Arrivés à un certain point de leur vie personnelle et professionnelle, à un certain degré de réussite, de réputation, d'expérience, d'aucuns achètent une maison de campagne. D'autres choisissent de faire un journal. C'est le cas de Gabriel Gaultier.
Passionné de presse, le président de l'agence de publicité Leg est le patron d'un nouveau magazine, annoncé pour le 23 septembre. Une aventure où l'accompagnent Luc Lemaire, ancien directeur général de Citizen K, et les trois animateurs du «magbook» Usbek & Rica: Jérôme Ruskin, Thierry Keller et Blaise Mao.
Cet attelage vient de boucler le premier numéro de Big Bang, un mensuel très ambitieux, dont le sous-titre explicite le propos: «le magazine des possibles». Tout un programme.
Au commencement était une déception, presque une contrariété. «L'an 2000 a disparu», lâche Gabriel Gaultier. Comprendre: les utopies, les doutes, les craintes, éventuellement. «Où sont la vie sur la Lune, la vie sous-marine, les voitures sans roues? À la place, on a eu le “travailler plus pour gagner plus”, DSK, le Grenelle de l'environnement.»
Il y a du Jules Verne dans l'air. Une filiation revendiquée par l'équipe de Big Bang, qui complète sa liste avec Actuel, Science & Vie, Les Dossiers de l'écran et Esquire, époque sixties.
Sur 180 pages, ce nouveau magazine dos carré de format 340x260 abordera chaque mois un «grand sujet» («ne plus jeter», «vers les États-Unis d'Afrique», «tous beaux tous grands», «un ascenseur pour l'espace», «demain l'immortalité» sont dans les cartons). «L'idée n'est pas de suivre l'actualité mais de la provoquer, d'avancer des hypothèses, d'agiter des utopies pour faire avancer les choses», raconte Gabriel Gaultier. Les articles seront longs, l'écriture et l'iconographie soignées. Chaque une de Big Bang sera «comme une affiche». Vu le pédigree et le tableau de chasse de Gabriel Gaultier, on ne devrait pas être déçu. Les unes seront vendeuses, car il faut vendre, et beaucoup.
L'attachement au papier
C'est l'une des surprises du projet Big Bang: tiré à 400 000 exemplaires, ce mensuel va chercher à convaincre à terme entre 200 000 et 300 000 acheteurs. Encore une utopie? «Nous croyons au papier et nous croyons à l'intelligence, argumente Luc Lemaire. Il y aura toujours des gens paresseux, qui n'ont pas ou qui ont perdu le goût de l'effort, mais ils sont moins nombreux qu'on le croit. L'attachement au papier persiste ou revient, comme revient l'attachement au vinyle.» Le lectorat visé n'est pas le bobo parisien. C'est «l'honnête homme, l'auditeur de France Inter, le notaire d'Angoulême», résume Gabriel Gaultier. Qui précise: «Nous cherchons à intéresser les gens qui ont envie de temps de lecture. À rebours des lois d'airain de la presse Ganz.»
Autre surprise, le prix de vente, fixé à 2 euros. Logique compte tenu des objectifs de vente et de la dimension vulgarisatrice du projet, mais à tout le moins très audacieux. L'économie de Big Bang reposera donc sur les recettes publicitaires. «La publicité doit représenter à terme les trois quarts du chiffre d'affaires», précise Luc Lemaire. Gabriel Gaultier et lui présentent depuis quelque temps leur bébé dans les agences médias et font état d'échos positifs. Ce nouveau mensuel devrait intéresser, pensent-ils, des annonceurs «masculins», pour des produits comme la banque, l'automobile, les montres ou encore les boissons.
Moins critique en règle que réhabilitation de la presse magazine dans sa forme, son fond et son ambition, Big Bang se propose donc de tenter de valider l'équation «2 euros = haut de gamme». Nouvelle utopie? Comme le lance Gabriel Gaultier, un rien bravache: «À un moment, il faut s'engager. Qui nous aime nous suive.»