De nouveaux supports permettent de lire la presse d'une manière différente d'autrefois: la feuilleter virtuellement, mais aussi agrandir une image, visionner une vidéo… Comment les médias peuvent-ils se décliner sur les tablettes et mobiles? Les enjeux sont de taille pour la presse écrite, qui doit réfléchir à de nouveaux formats et contenus adaptés ainsi qu'à de nouveaux types de publicités.
Les consommateurs s'équipent de plus en plus massivement de ces divers supports de lecture (smartphones, tablettes, liseuses numériques). Déjà, 19 millions de Français disposent d'un smartphone connecté à Internet. Pas mal pour un secteur qui a véritablement pris son essor il y a seulement cinq ans, avec le premier Iphone d'Apple. Côté tablettes, on n'en est encore qu'au début, avec 1,5 million d'unités vendues fin 2011 en France, pour 4,5 millions de possesseurs, d'après l'institut GFK.
Autre enjeu pour les éditeurs de presse, la diversification des plates-formes d'édition. Certes, le marché est encore dominé par l'Ipad d'Apple (70% des parts de marché fin 2011), mais la concurrence accrue des nouveaux terminaux équipés du système d'exploitation Android (26,9% fin 2011) pourrait changer la donne. Informa Telecoms & Media prévoit ainsi qu'ils représenteront 38% des parts de marché en 2015.
«On s'oriente vers une certaine démocratisation du marché, porté par la multiplication des terminaux Android», analysait Marie-Christine Crolard, directrice adjointe de l'institut NPA Conseil, lors d'une conférence organisée par le Syndicat de la presse magazine (SPM) en décembre 2011. Effet indirect d'un certain écrémage (arrêts de la Touch Pad de HP sept semaines après son lancement, du Streak 7 de Dell, etc.), les autres produits commencent à s'imposer, comme la gamme de tablettes Samsung Galaxy Tab. S'y ajoute l'arrivée d'un nouveau segment, les liseuses électroniques hybrides, telle la Kindle Fire d'Amazon, à un prix attractif (99 euros).
Si l'Ipad est – pour le moment – la tablette la plus populaire et la plus vendue, l'écosystème fermé d'Apple (terminaux, Itunes, Icloud) pourrait devenir une faiblesse, malgré ses quelque 200 000 applications…, notamment en raison des conditions commerciales imposées aux éditeurs (fixation des tarifs, gestion des données, commission – importante – de 30%). Face à cela, Google Play (le nouveau nom d'Android Market) s'impose comme un sérieux rival, déjà fort d'environ 350 000 applis et avec sa plate-forme de micropaiement pour éditeurs Google One Pass.
Pourtant, le lancement par Apple de son kiosque numérique pour Ipad, News Stand, le 12 octobre 2011, a – enfin, semble-t-il – les faveurs des éditeurs, initialement opposés aux paliers de prix imposés par le fabricant. Le système a reçu l'aval du conseil d'administration du Syndicat de la presse magazine (SPM) en février 2012. «Nous espérons pouvoir y aller rapidement», précisait Jean-Luc Breysse, alors directeur des pôles hommes, stars et loisirs de Mondadori France, lors de la conférence du SPM en décembre dernier.
Lagardère Active est également dans les starting-blocks: «La plupart de nos titres seront disponibles à l'acte et à l'abonnement sur News Stand à partir d'avril», nous annonçait Olivier Boutin, le directeur du développement des marques sur les tablettes, le 13 mars. Les titres seront proposés en simple PDF ou en PDF enrichi (avec des compléments audio, vidéo, etc).
