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L'armée compte 1,5 million de fans sur Facebook, mais un blogueur a été condamné à trois ans de prison par une cour martiale. L'avenir d'Internet après Moubarak suscite des inquiétudes.

Le 27 janvier au soir, alors que la mobilisation s'annonce très forte pour le lendemain, «vendredi de la colère» où des millions de manifestants sont appelés à demander le départ du président Moubarak, Internet est coupé en Egypte. Une première dans l'histoire du Net. Jamais aucun pays, aussi répressif soit-il, n'avait été jusque là alors que le coût de cette coupure est estimé aujourd'hui à 18 millions de dollars par jour. Pour l'Egypte, qui comptait plus de 23 millions d'utilisateurs à la fin 2010, les conséquences sont énormes, et pas seulement pour la contestation. Aucune carte bancaire internationale, par exemple, ne fonctionne alors dans les magasins.


Dans les faits, les autorités exigent des fournisseurs d'accès qu'ils se déconnectent du reste du monde. Seul Noor, à travers lequel la Bourse et quelques grandes sociétés fonctionnent, peut maintenir ses activités... pour un temps. Shahinaz Abdel Salam, militante de longue date, est coincée à Paris et suit en temps réel par Internet la mobilisation. Ce soir-là sur Twitter, les messages se multiplient: «Internet est coupé en Egypte.»«C'était stupide de la part du régime: beaucoup de jeunes sont descendus dans la rue pour voir ce qui se passait, au Caire, à Alexandrie et à Suez aussi.»

 

L'armée tisse son réseau

Les militants pro-démocratie et une petite brigade de geeks très actifs dans le mouvement trouveront vite des parades, appuyés et aidés en dehors du pays. Au titre du préjudice subi, l'ex-raïs Hosni Moubarak, à l'instar de l'ex-ministre de l'Intérieur et du chef du gouvernement, vient d'être condamné à payer à l'Etat 33,5 millions de dollars.

 

L'armée égyptienne, qui assure la transition, semble avoir choisi de tirer parti des réseaux sociaux, que beaucoup analysent comme initiateurs ou catalyseurs de ce printemps arabe. Les communiqués officiels sont diffusés sur Facebook, et le ton martial et plutôt inhabituel pour le réseau ne semble pas rebuter, au contraire: la page est suivie par près de 1,5 million de fans. Rapportés aux plus de 7 millions d'utilisateurs Facebook en Egypte, c'est un bon score, et d'autres veulent en profiter.

 

La police très décrédibilisée - la répression très violente des manifestants a fait 800 morts - a finalement réinvesti les rues du Caire. Parallèlement, sur Facebook, quelques jeunes officiers tentent une opération séduction pour restaurer la confiance avec leurs administrés: «Officiers de police contre la corruption» compte 35 000 fans.

 

Sous surveillance

Dans le rapport annuel de Reporters sans frontières (RSF) publié en mars, l'Egypte passe de la catégorie «ennemi d'Internet» à celle de «pays sous surveillance», mais au-delà de cette vitrine rassurante qu'en est-il réellement des libertés sur Internet  «La main de fer de l'armée est encore plus dure que celle de Moubarak», juge Tarek Mounir, militant des droits de l'homme et correspondant local de RSF. Le 10 avril dernier, Maikel Nabil Sanad, 25 ans, a été condamné devant une cour martiale à trois ans de prison pour avoir dénoncé sur son blog tortures et mauvais traitements qui auraient été commis par les militaires contre des manifestants. Son cas divise la Toile égyptienne (lire encadré). «Soutenir Michael, c'est dénoncer l'armée et ça passe mal, estime Tarek, et ceux qui le défendent sont perçus comme des traîtres.»

 

Pour Wael Abbas, un des blogueurs égyptiens les plus influents, «il s'agit d'une période test, Internet est relativement libre mais tout le monde est inquiet dès qu'il s'agit de parler de l'armée». Sur la condamnation de Maikel Nabil, il souligne: «Avant, les blogueurs avaient affaire à des tribunaux civils: cela signifiait des avocats, bénéficier d'une libération sous caution, et un appel. Il n' y a rien de tout cela devant une cour martiale.» Soumis régulièrement à des menaces, harcelé et arrêté plusieurs fois sous l'ancien régime, Wael Abbas n'a pour l'instant rien à déplorer, «mais des militaires posent des questions sur moi, et cela m'inquiète».


Il en faut plus pour museler les activistes de la Toile égyptienne. A l'initiative de Wael Abbas et d'autres, un «anti-SCAF blogging day», journée des blogueurs contre le Conseil suprême de l'armée (SCAF en anglais) a été suivi par près de 400 Egyptiens, certains ayant même lancé leur blog à cette occasion. Le jour même sur Twitter, c'est une avalanche de hashtags (#). L'union fait la force et rend peu probable des poursuites et des arrestations massives par l'armée pensent ces militants, mais le but est aussi de secouer un paysage médiatique très libre depuis la révolution ; mais qui évite soigneusement de parler de l'armée. «C'est incroyable, on filme partout sans autorisation, raconte une reporter TV, alors qu'avant il fallait en obtenir une tous les mois. La parole des médias se libère et on n'a jamais entendu autant de critiques, mais il y a encore une limite que les journalistes ne franchissent pas: la critique de l'armée.»

 

(encadré)

 

Maikel Nabil Sanad, blogueur controversé
Maikel Nabil Sanad a été condamné à trois ans de prison, le 10 avril, par une cour martiale pour «insultes à l'institution militaire», «publication de fausses nouvelles» et «trouble à l'ordre public». Sur son blog, il avait dénoncé les arrestations abusives, les mauvais traitements et les actes de torture qu'aurait commis l'armée contre des manifestants et des militants. Ce cas a divisé la communauté des blogueurs en raison de la réputation sulfureuse de Maikel Nabil Sanad, objecteur de conscience et pro-israélien. Certains, comme Zenobia, déplorent le procès devant une cour martiale (http://egyptianchronicles.blogspot.com/) mais soulignent qu'il a accusé l'armée sans preuves et s'est illustré par le passé pour ses provocations envers les militaires.

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