Considérez-vous que le journalisme est un métier menacé ?
Eric Nahon. Il y a des menaces sur les journalistes mais je ne dirais pas que le journalisme est menacé. En tant que journalistes, nous avons des pressions de tous les côtés. Il y a une menace du pouvoir économique, avec l’arrivée des communicants qui cherchent à tourner l’information dans un sens ou un autre. Mais j’essaye de garder espoir car nous avons toujours des étudiants qui veulent exercer ce métier, nous n’avons pas de problème de candidatures. Une fois qu’ils sont journalistes, ils subissent en revanche des pressions, qu’elles soient politiques, économiques, sur leur façon de travailler ou sur leur emploi.
Votre édition 2019 porte l’intitulé : « Enseignez le journalisme à l’heure de la disruption ». Est-ce que vos étudiants et vos participants réfléchissent à disrupter le journalisme lui-même ?
Oui, comme en témoigne la conférence « The 10 new skills journalists need in 2020 », ce mercredi 10 juillet, huit compétences sur dix pour les différents panélistes ne sont pas technologiques. Il y a cinq ans, elles étaient toutes technologiques. On revient à des fondamentaux qui consistent à s’adapter à la personnalité. Je dis souvent aux étudiants, par exemple, de parler à leurs sources, de décrocher leur téléphone… Cela n’a l’air de rien mais les jeunes journalistes envoient des mails, des SMS, des messages WhatsApp… mais ne parlent pas. Il faut changer le braquet du journalisme en se tournant vers la qualité plutôt que vers la quantité. Chercher non pas le clic pour le clic mais à avoir un public fidèle. On voit aussi une montée en puissance de la vérification des faits corrélée aux valeurs et à l’éthique du journalisme. Plus les journalistes sont menacés, plus ils reprennent à cœur leur métier de base.
Le profil des aspirants au journalisme a-t-il changé ?
Oui. Il y a quinze ou dix ans, on avait des diplômés de Sciences Po ou des IEP. Cela change énormément car nous recrutons au niveau licence. Pour entrer à IPJ Dauphine, comme dans toutes les formations reconnues, il faut une licence généraliste. Nous essayons d’attirer des profils scientifiques et de donner une data literacy, ou une culture du chiffre, pour les journalistes économiques ou environnementaux. Quand on traite du changement climatique, on est obligé d’avoir une vraie culture scientifique.
Est-ce que la précarité du métier ne fait pas obstacle au renouvellement des profils ? Il faut avoir les moyens pour être journaliste sachant que ce sont souvent les parents qui financent les écoles de journalisme et, pour partie, les débuts dans la profession…
C’est une évidence. Je ne peux le nier. A côté de cette réalité, qui est majoritaire, il faut néanmoins nuancer. A l’IPJ Dauphine, on travaille sur la diversité par des frais de scolarité gratuits pour les boursiers et des droits d’entrée corrélés aux revenus des parents. Pour l’après, c’est vrai que ceux qui ont des parents pour les épauler la première ou la deuxième année professionnelle ont plus de chances d’insertion. C’est vrai aussi que les étudiants les plus précaires vont aller vers les jobs les plus sûrs, peut-être au détriment de certaines aspirations. Mais les millennials sont aussi capables de quitter un CDI au bout de six mois pour trouver du sens. Sachant qu’ils ne font pas cela pour l’argent. Ils ont donc intégré la précarité dans leur mode de vie. Certains de mes anciens me disent : « tant qu’à faire un boulot mal payé, autant s’éclater ».
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