Presse
Emmanuel Macron assure qu’en refusant de se conformer à la loi française sur le droit voisin, qui entre en vigueur le 24 octobre et transpose une directive européenne sur le droit d'auteur, Google risque de « tuer » certains journaux.

Coup sur coup, le 4 octobre, le ministre de la Culture, devant des journalistes, puis le chef de l’État, aux 100 ans de La Montagne, sont montés au créneau pour défendre le droit d’auteur en faveur de la presse. « Il s’agit de l’information de nos journalistes, pas de vendre des carottes, a lâché le matin Franck Riester, parlant d’« enjeu démocratique majeur ». Le soir, Emmanuel Macron, a fustigé la position de Google, qui se refuse à verser des droits et se propose, pour les récalcitrants, d’afficher un titre et un lien plutôt qu’un aperçu de l’article: « Il faut simplement dire que la volonté aujourd’hui d’un opérateur, c’est de ne pas payer les journaux, de ne pas payer les journalistes, comme la loi l’a prévu, la directice européenne l'a prévu, au risque de les tuer. »

Coup de force

Google a-t-il donc le profil du tueur de droits ? Son modèle, présenté le 25 septembre, demande aux éditeurs de décider si des extraits de leurs infos (textes, vidéos...), ou « snippets », et autres images miniatures continueront d'apparaître à côté des liens renvoyant vers leurs sites, et ce gratuitement. « Google contourne la loi en disant en somme aux éditeurs et aux agences qu’ils ont le droit de renoncer aux droits voisins. Formidable… Ceux qui ne concéderont pas une licence gratuite seront pénalisés. Et c’est dit de manière unilatérale, alors que la directive supposait négociation. Cela fait beaucoup… », observe Fabrice Fries, PDG de l’AFP.

Pour Pierre Louette, PDG des Echos et du Parisien, c’est « un coup de force insupportable. [...] Google nous contraint d’accepter la gratuité sous peine d’être “sous exposé” et de créer un très significatif dommage à notre audience (le moteur pèse 30 à 40% de l’audience de sites de presse comme les nôtres). Certes, l’actuelle situation ne nous confère aucune rémunération. Mais Google nous force à renoncer à la possibilité de rémunération au titre du droit voisin. Cette situation nous semble être un détournement de l’esprit de la loi. Ce déséquilibre structurel qui en résulterait pour les éditeurs n’est possible qu’en raison de la puissance de Google et du fait que les éditeurs sont en situation de dépendance économique. »

Enquête exploratoire

Faut-il aller jusqu’à parler d’abus de position dominante ? L’Autorité de la concurrence a ouvert une enquête exploratoire pour le déterminer. Pierre Louette rappelle que Google s’accapare avec Facebook 90 % de la publicité mobile. « Si ce n’est pas un abus de position dominante, alors, une chose est sûre, c’est un duopole difficilement acceptable. »

Le patron se dit ouvert à la discussion pour sortir de l’impasse. Pour l’heure, comme le rappelle Fabrice Fries, les éditeurs tablent sur 15 à 30 % - pour certains 50 % - de baisse potentielle du taux de clic sur des résultats de recherche à la visibilité réduite. Il reste à espérer qu’un « front uni » des éditeurs européens résiste à l’approche pays par pays qui a contraint l’Espagne ou l’Allemagne, isolés, à céder. Le sujet est à l’ordre du jour d’un conseil franco-allemand du 16 octobre. « Les États membres ont jusqu’en juin 2021 pour transposer la directive, observe Fabrice Fries, le risque de la division est donc réel. »

« Un détournement de l'esprit de la loi »

 

Pierre Louette, PDG du groupe Les Echos-Le Parisien, livre à Stratégies son point de vue sur la bataille qui oppose les éditeurs de presse à Google sur les droits voisins.

 

1 / En quoi peut-on dire que Google ne respectera pas la loi sur les droits d’auteur dès lors qu’il annonce qu’il ne reprendra plus que les titres des dépêches ou des médias ?

Google a d’ores-et-déjà fait savoir qu'il ne payerait pas les éditeurs pour l'indexation de leurs articles dans son moteur de recherche alors même que la loi du 24 juillet 2019 instaure le droit voisin de éditeurs de presse. En effet, Google propose soit de ne pas faire l’usage des biens propriétés des éditeurs soit de le faire mais à ses conditions, c’est-à-dire gratuitement. C’est un coup de force insupportable de la part du géant américain.

Il n’y a donc pas de négociation, Google nous contraint d’accepter la gratuité sous peine d’être « sous exposé » et de créer un très significatif dommage à notre audience. Certes l’actuelle situation ne nous confère aucune rémunération. Mais Google nous force à renoncer à la possibilité de rémunération au titre du droit voisin. Cette situation nous semble être un détournement de l’esprit de la loi. Ce déséquilibre structurel qui en résulterait pour les éditeurs n’est possible qu’en raison de la puissance de Google et du fait les éditeurs sont en situation de dépendance économique vis-à-vis de Google.

Par ailleurs, si la loi prévoit l’utilisation des « mots isolés ou de très courts extraits » comme étant une exception au droit voisin, cette exception ne peut pas affecter l'efficacité des droits voisins pour les éditeurs de presse. Cette efficacité est notamment affectée lorsque l'utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer.

Google vide donc de sa substance un nouveau droit né au niveau européen et dont la France est le premier pays à le transposer.

2 / Comment s’assurer d’une solidarité des éditeurs français et européens dans le bras de fer avec Google ?

La solidarité sera décidée ou non par les organismes représentatifs de la presse. Je comprends parfaitement que certains puissent hésiter devant l’ampleur du sujet. Pour autant, j’appelle à la solidarité collective sur le sujet pour la constitution d’un front uni, avec des éditeurs français comme avec nos confrères européens et américains.

3 / Peut-on estimer la perte d’audience pour les sites des presses en cas de déréférencement par Google Actualités ? La DGMIC parle de 15 à 30%...

Difficile à ce stade d’estimer avec précision la perte d’audience que cela peut engendrer. Ce que je sais, c’est que cela peut être lourd de conséquence pour l’ensemble des éditeurs de presse. Ce que nous savons, c’est que le moteur de recherche Google pèse plutôt en moyenne 30% à 40% de l’audience de sites de presse comme les nôtres.

4 / Estimez-vous que la position de Google sur le marché français le rend incontournable dans l’accès à l’information et qu’il abuse de cette position dominante ?

Bien sûr, on peut se poser la question de savoir si cette attitude de Google n'est pas un abus de position dominante. Google, c’est environ 95% des recherches en France. Doit-on aussi rappeler que Google et Facebook s'adjugent 80 % du marché publicitaire sur tous les écrans (mobile, ordinateurs…) et que ce chiffre monte à 90 % sur les seuls mobiles ? Si ce n’est pas un abus de position dominante alors, une chose est sure, c’est un duopole difficilement acceptable. Et en ce sens, c’est une atteinte à notre démocratie. A ce stade, nous sommes ouverts à la discussion. Ce que nous voulons, c’est sortir de l’impasse actuelle en trouvant des accords, dans le respect de chacune des parties prenantes. Le combat ne fait que commencer.

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