Documentaire
Mercredi 4 novembre, France 3 diffusera un documentaire de 45 minutes de Mustapha Kessous qui revient sur l’attentat du Bataclan, cinq ans après les faits. Il est centré sur l’histoire de Daniel Psenny, le journaliste du Monde qui a filmé le drame depuis sa fenêtre et a été blessé au bras. Interview à deux voix.

Le documentaire s’ouvre et se ferme sur un numéro de téléphone glissé dans le mur des Lamentations, à Jérusalem, quelques mois avant le massacre du Bataclan. Etait-ce une volonté de relier votre histoire à la grande histoire du peuple juif ?

Daniel Psenny : Je suis d’origine juive et complètement athée, laïc. Un peu par fanfaronnade quelques temps avant le Bataclan, j’ai glissé mon numéro de téléphone portable dans le mur des Lamentations en disant « si Dieu existe, il m’appellera bien un jour ». Evidemment, je n’avais pas eu d’appel et dans la métaphore du documentaire, je dis que je me plais à penser, moi le miraculé, qu’il m’a donné une réponse.

Comment s’est fait le choix de travailler sur un récit avec Mustapha Kessous, réalisateur et journaliste au Monde ?

D.P. J’ai eu beaucoup de propositions de documentaires. J’étais en discussion avec Premières Lignes [qui coproduit 22h01] sans arriver à définir ce qu’on voulait faire sachant que je ne voulais pas être dans le spectaculaire et l’héroïsme. Mustapha, que je connais très bien puisque nous avons travaillé ensemble dans le même bureau, avait fait des documentaires sur le foot, les bavures policières ou l’Algérie. Il m’a proposé de raconter cette histoire dans l’histoire avec le dessin par rotoscopie [signé Théo Schulthess], ce qui m’intéressait car cela me permettait de prendre une distance dans le témoignage. Je voulais qu’on aille à l’os sans fioritures, sans violon, sans dramatisation à l’extrême. Les faits, rien que les faits. Avec les témoignages des quatre personnes qui se sont retrouvées dans notre huis clos.

Pourquoi était-il important de prendre le point de vue des occupants de l’immeuble et non pas de centrer sur la seule histoire de Daniel Psenny ?

Mustapha Kessous. Parce qu’il n’a pas vécu cet événement tout seul. Il m’avait raconté cette histoire telle qu’il l’avait vécue avec ses voisins. Lorsqu’il a fait le tour des médias du monde entier, les journalistes l’ont beaucoup centré sur lui par rapport à la vidéo, pas par rapport à ce qu’il avait vécu. Je trouvais cela dommage. L’histoire, ce n’est pas simplement Daniel Psenny qui a filmé l’horreur, c’est aussi celle de Daniel qui a vécu l’horreur avec ses voisins. Je trouvais aussi qu’on n’avait pas toujours bien compris son histoire puisque certains lui reprochaient d’avoir filmé sans chercher à secourir les gens, alors qu’il l’avait fait.

Pourquoi le recours à l’animation pour reconstituer le drame ?

MK. Daniel avait refusé de se mettre en scène et qu’on le montre. J’avais pensé à une fiction, à un film de cinéma. Mais en réécoutant les bandes où je l’interviewais, j’ai été transporté par sa voix. Je lui ai donc proposé une solution, sans passer par les travers du docu-fiction, c’était l’animation. Cela permet de prendre de la distance et de plonger dans l’horreur. Si j’avais pris des comédiens qui rejouaient la scène, ça n’aurait pas été pareil.

 

« Être journaliste, pas victime »

Le film s’appelle 22h01 car c’est l’heure à laquelle vous avez reçu une balle dans le bras. Le chemin a-t-il été long pour que vous vous considériez comme une victime du Bataclan ?

D. P. Je raconte dans le film que c’est par réflexe journalistique que je prends des photos et filme tout en ne sachant pas ce qu’il se passe. Je ne suis pas un reporter de guerre mais la guerre était en bas de chez moi. J’ai eu ce besoin naturel de témoigner. Malgré mes souffrances et des séquelles un peu handicapantes– deux doigts paralysés -, j’ai eu une résilience assez rapide. Je suis reconnu comme une victime du Bataclan mais mon métier, c’est d’être journaliste, pas victime – même si j’ai aujourd’hui tourné la page en prenant ma retraite. On ne peut pas s’en sortir par la victimisation.

