Très récemment, la youtubeuse Horia publiait une vidéo sur sa première mission au Cameroun. L’occasion pour la jeune femme de 23 ans de partager son engagement aux côtés de l’Unicef auprès de ses 2,2 millions d’abonnés. Ce type de posts est plutôt rare chez celle qui s’est fait connaître en parlant mode, maquillage et boucles de cheveux. «La cause des enfants est très importante à mes yeux, explique-t-elle. Ce sont les adultes de demain, je souhaite qu’ils aient tous les mêmes chances d’avoir un bel avenir, en pleine santé.»
Quelques mois plus tôt, c’est Enjoy-Phoenix qui évoquait son séjour en Tanzanie, où elle s’était rendue dans le cadre d’un voyage organisé par Ecosia, un moteur de recherche qui soutient les projets de reforestation. Elle non plus n’a pas fait de l’engagement son leitmotiv, pourtant ces prises de position semblent très appréciées par ses fans. «Super touchant ce que tu fais, c’est vraiment bien de voir des youtubeuses s’intéresser à autre chose que des produits de beauté», peut-on ainsi lire parmi les commentaires sur la page YouTube de la jeune femme. Elle avait déjà marqué des points en dénonçant le gaspillage lié aux nombreux emballages enrobant les box qui lui sont envoyées, fustigeant un gâchis écologique.
Comme Horia et EnjoyPhoenix, ils sont nombreux parmi les influenceurs à témoigner sur les réseaux sociaux de leurs convictions, qu’elles soient d’ordre social, sociétal ou caritatif. Et les followers semblent séduits ! Mathieu Duméry, alias Professeur Feuillage, s’est lui aussi positionné sur le créneau de l’environnement, mais de façon beaucoup plus pérenne et militante. Ses chevaux de bataille : le dérèglement climatique, le réchauffement de la planète, la pollution atmosphérique… Et pour sensibiliser à ces causes, il reconnaît que le fait que des influenceurs agissent de façon groupée s’avère très efficace. «Que ce soit L’Affaire du siècle ou The Freaks, la tendance est aux mouvements collectifs. Cela permet d’être le plus mainstream possible et de ne pas toucher qu’une poignée de bobos», précise-t-il. Et pas question pour lui de céder aux sirènes d’annonceurs tentés par une démarche de greenwashing !
L’essor des mouvements collectifs
Professeur Feuillage fait partie des 62 youtubeurs qui ont participé en novembre dernier à la campagne «On est prêt». Pendant un mois, ils ont lancé des défis à leurs millions d’abonnés dans l’objectif de sauvegarder la planète en rendant tendance l’action en faveur du climat. «Quand chacun parle dans son coin, c’est la cacophonie. La symphonie est beaucoup plus belle quand on parle tous ensemble, mais d’une seule voix. Faire jouer l’intelligence collective permet une efficacité démultipliée, note Magali Payen, à l’origine de ce collectif qui répond à de nouvelles normes culturelles. Il s’agit non pas d’être donneur de leçons, mais valorisant. Les consommateurs aiment l’idée de reprendre le pouvoir. D’ailleurs, le reach a été énorme sur les réseaux sociaux et nous avons eu plus de 200 retombées presse.» Nul doute, le green est dans l’air du temps. «Écologie» et «vécofriendly» sont des mots en hausse en termes de volume et d’engagement, selon l’analyse de Kolsquare. «L’ère des mouvements écolos sur les réseaux sociaux remonte à 2015, dans le sillage de la COP 21. En parallèle des sujets environnementaux, les principales thématiques sociétales qui mobilisent sont la santé, la vulgarisation scientifique, la consommation responsable, mais aussi l’éducation», explique Julien Schaaf, responsable influence digitale au sein de cette plateforme d’influence marketing.
En quête de repères, les consommateurs sont à la recherche d’une parole jugée plus authentique que celle des marques. Le blogueur Julien Kaibeck est ainsi devenu un gourou de la biocosmétique. Autre exemple, côté « éducation positive » cette fois, celui de Charlotte Ducharme, qui abreuve ses lectrices de conseils. Pour autant, ces derniers sont-ils bien perçus ? «Tout dépend de la façon dont ils sont formulés. Dès lors que c’est fait avec bienveillance et que les actions proposées sont faisables, ça passe très bien. Inversement, si une personne délivre des leçons environnementales de façon déconnectée de la vraie vie, depuis son jet privé entre Dubai et Marrakech, c’est plus compliqué», précise Émeline Tavernier, responsable Influence chez Isobar.
