Chapitre 1 : le pari
Jeudi 23 juillet 2020. On est au coeur de l'été. Le premier après le déconfinement. Les Français vont-ils retourner dans les kiosques ou se jeter sur les plateformes de téléchargement, en mal de fictions haletantes à défaut de se retrouver autour d'événements sportifs ? Franck Annese, le patron du magazine Society, joue quitte ou double. Il a mis en vente 70 000 exemplaires - au lieu de 50 000 l'été - un numéro montrant en une Xavier Dupont de Ligonnès, portraituré façon puzzle.
Le titre claque : « Ce que vous n'avez jamais lu, Première partie ». Annese remonte sa casquette, toujours vissée sur sa tête. Il attend les premiers retours de son coup de poker : un feuilleton en deux épisodes sur celui qu'il baptise XDDL. Soit 250 000 signes au lieu des 100 000 prévus, 76 pages pour une enquête de quatre ans. Qu'est devenu l'homme qui a tué sa femme, ses quatre enfants et ses deux chiens ? De quels appuis a-t-il bénéficié pour disparaître ?
Le jeune patron redoute 2 millions d'euros de pertes pour 2020, à la suite de la crise du Covid-19 et de la faillite de Presstalis. Ces deux numéros sont sa planche de salut. Dans ses locaux de l'est parisien, les journalistes s'activent déjà sur le deuxième opus qui sort le 6 août. Les bureaux de So Press (So Foot, L'Étiquette, Pédale, So Film) sont les anciennes loges du théâtre de la Vacquerie dont... Agnès Dupont de Ligonnès a hérité. Elle les a autrefois vendues pour financer la start-up de son mari. Un signe parmi tous ceux qui ont émaillé cette enquête.
Chapitre 2 : le raz-de-marée
« Le premier signal positif, nous l'avons par nos potes marchands de journaux, nous confie Franck Annese. Ils nous appellent pour nous dire que les numéros se vendent si bien qu'ils n'en ont plus. Dès le samedi, on réimprime 35 000 exemplaires. La semaine suivante, la pénurie perdure. On imprime le deuxième numéro à 100 000 exemplaires et on réapprovisionne les kiosques avec 50 000 exemplaires du premier. Le deuxième numéro se vend à 33 000 exemplaires en un jour. Du jamais vu ! Et dès 6h du matin, on se fait alpaguer sur les réseaux sociaux parce que la version digitale n'est pas en ligne avant 9 h, à la suite d'un bug. On hallucine. On réimprime encore 100 000 numéros du premier et 75 000 du deuxième ! » Au total, « 450 000 exemplaires sont mis en kiosque et disponibles jusqu'au 1er octobre » sourit Franck Annese. Coup de maître.
Chapitre 3 : la genèse
Alors qu'il bosse sur le lancement de Society, en 2015, Franck Annese enquête déjà sur Xavier Dupont de Ligonnès. « Si on le retrouve, on publie notre sujet et on arrête le quinzomadaire, lance-t-il alors bravache. Il ne s'agit pas encore d'une enquête journalistique mais d'un travail de geek sur l'affaire que l'on fait avec deux de mes journalistes, Maxime Chamoux et Sylvain Gouverneur. Je finis ensuite par céder ma place à Pierre Boisson, faute de temps. On amasse des infos, des témoignages. On démarche Diego Bunuel via Canal+ puis Netflix pour faire un documentaire en parallèle. On leur confie avoir des infos. Personne ne nous fait confiance. Mais c'est la fausse identification de Glasgow, quatre ans plus tard, qui précipite tout. » Pierre Boisson revient le vendredi 11 octobre 2019 de vacances de Montréal. Il va illico au journal. À la question « faut-il publier tout ce que l'on a pour le prochain numéro ? », l'équipe tranche par la négative. « Mais on s'y est remis à 100% pour sortir le sujet rapidement » détaille Pierre Boisson.
Chapitre 4 : des profils complémentaires
Thibault Raisse, journaliste fait-diversier qui a suivi l'affaire pour Le Parisien, renforce l'équipe. Chacun a un profil différent : Maxime Chamoux est un musicien, signé par le label Vietnam de Franck Annese avant de se mettre à l'écriture. Sylvain Gouverneur est un auteur. Ensemble, ils ont écrit une série bientôt diffusée sur Arte. Pierre Boisson structure l'enquête et tient la plume. Ils phosphorent dans une salle de réunion rebaptisée « cellule secrète ». « On s'y est enfermés de novembre à février, avoue Pierre Boisson. Ces journées de travail sont entrecoupées d'enquêtes sur le terrain, toujours en binôme pour rencontrer nos sources, et d'entretiens téléphonique avec des témoins cruciaux. »
Chapitre 5 : des sources mystérieuses
« On a cinq témoins-clés, dans l'entourage des Ligonnès », avoue Franck Annese. Sans parler de sources policières et judiciaires sur lesquelles il refuse de s'étendre. Si leur enquête ouvre de nouvelles pistes, la police pourra la relancer officiellement. Mais comment les journalistes ont-ils réussi à les faire parler, permettant de révéler l'emprise qu'avait XDDL sur son entourage ? « C'est notre vision non sensationaliste qui les a convaincus. On a gagné leur confiance car on est honnête. Si vous saviez tout ce que l'on n'a pas écrit, par respect pour les victimes. On ne voulait pas faire un coup mais s'attacher aux dommages collatéraux qu'il a provoqués. Et le retrouver » confie-t-il.
Chapitre 6 : des sursauts insoupçonnés
Au cours de l'enquête, la chance s'est parfois invitée comme lors de ce concert à l'issue duquel Maxime Chamoux est abordé par une jeune femme. Il finit par l'identifier comme une ex-aventure de XDDL. Plus tard, alors que le journal doit sortir en avril 2020, la crise du Covid-19, doublée du nauffrage de Presstalis, reporte le projet. Pas question de sortir le journal alors que le distributeur de presse séquestre les recettes des journaux.
Chapitre 7 : l'épilogue
Si Society a raté sa cible (retrouver XDDL), il a réussi son pari : créer l'événement en refaisant venir les lecteurs dans les kiosques. Franck Annese croule sous les sollicitations, de fictions, documentaires et autres collaborations. Il a tout refusé pour l'instant. Son seul projet est de publier sous forme de livre l'enquête en novembre. Il va boucler son année à l'équilibre. Avec même quelques bénéfices. Et espère toujours retrouver Xavier Dupont de Ligonnès...