Presse
L'entreprise de distribution joue ces prochaines semaines sa survie. Certains éditeurs de presse ont déjà anticipé son dépôt de bilan tandis que d'autres veulent encore croire à la pérennité d'un système qui a fait ses preuves mais prend l'eau de toutes parts.

C’est une bataille d’influence sur fond de démissions fracassantes, d’oppositions entre branches magazine et quotidienne, de frictions entre petits et gros éditeurs… En jeu, l’avenir de la distribution de la presse. Certains, comme Rolf Heinz, président de Prisma Media et administrateur démissionnaire de la coopérative des magazines, jugent que le dépôt de bilan est inévitable. Même si ce dernier préfère rester prudent : « Les éditeurs sont préoccupés, observe-t-il, après la parution d’articles de presse, par une mise en cessation de paiement qui leur paraît probable ». Livraisons réduites, suspensions de parutions « assimilés librairie », lancements de produits ajournés… Des éditeurs rechignent, comme Prisma, à envoyer des exemplaires vers les dépôts et les points de vente. Par crainte de n'être pas payé en retour. Prophétie autoréalisatrice ? Certains voient dans la décision de Prisma, qui a quasiment divisé par deux cette semaine le prix de ses hebdomadaires dans le cadre d’une « opération promotionnelle », une stratégie qui précipite la liquidation du système. Le patron s’inscrit en faux. Son plan « in bonis », qui impliquait une contribution de 116 millions d’euros sur quatre ans des éditeurs (dont 23 millions pour Prisma), contre 160 millions d’euros chiffrés par Presstalis, a été repoussé par les parties prenantes. À commencer par les quotidiens qui l’ont jugé insuffisamment financé.

Ce plan impliquait un surcroit de contribution exceptionnelle de 4% – après +2,25% décidés en 2018 – demandé aux trente plus gros éditeurs. Et l'Etat devait venir en soutien à hauteur de 232 millions d'euros – ce que dément Rolf Heinz – après un prêt déjà consenti il y a deux ans de 90 millions d'euros. Dans tous les cas, la direction de Presstalis prévoit une saignée sociale avec des effectifs ramenés de 905 à 177 salariés. Le patron de Prisma Media, plus gros client des magazines, envisage tout. Y compris de se distribuer lui-même ou de basculer chez le rival MLP dont les coûts sont estimés à un tiers de moins, au moins sur la partie logistique (dépôts et distribution nationale). « Il est impératif d’analyser toutes les solutions et pour cela d’élargir le champ des possibles. Il ne faut pas se limiter aux discussions autour de Presstalis mais regarder toute la filière. Il est vital de protéger les éditeurs, économiquement et socialement, ainsi que les marchands de presse », rappelle Rolf Heinz.

Magazines contre quotidiens

Une solution collective doit être trouvée. L'Arcep a pris, le 15 décembre, la décision exceptionnelle de geler des transferts des éditeurs de Presstalis (75% du marché) vers MLP pour six mois. Mesure jugée urgente et nécessaire pour empêcher la faillite de Presstalis. Le 24 février, le groupe Marie Claire, qui avait prévu ce transfert pour son navire amiral et quelques titres, a saisi avec Prisma Media le Conseil d’État pour contester cette décision, qui peut être reconductible une seule fois, pour six mois. Pour eux, pas question de se retrouver « immobilisés dans une situation obsolète », comme dit Rolf Heinz. Autant dire que le conseil d'administration de Presstalis, qui doit se réunir le 28 février, va être crucial. Jamais l'entreprise n’a connu une telle crise, jusque dans ses instances dirigeantes. Son président, Dominique Bernard, a démissionné au bout de quatre mois. Sur onze membres, six ont quitté le conseil depuis début février (1). Certains ne voyaient plus l’utilité de compter les points dans une bataille qui oppose les intérêts des magazines (actionnaires à 75%) et ceux des quotidiens (à 25%). Car l'antienne selon laquelle les magazines financent exagérément la distribution des quotidiens en raison de coûts de péréquation opaques a repris de sa vigueur. Rolf Heinz demande d'ailleurs une transparence des coûts et l’équité entre groupes de presse. Et n’exclut pas « toutes les possibilités juridiques » en cas de « distorsion de concurrence majeure » dans un nouveau système.

Les éditeurs indépendants désabusés 

Autres mécontents : les éditeurs indépendants de magazines, à la trésorerie tendue. So Press, Le 1, L'élephant, We Demain, Philosophie Magazine, Alter Eco, Politis...  se sont unis pour faire entendre leur voix. Beaucoup risquent le dépôt de bilan si les barêmes sont revus à la hausse, dans un contexte de disparition de plus de 500 marchands de journaux par an. « Non seulement nous ne sommes pas invités aux réunions chez Presstalis mais nous ne sommes même pas informés de leur existence. Nous sommes considérés comme la cinquième roue du carrosse par les quotidiens et les grands groupes de magazines, sauf quand il faut reverser 2,25% de nos recettes pendant cinq ans à Prestalis comme cela a été décidé en 2018. Notre enjeu est de sortir de cette structure moribonde, dont l'administration est obscure, folle et opaque », confie Eric Fottorino, cofondateur du 1, de Zadig et de America.

Cette tentation semble partagée par nombre de magazines. Mais, en cas de départs massifs, le droit du travail les obligerait à prendre leur part de la masse salariale laissée sur le carreau. Les quotidiens privilégient un scénario interne à Presstalis, qui passerait par une massification des transports pour rationaliser les coûts. La prochaine échéance est en avril, avec le versement attendu de 17 millions d'euros aux diffuseurs. Presstalis pourra-t-elle y faire face, sous peine de redressement judiciaire ? À Cédric Degardin, nouveau président dont le nom a été proposé par le Comité interministériel de restructuration industriel (CIRI), de proposer d'ici là un business plan solide et pérenne pour un secteur qui représente un milliard d'euros par an. Et concerne un pan essentiel de la démocratie.

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