Les consommateurs, véritables juges de paix
En résumé, il faut que l’intention soit pure et authentique. Or précisément, on peut parfois se demander si les prises de position de certains influenceurs répondent à une vraie volonté de faire bouger les lignes ou s’il s’agit d’un moyen de s’acheter une image moins superficielle ou plus militante. «Certes, ils répondent aux attentes de leurs communautés, mais cela n’enlève rien à la sincérité du propos », souligne Émeline Tavernier. Il n’est pas rare, précise-t-elle, que certains d’entre eux refusent des collaborations avec des marques dont les prises de position ne seraient pas conformes à leurs valeurs. « Les marques pensent parfois, à tort, qu’un bon storytelling suffira à les embarquer, mais les bons influenceurs n’hésitent pas à leur dire non. Un grand pouvoir implique de fortes responsabilités», poursuit-elle. D’ailleurs, s’ils transigent avec leur ligne éditoriale, ils prennent le risque d’être déchus. C’est ce qui est arrivé à l’icône Yovana Mendoza. Filmée en train de manger du poisson, cette influenceuse vegan a suscité l’indignation. On le comprend, les communautés jouent le rôle de juges de paix, n’hésitant pas à rattraper soit les marques, soit les influenceurs. D’où l’importance de préciser quand il s’agit de partenariats, même si la cause est noble. «Les influenceurs doivent mentionner dans leurs posts s’il s’agit ou pas de publicité, notamment avec des hashtags de type #Ad. Ils doivent rester cohérents et ne pas parler de yaourt s’ils sont allergiques au lactose par exemple», observe Alexandre Faure, head of digital de l’agence Elan Edelman. Rien de pire que d’avoir l’air d’être manipulé par une marque ! C’est la raison pour laquelle nombreux sont ceux qui sollicitent leur indépendance quand ils signent des contrats. «Les marques doivent s’interroger sur la réciprocité du retour sur investissement, afin que les partenariats soient gagnants-gagnants», explique-t-il.
Un bon exemple de deal équilibré selon Alexandre Faure : celui entre l’un de ses clients et un photographe professionnel. «Pour ce dernier, c’est l’occasion de voyager à travers le monde et de sensibiliser à une cause en laquelle il croit : celle de sites à préserver de toute urgence, car ils sont menacés. Pour la marque, c’est l’occasion de s’associer à un projet plein de sens», souligne-t-il. Il s’agit bien de servir une cause, et non un business. Tout est fait de façon transparente, et surtout, le deal profite à tous.
Ce que les marques doivent avoir en tête
«Les influenceurs sont un moyen idéal pour permettre aux marques de communiquer. Ils font office d’amis qui nous donnent des avis. Ils bénéficient donc d’un vrai capital confiance dans un contexte où les gens sont fatigués des messages corporate», rappelle Yuval Ben-Itzhak, CEO de Socialbakers, un outil d’analyse des médias sociaux qui utilise l’intelligence artificielle. Se rapprocher d’un influenceur est donc une bonne idée, à condition, d’une part, qu’il y ait une bonne alchimie avec l’annonceur●; et d’autre part, que sa réputation soit bonne. Plusieurs marques ont eu à déplorer des partenariats décevants, soit parce que les influenceurs ne s’avéraient finalement pas irréprochables, soit parce qu’ils avaient menti sur les audiences. Les faux influenceurs coûteraient jusqu’à 174 millions d’euros par an aux marques d’après une étude de Captiv8.
«En tant que tiers de confiance, nous sommes là pour réaliser un travail d’audit et de certification et vérifier qu’elles ne prennent pas de risques pour leur image. Pour cela, la puissance n’est pas la seule variable. Il y a aussi la pertinence, observe Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence. Sur certains sujets de niche, une personne peut s’avérer intéressante, même si elle n’a que 200 followers.» Anthony Delorme, directeur associé chez Brainsonic, confirme que les internautes recherchent avant tout une parole authentique. «Une institutrice avec 500 followers peut être plus crédible sur des sujets d’éducation qu’un gros influenceur. À l’heure des réseaux sociaux, on est tous un peu activistes», conclut-il. Avis aux services marketing.