Mais le documentaire n’est-il pas d’abord le récit d’une victime ?

M.K. La vie de Daniel change le 13 novembre à 22h01, au moment où il prend une balle d’un terroriste qui le vise depuis le Bataclan. Pas au moment où il filme. C’est pourquoi j’ai voulu appeler ce film 22h01.

Vous souvenez-vous du moment où vous avez arrêté de filmer ?

D.P. Très bien. Alors que je filmais, il y a eu un très grand silence et j’ai pensé que la fusillade était finie. C’est dans cette accalmie que j’ai pensé qu’il fallait aider les gens. Lorsque j’ouvre la porte, je vois une personne blessée à dix mètres que l’on tire pour la ramener dans l’immeuble. On ne va pas sur les bas-côtés près des issues de secours car on se dit que les terroristes sont peut-être encore là. Si cela avait recommencé à tirer, j’aurais fermé la porte et serait remonté dans l’immeuble.

Vous avez tout de suite envoyé vos images à votre journal et non à une agence de presse. Referiez-vous la même chose et filmeriez-vous en live aujourd’hui ?

D.P. Je referais exactement la même chose. Il est normal que ce soit Le Monde qui ait bénéficié de ce qui est un scoop mondial, en 2015, puisque j’en étais salarié. Le document a été en ligne 24 heures et accessible gratuitement sur le site du Monde. J’ai ensuite confié la gestion des droits d’exploitation à l’AFP comme me l’avait proposé son PDG, Emmanuel Hoog. Malgré tous les outils d’aujourd’hui, je suis persuadé que je ne ferais pas du live car on ne peut pas donner en pâture aux réseaux sociaux une tragédie qui fait des morts et va faire de l’audience et du commentaire.

Quelle leçon avez-vous tiré du tourbillon médiatique que vous avez connu en étant l’objet de l’attention des médias du monde entier ?

D.P. De mauvaises leçons pour de bonnes raisons. J’aurais sans doute fait exactement la même chose que mes confrères et consoeurs si j’avais été envoyé en tant que reporter au Bataclan. Comme l’accès était complètement bouclé, j’étais le seul sur place avec un témoignage essentiel. Les mois qui ont suivi, il y a eu une sollicitation médiatique énorme que je n’aurais jamais imaginée. Ma décision a été de privilégier les télés étrangères pour expliquer et ne pas tomber dans le sensationnalisme. Avant le 13 novembre, j’avais déjà de grandes interrogations sur le journalisme et son évolution sous l’effet de l’immédiateté et des réseaux sociaux. Quand il y a cinq chaînes d’infos, vous répétez cinq fois la même chose. Et comme tout le monde fait la même chose, il y a besoin d’un plus qui est le sensationnalisme. Pour moi, ça a été l’overdose. Je ne regrette pas d’être sorti du cercle  -pour ne pas dire le cirque - médiatique. 

 

« Une forme d'éducation »

En 2020, après l’attaque qui a blessé des salariés de Premières lignes, près de l’ex-siège de Charlie Hebdo, il y a eu la décapitation de Samuel Paty et l’attentat contre une église à Nice. Comprenez-vous la déclaration du président du CFCM lorsqu’il dit qu’il faut encadrer la diffusion des caricatures dans les écoles pour ne pas offenser les musulmans ?

D. P. Je peux comprendre qu’on défende sa religion et qu’on soit offensé pour des croyances qu’il faut respecter. Simplement, nous sommes une République laïque, où le droit à la caricature est naturel, où l’on peut se moquer des religions. Quand on va trop loin, on peut attaquer pour diffamation et un jugement est prononcé.  Ce peut être d’ailleurs une forme d’éducation car il peut y avoir du débat : on peut ne pas être d’accord avec les caricatures, quelles qu’elles soient, mais notre liberté d’expression est garantie pour tout le monde.

M.K. Les caricatures sont entrées dans l’histoire de France, qu’on le veuille ou non. Les étudiants et lycéens finiront par les étudier. Les tueries de masse de 2015 font partie des pires attentats de la Vème République. Dire qu’il faut encadrer, faire attention avant de montrer les caricatures, c’est déjà avoir plusieurs trains de retard. Elles font partie de notre histoire.  

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.