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Paradoxe de la comparution de DSK devant le tribunal de Manhattan, deux directs se répondaient : ceux qui ne voyaient rien et disaient tout, et ceux qui ne disaient rien et suivaient tout.

Le tribunal pénal de New York, où comparut Dominique Strauss-Kahn, la semaine dernière, fut à la fois un lieu d'images verdâtres et sidérantes, en léger différé, et le théâtre d'une information sans images. Au journal télévisé de TF1, le jeudi 19 mai, l'on pouvait en effet voir Laurence Ferrari contrainte de suivre en direct et sans accès visuel une audience qui allait décider de la mise en liberté surveillée du patron du FMI.

C'est ainsi que pour la première fois sans doute dans un JT de cette importance, Twitter fut cité au journal de la Une comme s'il s'agissait d'une grande agence de presse. L'information y était parfois très relative: «Et on apprend grâce à Twitter que Dominique Strauss-Kahn est vêtu d'un costume gris, d'une chemise blanche et qu'il a souri à sa femme, Anne Sinclair», détaillait Laurence Ferrari.

Mais le réseau social, nourri de tweets de journalistes, est à ce moment là le seul moyen d'accéder à la salle d'audience où une seule caméra contrôle, après décision du juge, la captation d'images et leur diffusion en différé. Parmi les quelque 130 journalistes présents dans l'assistance, un bon tiers de Français. Les tweets de Grégory Philips, de France Info, qui est passé en une semaine de 22 à 4 500 followers sur son compte personnel, font immédiatement l'objet d'une transcription sur l'antenne de la radio: «C'est compliqué de faire du journalisme traditionnel tout en tweetant, reconnaît le reporter, qui s'est senti un peu seul. Soit tu écoutes et tu prépares ton papier, soit tu tweetes.»

Le réseau aux 140 caractères s'est imposé devant la télévision pour suivre en direct les différentes étapes de l'audience. À côté, à l'entrée du tribunal, les correspondants des chaînes faisant face aux caméras apparaissent en marge de l'événement. La connexion par oreillette avec les journalistes tweetant à l'intérieur est indispensable pour assurer le direct.

Donner du sens aux images

À France 2, ce même jeudi, où un débat est organisé avec David Pujadas, les tweets abondent également et paraissent mieux informés que l'envoyée spéciale présente à l'image (elle annonce une libération immédiate de DSK, qui n'interviendra que le lendemain). Curieusement, l'information tweetée sans caméra contraste avec une surdose d'images de «perp walk» (ou «perpetrator walk»), cette marche du suspect, notamment exploitée par Rudy Giuliani, procureur général (avant d'être maire de New York) dans les années 1980, dans la lutte contre la délinquance en col blanc. La séquence d'un DSK entravé a tourné en boucle sur les écrans français, en contravention avec la loi Guigou sur la présomption d'innocence.

Selon l'avocat Christophe Bigot, spécialiste du droit de la presse, cette diffusion est néanmoins licite: «L'événement est d'une portée telle que l'image doit être admise au regard des critères posés par la Cour européenne des droits de l'homme, qui protège la liberté d'expression.» Il n'en va pas de même, selon lui, de l'image du Strauss-Kahn détenu à Rikers Island publiée par le Financial Times: «Un cliché de Carlos dans sa prison a été condamné car il viole l'article 226-1 du Code pénal sur la captation d'une image dans un lieu privé.»

Hervé Brusini, qui suit les nouveaux médias à France Télévisions et vient de publier Copie conforme. Pourquoi les médias disent-ils tous la même chose? (Seuil), insiste sur la nécessité de donner du sens aux images: «Il est insupportable de banaliser des images qui n'ont rien de banal pour en faire des succédanés d'illustration. Il importe de donner un éclairage par une mise à distance.» Quant à Twitter, il offre, selon lui, «mille regards et une capacité de confronter ces regards». La validation reste néanmoins de mise: I-Télé a ainsi repris un peu trop vite, le 16 mai, que Tristane Banon portait plainte contre Dominique Strauss-Kahn. Il s'agissait d'un faux compte Twitter!

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