En annonçant, le 4 février, des négociations exclusives avec le tandem Courbit-Publicis, France Télévisions s'apprête-t-il à mettre la touche finale au désengagement de sa régie publicitaire? Ou faut-il penser, au contraire, que tout commence? Du Parti socialiste au groupe Lagardère en passant par la CGT ou TF1, nombreux sont ceux qui s'interrogent, plus ou moins ouvertement, sur cette opération. La vente «n'est pas faite, loin s'en faut», a estimé dans LeJournal du dimanche Patrick de Carolis, PDG de France Télévisions. Deux mois avant la fin de la période d'exclusivité, inventaire des questions qui fâchent.
France Télévisions a-t-il bradé sa régie ?
C'est ce pense Marc Chauvelot, secrétaire général du SNRT-CGT du groupe public, pour qui «il y a beaucoup d'incertitudes sur le financement de France Télévisions et le maintien de la suppression de la publicité». Bien que les repreneurs s'engagent à maintenir l'emploi pendant trois ans, les syndicats ont demandé un moratoire.
Ils ont été rejoints par Lagardère, candidat malheureux pour 1 euro symbolique, qui estime que la décision du Conseil d'État de remettre en cause l'arrêt de la publicité et la procédure d'infraction de Bruxelles contre la France sur la taxe télécoms «interroge» le processus de cession.
Pour le groupe public, ces arguments ne tiennent pas, puisque la suppression de la publicité a bien été votée et que la taxe sur les télécoms est affectée au budget de l'État. Cependant, Patrick de Carolis a demandé au gouvernement de confirmer par écrit la suppression totale de la publicité après 2012.
Si le cadre devait changer après la cession, il exclut tout effet d'aubaine: les recettes de journée seraient intégralement reversées à France Télévisions. Le duo paierait alors 20 millions d'euros (dont 4 en développement) sans pouvoir spéculer sur un maintien de la publicité.
Le producteur Stéphane Courbit va-t-il interférer dans la régie ?
C'est ce que confie un dirigeant de TF1, qui estime que le producteur de Nagui (via Banijay) sur France 2 aura tout loisir d'assurer les beaux jours de ses programmes sur le service public en orientant vers eux la demande des annonceurs, notamment via le parrainage et les programmes courts. D'autant que le placement de produit est sur le point d'être autorisé en France.
En reprenant avec Publicis 70% de FTP, Stéphane Courbit met la main sur un portefeuille de marques susceptibles d'épouser ses contenus. Il a d'ailleurs eu l'intelligence d'aligner ses intérêts avec ceux des salariés en associant ces derniers au capital de la régie (à hauteur de 15%).
Y-a-t-il conflit d'intérêts au niveau de Publicis ?
Maurice Lévy estime dans Le Figaro que son groupe n'a «jamais été pris en défaut du franchissement de la ligne jaune». Son enseigne Vivaki se situe au troisième rang au niveau de l'achat d'espace de la régie, avec 13 à 14% de part de marché, et Publicis ne détiendra en propre que 22% de FTP.
Dominique Delport, PDG d'Havas Media, lui donne raison : «Cela ne me choque pas, on vit dans un monde de convergence, et les lignes ont tendance à devenir de plus en plus poreuses. Cela ne changera rien à nos préconisations en faveur des audiences de qualité de France Télévisions.»
Publicis compterait apporter ses supports de Médias & Régies Europe (Médiavision, Métrobus, Le Monde Publicité, Espace Libération, Régie 1, etc.) pour établir des synergies avec FTP à travers une plate-forme multimédia étendue au mobile et à Internet. Maurice Lévy a accepté d'améliorer son offre en ce sens à l'issue d'une rencontre avec Patrick de Carolis, début janvier.
La position d'Alain Minc est-elle problématique ?
Mediapart a montré que l'éminence grise du chef de l'État sur la réforme de France Télévisions est aussi le conseil de Stéphane Courbit depuis 2001. En 2007, il a reçu en récompense 3% d'actions gratuites de Financière Lov, laquelle est une filiale de Lov Group qui rachète FTP. Cela permet à Courbit d'affirmer qu'Alain Minc n'est «ni de près ni de loin lié à cette opération». Mais pour Arnaud Montebourg (PS), qui laisse entendre qu'il déposera un recours en Conseil d'État, le fait de conseiller à la fois le vendeur et l'acquéreur, tout en étant intéressé à sa fortune, est bel et bien constitutif d'un conflit d'intérêts.