Soixante-dix demandes de nouvelles publications ont été acceptées depuis la chute de Ben Ali, le 14 janvier. Mais les anciens médias n'ont pas encore fait leur révolution.

Le président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Mokhtar Trifi, a profité de la remise du Prix Albert Londres à Tunis, le 14 mai, pour dépeindre une situation de «détresse»: après vingt-trois ans de dictature Ben Ali marquée par la répression et l'exil des journalistes libres, la profession doit, dit-il, «faire le ménage» en son sein. «Il n'y a presque pas de nouveau. Les journalistes qui insultaient à longueur de colonnes les défenseurs des droits humains (…) continuent à salir.»

La révolution du 14 janvier dernier semble en effet s'être arrêtée aux portes des médias tunisiens. La télévision publique est accusée d'avoir diffusé début mai les aveux extorqués sous la torture d'un jeune homme déclarant avoir été payé pour organiser des troubles. Interrogé par Stratégies, Mehdi Houas, le ministre du Tourisme, le reconnaît: «La télévision nationale, c'est une catastrophe. Elle n'a pas à passer des aveux, mais nous ne maîtrisons pas la télévision nationale.» Le ministre évoque des «nostalgiques de l'ancien régime» aux mains des grands médias.

De son côté, Sihem Ben Sedrine, de la radio libre Kalima, raconte au cours d'un débat organisé le 13 mai à l'hôtel El Mechtel que Nessma TV, la chaîne codétenue par Berlusconi et Tarik Ben Ammar, a aussi diffusé des «aveux» dans lesquels elle-même était accusée d'avoir fomenté «des actes de violence». Elle évoque une «révolution sans débat sur la police et les médias» et une censure qui persiste: «On a fait du copier-coller et on a remplacé Ben Ali par la révolution, mais c'est la même chose», dit-elle.

L'universitaire Larbi Chouikha souligne que beaucoup de journalistes «qui ont collaboré et se sont même compromis» affirment aujourd'hui leur attachement à la révolution démocratique. «Mais sont-ils sincères? interroge-t-il. Le paysage médiatique, avec ses critères d'allégeance, n'a pas changé.»

«Les journaux sont discrédités»

Pour l'heure, le nouveau régime ne compte ni cadre juridique ni instance de régulation. Larbi Chouikha demande de nouvelles licences d'exploitation audiovisuelles ainsi qu'un travail de formation auprès des journalistes. Dans la presse écrite, soixante-dix demandes de nouvelles publications ont été acceptées. Parmi elles, Le Maghreb ou L'Express de Tunis, qui sortiront en juin.

Mais, comme le note Olfsa Belhasine, du journal La Presse, où l'on en appelle encore à un «encadrement de l'opinion», «la censure n'a épargné aucune rubrique, pas même la météo». Et les journalistes ignorent tout de l'enquête ou du reportage. «Les journaux sont complètement discrédités, assène le blogueur Sofiane Ben Hej, ils attendent toujours la becquée du pouvoir.»

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