La fermeture de Megaupload par les autorités américaines, vendredi 20 janvier, a mis en lumière le rôle des Anonymous dans les attaques contre les défenseurs de la propriété intellectuelle. En France, les sites d'Universal, de la Hadopi et même de l'Elysée ont ainsi été assaillis de cyberattaques par «déni de service», consistant à perturber le fonctionnement d'un site en le saturant de connexions.
Lundi 23 janvier, le site Internet de Vivendi, actionnaire d'Universal, a ainsi momentanément dû fermer à la suite d'une offensive concertée multipliant les requêtes synchrones sur son serveur. Une technique également éprouvée sur le site du ministère français de la Défense, qui a retrouvé sa configuration initiale après avoir été bloqué dans la journée de lundi 23 janvier. Quant à L'Express, son site était la cible lundi soir d'une cyberattaque après les propos sur I-Télé de Christophe Barbier, son directeur de la rédaction.
Ton mi-potache, mi-funeste
Olivier Laurelli, dit Bluetouff, 35 ans, présenté par Télérama comme le «chasseur» de ce «cinquième pouvoir» que représente la mouvance des hackers en France, propose ce même jour sur son compte Twitter «430 Mo de documents financiers» piratés chez Universal. Chez Bluetoof, le ton est mi-potache mi-funeste, à l'exemple de ce tweet: «Quand les technos en auront marre de servir les marketeux qui se tirent la bourre, il ne restera plus rien d'Orange.»
François Revol, un cyberactiviste qui arbore sur son compte Twitter le même «STOP SOPA» (pour Stop Online Piracy Act, le projet de loi américain contre la piraterie ajourné après la levée de boucliers déployée sous l'influence de Wikipédia et de Google) conseille aussi à I-Télé, propriété de Canal+ (Vivendi) d'éviter de «dire n'importe quoi» lorsqu'il aborde le sujet d'Anonymous: «Regardez Vivendi.com.»
Les cyberactivistes relaient aussi actuellement un appel signé «Anonymact» annonçant en mars à Paris «une manifestation de rue anonyme et festive pour attirer l'attention des citoyens sur les agissements des gouvernements et de certaines entreprises qui violent nos droits et libertés fondamentales [...], exerçant ainsi une censure illégitime sur certains contenus et services d'Internet». En France, sont principalement visées les lois Loppsi (loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) et Hadopi.
Bienfaiteurs de l'humanité?
Comment comprendre cette mouvance anonyme qui se mobilise en France, comme aux Etats-Unis, contre ce qu'elle estime contraire à la liberté sur Internet? Comme plusieurs hackers et cyberactivistes, Olivier Laurelli, responsable de sécurité informatique de profession, était l'invité les 12 et 13 janvier de Canal France International, filiale de France Télévisions, pour un colloque à Tunis sur les médias et Internet (4M Tunis). Avec Pascal Hérard, informaticien devenu journaliste et animateur à Radio libertaire, il anime le site Reflets.info qui se veut au croisement de l'esprit hacker et de l'information. A leur actif, via le mouvement des Telecomix, le rétablissement fin janvier 2011 d'une connexion Internet en pleine révolution égyptienne pour contourner le black-out imposé par le régime de Moubarak.
A la différence des Anonymous, qui affichent pour profession de foi «Nous ne pardonnons pas, nous n'oublions pas» et qui ont fait du «déni de service» une arme, les Telecomix revendiquent une approche plus constructive. Ils se félicitent ainsi de jouer un rôle dans le contournement de la censure syrienne et la lutte contre la surveillance généralisée de la population. Leur dénonciation de la société française Amesys, filiale de Bull, qui a vendu du matériel d'espionnage à la Libye de Kadhafi ou au régime de Bachar Al Assad, a été reprise et approfondie par le site Owni.fr.
A la paralysie des connexions propre aux Anonymous, les Telecomix préfèrent donc le rétablissement de communications sécurisées aux profit de courriels et de vidéos expédiés anonymement hors du pays. «S'il n'y avait pas Telecomix, les gens seraient arrêtés et torturés en sortant des infos», affirme Pascal Hérard, qui souligne que l'anonymat des échanges évite à des blogueurs syriens d'être abattus par des snipers qui les pistent via leur téléphone portable. L'action de Telecomix et de Reflets.info, reprise dans le Wall Street Journal, commence à faire parler d'elle aux Etats-Unis: la société américaine Blue Coat, qui a permis à la censure syrienne de se connecter aux opposants, a donné lieu à une enquête du département d'Etat américain et à une lourde amende pour contournement de l'embargo sur ce pays.
De grandes entreprises dans le collimateur
Les Telecomix s'intéressent aujourd'hui à Ziad Takieddine ou aux activités d'Amesys en Arabie saoudite ou au Qatar. Mais les entreprises comme Bouygues au Kazakhstan sont aussi dans dans son rayon d'action. Leur but est de récupérer des données notamment financières (commissions, rétrocommissions) et de les rendre publiques. A Tunis, Olivier Laurelli a d'ailleurs fait des offres de service à Edwy Plenel, fondateur de Mediapart et de son pendant «open data» Frenchleaks, également présent au colloque. «On aurait plaisir à échanger car on a des petits bouts qui vous manquent...»
Quid des éventuels conséquences humaines sur les entreprises? Les animateurs de Telecomix rappellent le principe de la divulgation de responsabilité («responsability disclosure») qui consiste à avertir à l'avance les responsables d'une société visée en cas de nécessité. Mais ce principe est laissé à l'appréciation morale des hackers.
On sait que cette question est restée sensible après la divulgation par Wikileaks des «war logs» en Iraq, ces documents militaires américains qui comportaient des noms de personnes.
Quoi qu'il en soient, les grandes entreprises ne sont pas épargnés: Nokia Siemens en Iran ou Alcatel Shangai en Birmanie sont accusés aider des régimes totalitaires à surveiller leur population sur les réseaux.
Quant aux Anonymous, ils commencent à s'intéresser aux plans sociaux en Europe. Le 6 janvier, Anonymous Belgium a ainsi mis sa menace à exécution en bloquant le site Internet d'Arcelor-Mittal.