dans leur livre paru en 2020, J’ai un accent, et alors ?, les journalistes Jean-Michel Apathie et Michel Feltin-Palas s'interrogent : « Pourquoi, en France, un seul accent est-il jugé normal ? Pourquoi n'entend-on jamais ou presque à la télévision ou à la Comédie-Française les intonations du Gers, du Nord, d'Alsace ou de Corse ? » « C'est un vrai problème de centralisme, de snobisme, répond à La Dépêche du Midi Médéric Gasquet-Cyrus, linguiste à l'université d'Aix-Marseille. Moi, quand j'entends parler Emmanuel Macron ou David Pujadas, je trouve qu'ils ont un accent. »