Le marché craignait que le Règlement général sur la protection des données [RGPD], entré en vigueur le 25 mai dernier, réduise la data disponible, voire étouffe l'innovation. Le cataclysme n'a pas eu lieu. «En réalité, ce n’est pas un frein car le RGPD permet de donner un cadre clair sur l’usage de la data. Je dirais même qu’il sécurise l’innovation», estime Pierre Harand, directeur général de l'agence data Fifty-Five. Il en veut pour preuve l’attitude de Facebook et Microsoft, qui ont annoncé avoir étendu les règles du RGPD à tous les pays où ils sont présents. Pour autant, l’industrie de l'ad tech a dû faire évoluer ses pratiques. Même s’il indique que le RGPD «a changé peu de choses», le spécialiste du retargeting Criteo a dû revoir ses procédures. «Nous ne traitons pas de données sensibles au sens où elles sont définies par le RGPD, explique Cédric Vandervynckt, executive vice-president EMEA de Criteo. Pour les autres données, dites pseudonymiques, et qui ne permettent pas d’identifier directement un internaute, le RGPD demande un consentement non ambigu.»
Bannières de sécurité
Criteo explique l’obtenir en deux étapes: lors d’une première visite, l’internaute se voit proposer une bannière qui l’informe sur les partenaires qui travaillent avec le site visité, les finalités de la collecte des données, et lui propose des liens vers les politiques de confidentialité et protection des données. Cette bannière est de nouveau présentée lors d’une seconde visite. «À la suite d'une action positive de l’internaute, qui continue à naviguer, nous pouvons considérer, comme la Cnil, que l’internaute consent à l’utilisation de ses données, non directement identifiables par les services que proposent les partenaires intégrés au site», précise Cédric Vandervynckt.
Obtenir le consentement soulève deux enjeux distincts, considère de son côté Franck Lewkowicz, directeur général France de QuantCast: «Le premier, c’est d’éviter de sur-solliciter l’internaute en l’obligeant à donner son consentement sur chaque site visité. Le second, c’est un enjeu propre à l’ad tech, qui est d’avoir un système qui assure un traitement conjoint de la réglementation afin d’éviter la multiplication des solutions incompatibles entre elles.» Particulièrement mobilisé sur ce second enjeu, l’IAB Europe a mis au point une norme (IAB Europe Transparency & Consent Framework) qui standardise le recueil du consentement et sa transmission à toutes les parties impliquées.
Les CMP [Consent Management Platform] qui s’en inspirent restent cependant une minorité. «Il existe aujourd’hui environ 150 CMP, dont 76 accréditées par l’IAB Europe, mais seulement une vingtaine sont techniquement réellement compatibles et permettent de transmettre à l’ensemble des outils le signal du consentement de l’utilisateur», estime Franck Lewkowicz. Celui-ci déplore par ailleurs que seulement 5% à 10% des annonceurs en France se soient dotés d’un tel outil.
Des cookies bien accueillis
Du côté des éditeurs, l'entrée en vigueur du RGPD faisait surtout craindre une perte d’audience. Mais les premières données issues des 8 800 domaines qui utilisent le CMP mis au point par Quantcast ne corroborent pas un tel scénario: le taux d’acceptation des cookies, résultant du consentement que fournit l’internaute pour l’utilisation de ses données, atteint 80 %, «et il devrait continuer à augmenter quand les internautes comprendront mieux ce que signifie le consentement», ajoute Franck Lewkowicz. Reste que pour Emmanuel Parody, secrétaire général du Geste, le groupement des éditeurs de service en ligne, ceci ne répond pas aux inquiétudes de ses adhérents: «Il ne faut pas se leurrer: pour chaque euro investi par un annonceur, autour de 30 centimes seulement reviennent à l’éditeur. Le vrai problème aujourd’hui est le nombre trop élevé d’acteurs intermédiaires, et le RGPD, en rajoutant des contraintes et des coûts, rend l’équation encore moins tenable.»
Pour Thierry Derouet, directeur digital de L’Étudiant, les évolutions actuelles ouvrent cependant de nouveaux horizons: «La reprise en main de la donnée tient aussi au besoin de personnaliser la relation pour avoir un lien plus fin et plus cohérent.» Appelant de ses vœux un renouveau des modèles d’attribution, en particulier de celui dit «au dernier clic», il veut croire qu’une nouvelle ère commence: «L’enjeu actuel est la segmentation des comportements qui se met peu à peu en place. Nous entrons dans l’ère du marketing synchronisé et tous les acteurs doivent reprendre de la hauteur.»
L’enjeu de la qualité
Après une phase de dépendance aux plateformes et aux acteurs du monde digital, les annonceurs veulent avoir une vision plus claire de la valeur de leur data. Pour Estelle Duval, directrice data business de Médiamétrie, le travail ne fait que commencer: «Aujourd’hui, il y a sur le marché un volume et une grande diversité de données dont la qualité impacte évidemment la qualité des campagnes. Des structures comme les grands groupes médias disposent de grandes bases de données mais elles sont de qualité très différente. Ils veulent pouvoir les hiérarchiser en fonction de l’usage auquel ils les destinent.» C’est désormais possible avec l’outil de data checking de Médiamétrie. Lancé fin mai, il permet de valider la qualité d’une base de données en la comparant au panel de Médiametrie, fort de 320 000 contacts qualifiés et audités par le CESP [Centre d'Étude des Supports de Publicité]. Cet outil de data checking fournit deux indicateurs : le premier établit le niveau de qualité de la base en prenant en compte chaque variable et le second mesure le taux de concordance de la base avec le panel de Médiametrie. «Cet outil aide les acteurs du marché à mieux gérer leurs propres bases mais aussi à mesurer la qualité des bases de leurs partenaires. Globalement, cela va favoriser un climat de confiance sur le marché publicitaire, ce qui devrait aider à développer le marché de la data», estime Estelle Duval.