Après les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et une vingtaine d'autres pays, la France s'est dotée d'un portail «open data», où tout internaute peut consulter des données publiques et les télécharger librement pour les réutiliser gratuitement grâce à une licence ouverte.
Data.gouv.fr rassemble des informations concernant le projet de budget de l'Etat pour 2012, la qualité de l'air, la localisation des accidents de la route ou encore la répartition des subventions aux associations. Au total, 352 000 jeux de données publiques provenant de 90 organismes ou sociétés publiques (ministères, Insee, SNCF, etc.) ont été mis en ligne pour l'ouverture du site, soit 140 fois plus que lors de la naissance de son grand frère britannique.
«C'est un acte de transparence inédit de la part de l'Etat, souligne Séverin Naudet, directeur d'Etalab, mission créée en février 2010 par le Premier ministre pour coordonner l'ouverture des données publiques en France. On passe d'une logique de demande [des citoyens] à une logique d'offre proactive et ambitieuse.»
Dépendant de Microsoft
L'avancée est largement saluée par la société civile. «L'Etat a fait un véritable effort en proposant des données sous licence libre. Il y a encore quelques mois, on craignait de voir émerger un modèle payant», se félicite Benjamin Ooghe-Tabanou, l'un des cofondateurs de Regards citoyens. Ce collectif milite depuis plus de deux ans pour un accès simplifié aux informations publiques. Après avoir épluché les documents de travail d'Etalab, il estime que 65% des données publiées sur la plate-forme étaient déjà disponibles sur Internet. Regard citoyens salue néanmoins un gros travail de reformatage, car ces données étaient souvent publiées sur différents sites et dans des formats inutilisables.
Restent deux bémols. Benjamin Ooghe-Tabanou se dit «très mitigé» sur le format des fichiers. «Près de 95% des données sont disponibles sous forme de tableau Excel, propriété de Microsoft, ce qui pose un problème de souveraineté pour le gouvernement», soulève-t-il. De plus, certaines données demeurent payantes ou inaccessibles, comme la base de données des marchés publics.
Comme le répète Séverin Naudet, la plate-forme lancée lundi 5 décembre n'est qu'une première version, perfectible. Il promet que d'autres informations seront publiées rapidement et que le portail se perfectionnera techniquement. Il faudra notamment fignoler les réglages du moteur de recherche. Un internaute qui s'est amusé à taper «cocaïne» s'est vu proposer une série d'informations sur le «pays de Cocagne».
Alimenter l'économie numérique
La question de la réutilisation des données en ligne est grande ouverte. «Tout le monde pourra se servir de ces données, se réjouit Benjamin Ooghe-Tabanou. Les citoyens curieux, les journalistes, les chercheurs, les associations et toute la société civile, qui pourra dialoguer sur un pied d'égalité avec l'Etat.»
La démarche vise aussi à encourager «l'essor d'un écosystème de l'innovation autour de l'open data». En janvier, Etalab lancera Les Dataconnexions, un programme de soutien à la réutilisation des données publiques sous forme de «services en ligne innovants, d'applications mobiles ou d'infographies [...] au service des citoyens». Si la plate-forme a coûté jusqu'à présent 900 000 euros hors taxes, selon Séverin Naudet, l'Etat ne demande en retour «que les recettes fiscales générées par l'activité» des nouvelles start-up qu'il espère voir fleurir.
La société Data Publica, qui référence et commercialise des données (publiques et privées) depuis mars 2011, estime que ce marché représente environ 1,6 milliard d'euros en France. «Data.gouv.fr va perturber de façon intéressante le marché», prédit François Bancilhon, son fondateur.
Convaincre les collectivités territoriales
Treize «correspondants open data» ont été nommés dans les ministères pour encourager les fonctionnaires à libérer leurs données. La démarche sera plus ardue dans les collectivités territoriales. Quatre d'entre elles se sont pour l'instant associées à Data.gouv.fr: le Loir-et-Cher (présidé par Maurice Leroy, ministre de la Ville), Longjumeau (ville de Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'Ecologie), Saint-Quentin (celle de Xavier Bertrand, ministre du Travail) et Coulommiers (mairie également UMP). Problème: d'autres collectivités tenues par la gauche (Rennes, Nantes, Paris, etc.) ont lancé leur site avant le 5 décembre avec leur propre mode de fonctionnement.
Le conseil général de Saône-et-Loire, qui a inauguré sa plate-forme fin septembre, ne s'oppose pas par principe à rejoindre Data.gouv.fr. «Un regroupement pourrait servir la transparence des finances publiques, d'autant que nous avons fait le choix de mettre toutes nos données en ligne, sans rien laisser dans les tiroirs. Mais nous n'avons pas été contactés», affirme Pierre Martinerie (PS), vice-président chargé de la démocratie participative du département.