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En accueillant pour les cinq prochaines années le Web Summit, la grande messe numérique mondiale, la capitale lusophone se positionne comme terre d’innovation européenne. L’écosystème des start-up y est encore jeune mais dynamique.

Est-ce le pont du 25-avril en acier rouge suspendu au dessus du Tage, bâti par le même architecte que le pont du Golden Gate à San Francisco, qui donne à Lisbonne ce petit air de côte ouest américaine? Plus seulement. Depuis quelques années, la capitale du Portugal cherche à marcher dans les pas de sa grande soeur, la Silicon Valley, pour devenir le cœur européen de l’innovation. Et les organisateurs du Web Summit, gigantesque événement consacré aux nouvelles technologies et à l’innovation, ne s’y sont pas trompés. Depuis sa création en 2009, le «Davos des geeks» se tenait à Dublin, en Irlande, pays d’origine des fondateurs Paddy Cosgrave, David Kelly et Daire Hickey. Mais pour les cinq prochaines années, c’est la capitale lusophone qui a été choisie pour accueillir ces rencontres (elle était en concurrence avec Amsterdam). «Le Web Summit, c’est plus qu’un événement. Pendant une semaine, Lisbonne est exposée aux yeux des entrepreneurs, des investisseurs et des politiques du monde entier. L’objectif c’est de faire briller le Portugal sur la carte de l’innovation», se réjouit Adolfo Mesquita Nunes, ex-secrétaire d'État au Tourisme de 2013 à 2015, reconnu pour son action digitale et innovatrice et qui a contribué au rapatriement du Web Summit au Portugal. «C’est aussi le moyen de créer les conditions pour attirer les entreprises et les inciter à rester», ajoute-t-il.

Dématérialisée

Durant plus de quatre jours, la ville entière a battu au rythme de cet événement pourtant très spécialisé. Depuis l'aéroport jusque dans les quartiers reculés, tout s’est organisé autour du Web Summit: les transports, les soirées de networking dans différents établissements, l’affichage et les décorations, etc. Pour les 545 000 habitants, l’arrivée de plus de 53 000 participants, issus de 15 000 entreprises et de 165 pays, l’impact touristique est crucial. Les retombées directes devraient s'élever à 200 millions d'euros sur l'économie du Portugal, dont 50 millions pour l'hôtellerie, selon des estimations du gouvernement. Surtout, c’est l’occasion de renforcer l’image de Lisbonne comme terre technologique et entrepreneuriale.

«C’est un pays qui a toujours été tourné vers l’innovation, vers la découverte, mais, par sa révolution tardive en 1974, puis par la grande crise de 2011, son développement technologique a été fortement freiné. Paradoxalement, c’est ce retard qui a permis au pays d’opérer de véritables sauts technologiques, pour finalement prendre beaucoup d’avance sur de nombreux sujets», raconte Sandra Lucas Ribeiro, directrice de projet du bureau lisboète de Faber Novel, ouvert en 2012. Par exemple, seuls 3% des Portugais possèdent une carte de crédit, le paiement est donc largement dématérialisé. Un système unique et commun à toutes les banques, développé dès 1985 par la SIBS (Sociedade Interbancaria de Servicos), a notamment permis à Brisa (gestion des autoroutes), en 1991, d’équiper les voitures d’un capteur placé à l’avant du pare-brise pour un passage au péage sans contact. Aujourd'hui, la majorité des parkings à Lisbonne en sont équipés. De même, les parcmètres se payent avec le smartphone, mais également les drive du McDonald's, etc.

Fintech et e-commerce 

Pour répondre à ces besoins en compétences high-tech, le pays peut compter sur ses grandes écoles d'ingénieurs, anglophones, dont le prestigieux Institut supérieur technique de Lisbonne. Les formations universitaires ont également bonne réputation. «Pendant des années, les diplômés quittaient le pays pour rejoindre des entreprises étrangères, mais depuis quelques années les jeunes préférent entreprendre dans leur pays et les expatriés reviennent», explique Matthieu Douziech, fondateur français d'Harpoon.jobs, plateforme de recrutement gérée par un algorithme, installée au Portugal (lire ci-contre). L'écosystème des start-up lisboètes est encore jeune, immature, mais commence à se structurer. Surtout, il est florissant. «Son histoire a débuté en 2012, quand la mairie de Lisbonne, avec un budget participatif, a fondé l’incubateur Startup Lisbon avec un financement de 5 millions d'euros», relate Manon Le Padellec, cofondatrice du groupe French Upers (lire encadré). Depuis, de nombreux incubateurs internationaux s'installent à Lisbonne, qui en compte plus de 80: Second Home, Impact Up…

Les secteurs principaux couverts par les jeunes pousses sont la fintech et le commerce en ligne. À l’instar de la «licorne» (start-up valorisée à plus de 1 milliard de dollars) portugaise Farfetch, un site e-commerçant spécialisé dans les produits de luxe, qui compte parmi ses actionnaires Condé Nast. Qualité de vie, bord de mer, loyers moins chers que dans les autres métropoles européennes… les atouts de la ville sont nombreux. Pour l’entrepreneur français Raphaël Schneider, fondateur de Payabi: «C’est un pays dynamique, à taille humaine, les contacts s’y développent très facilement et la main-d’œuvre est très qualifiée.»

Le réseau des Frenchies

French Upers Lisboa, née en janvier 2016, est une association qui rassemble la communauté des passionnés des nouvelles technologies français, francophones et francophiles de Lisbonne. Elle regroupe à la fois ceux qui souhaitent monter, rejoindre ou soutenir une start-up, et le grand public, autour d’un apéro organisé tous les mois. Un réseau utile pour trouver un associé, recruter un collaborateur, un prestataire ou un investisseur. French Upers Lisboa compte aujourd’hui plus de 400 membres.

 

 

Trois start-up françaises à Lisbonne

 

Moneytis, comparateur de services de transferts d’argent, a été créé par une équipe d’expatriés français et ambitionne de devenir le «booking.com des transferts d’argent à l’étranger», une plateforme où trouver les meilleures solutions pour comparer, choisir et utiliser. Fière d'une levée de fonds de 300 000 euros réalisée en juin, la start-up ambitionne d'étendre sa plateforme à l'international. Pour l'heure, Moneytis revendique 30 000 utilisateurs dans plus de 150 pays, aux États-Unis, son premier marché, en France, en Inde ou encore au Mexique, et compte une centaine d'opérateurs partenaires (Western Union, Transfer Wise, Money Gram...).

 

Payabi allège la masse de factures papier issues du domaine administratif. Pour réaliser son «choc de simplification», la start-up est à l’origine d’une solution de gestion automatisée de la trésorerie. Basée sur le cloud, la solution permet des processus plus rapides et plus efficaces. Le Français Raphaël Schneider et ses deux associés portugais ont trouvé à Lisbonne l'environnement favorable pour développer leur projet innovant et comptent aujourd'hui une quinzaine d'entreprises clientes pour une centaine d'utilisateurs au total, dans une quinzaine de pays. Un service qui pourrait rapidement s'étendre en France.



Harpoon est un site géré par un algorithme qui réalise un «matching» entre l’offre et la demande d’emploi. La jeune entreprise a démarré en mai 2016, travaille déjà pour 22 grands groupes et revendique plus de 1 000 membres sur la plateforme. Matthieu Douziech, ancien DRH chez L’Oréal (Portugal et Espagne), avait cette ambition de faciliter le processus de recrutement pour les grandes entreprises. Le site est gratuit pour les candidats mais payant pour les entreprises (si cela aboutit à un recrutement). 

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