Mais encore faut-il trouver un modèle économique pour décliner les marques sur ces nouveaux supports. En plus des traditionnelles bannières et des interstitiels, les régies publicitaires présentent d'autres formats: publicités intégrées aux pages pour les journaux disponibles en feuilletage virtuel, interstitiel d'ouverture, vidéos interactives, etc. «On voit apparaître les premiers couplages publicitaires presse-applications mobiles», précise Sophie Renaud, directrice du pôle expertise presse chez Carat. Beaucoup attendent aussi les premières mesures «d'usage» sur Ipad que publiera l'institut Mediamétrie à partir d'avril, qui donneront un premier aperçu de l'audience des applications mobiles des titres.
Le marché et le lectorat sont-ils prêts ?
Mais les éditeurs testent de nouvelles pistes, comme celle des applications événementielles, liées à une marque média déjà existante. Le groupe Express Roularta s'y est essayé avec l'appli Studio Ciné Live spécial Cannes 2011 (17 000 téléchargements), L'Express montres ou Point de vue mariages, lancé fin décembre 2011. «Le modèle économique publicitaire est simple, et cela mobilise un budget d'environ 15 000 euros», résumait Corinne Denis, lors de la conférence du SPM. Lagardère Active Digital, pour sa part, a testé le concept en mai 2011 en lançant une application Ipad pour l'opération «Elle aime la mode». Au menu: photos et vidéos de mode avec légendes interactives, une photographie d'atelier de confection à visionner à 360°, des croquis de Karl Lagerfeld et de Christian Lacroix qui se créent sous les yeux du lecteur… Voire le lancement de marques sur Internet ou des applications, dans le sillage de The Daily, ce quotidien 100% sur Ipad en février par Richard Branson. «Nous avons des projets en ce sens, de nouveaux titres sur tablettes…», annonçait Corinne Denis en décembre dernier. Encore faut-il que le marché soit prêt, que les lecteurs soient équipés, avec autant de tablettes ou de lecteurs que de smartphones. «Pour les nouveaux titres qui se lancent directement en version tablette, il y aura un problème de notoriété et de référencement», avertit Marie-Christine Crolard, de NPA Conseil. «Il faut que la marque soit prééxistante et connue. C'est risqué de se faire connaître uniquement sur Ipad», ajoute Sophie Renaud, de Carat. Enfin, pour qu'une telle opération soit rentable, «il faudra s'associer à au moins un annonceur», ajoute Olivier Boutin, de Lagardère Active.
Quelques-uns tentent leur chance, comme le «pure player» Helico Microl, consacré aux hélicoptères télécommandés, lancé en septembre 2011 uniquement sur la tablette d'Apple. En mai de la même année, Le Figaro lançait le «I-mad by Madame Figaro», un magazine gratuit compatible avec toutes les tablettes, avec un mélange de contenus exclusifs et d'articles repris de l'hebdomadaire féminin. Par ailleurs, les grands éditeurs y testent de nouveaux titres: Hearst a lancé sur Ipad Cosmo for Guys, destiné aux hommes, Condé Nast The Daily W, un nouveau magazine numérique inspiré du titre W Magazine.
Encadré 1
Quand Hearst teste Cosmopolitan pour hommes sur Ipad
En septembre 2011, Cosmopolitan US lançait un magazine sur Ipad uniquement, Cosmo for Guys, destiné aux hommes. Une déclinaison pour hommes du mensuel féminin proposant des articles de fond ou plus légers, des sondages, etc. Vendu 1,99 dollar à l'unité ou 3,99 dollars par mois (ou encore 19,99 dollars à l'année, pour douze numéros), ce magazine version Ipad bénéficie d'enrichissements médias: interactivité poussée, taille des vidéos adaptable à celle de l'écran, sondages en temps réel, échantillons audio…
Encadré 2
The Daily W, un magazine gratuit exclusivement sur Ipad
Un magazine numérique proposé gratuitement et uniquement sur la tablette d'Apple: le groupe Condé Nast teste le concept avec The Daily W, disponible sur l'App Store de la marque à la pomme. Un magazine-catalogue où les lecteurs peuvent découvrir les «must sees» et «must haves» sélectionnés par les journalistes du titre W Magazine.