Le lundi 4 juillet, c’est jour d’affluence dans l’amphi numéro 5 de BBDO France, à Boulogne-Billancourt. Stan Smith aux pieds, barbes taillées propre, Mac sur les genoux, visages juvéniles, une centaine de créatifs et planneurs – soit un tiers des effectifs de l’agence – sont rassemblés pour écouter la bonne parole d’un homme: Will Scougal, directeur de la stratégie créative de Snapchat.
Quelques jours plus tôt, des fuites dans la presse leur apprenaient que le réseau social préféré des 13-24 ans venait de recruter Emmanuel Durand, vice-président marketing de Warner Bros France, pour piloter l’ouverture à Paris de son second bureau étranger à la rentrée prochaine, après celui de Londres. Un mois plus tôt, Snapchat annonçait le lancement d’une API publicitaire, une étape cruciale dans la monétisation de l’application, aujourd’hui valorisée 20 milliards de dollars. C’est dire si ce prêche de Snapchat chez BBDO France arrive à point nommé.
«Snapchat change complètement la manière de diffuser des publicités à une audience engagée. Ça rappelle l’époque où les premières publicités sont apparues à la télévision», explique cet ancien directeur de la stratégie de marque chez Twitter au Royaume-Uni. Exemple à l’appui, Will Scougal détaille ensuite les trois formats publicitaires disponibles et les bonnes pratiques à adopter. Ainsi, les marques peuvent prolonger un spot télé avec des «lentilles» (lenses) sponsorisées comme l’a fait Domino’s Pizza, acheter des filtres géolocalisés tel Coca-Cola durant les matchs de l’Euro ou encore diffuser un spot de dix secondes reprenant les gimmicks et le format vertical chers à l’application, comme Mac ou Diesel. «Snapchat est une plateforme où le son est allumé: deux tiers de nos utilisateurs consultent l’application avec le son, les marques doivent avoir ça en tête», insiste le directeur.
Addiction
Il y a encore dix-huit mois, Snapchat ne parlait pas de publicité, ce qui est le propre de tous les réseaux sociaux: avant la monétisation, il faut développer l’usage. Et cinq ans après sa création par deux étudiants de Stanford, les chiffres sont là: 150 millions d’utilisateurs quotidiens, dont 61% ont moins de 25 ans ; 10 milliards de vidéos vues chaque jour, pour un usage quotidien de vingt-cinq à trente minutes en moyenne. «La différence avec les autres réseaux sociaux, c’est l’attention que Snapchat capte de façon bien plus grande en raison de l’aspect éphémère de son contenu. Le réseau a appliqué le principe de la date limite de consommation aux contenus sur internet, ce qui crée de l’addiction et permet de débrider la ligne éditoriale», estime Manuel Diaz, président de l’agence Emakina France et parmi les utilisateurs français pionniers de Snapchat.
En France, l’application mobile totalisait en mars 8 millions de visiteurs uniques par mois, selon Médiamétrie (voir graphique), dont 5,9 millions de 15-34 ans, ce qui en fait la deuxième marque sur le digital la plus en affinité avec cette cible derrière Jeuxvideo.com. «La France est le pays qui a le plus fort taux d’adoption de Snapchat après les États-Unis ; il faut désormais éduquer les marques, ce que permettra l’ouverture du bureau à Paris», ajoute Manuel Diaz.
Normes
Certains annonceurs ont déjà compris l’importance qu’a pris Snapchat dans la vie des consommateurs les plus jeunes. En France, le fabricant de biscuits Oreo a proposé, le 6 mai, un filtre sponsorisé pour faire la promotion de sa nouvelle variété. «La marque voulait communiquer de manière différente sur les 13-17 ans, une cible très jeune plus difficile à toucher. Il fallait leur proposer une véritable expérience de marque pour les impliquer dans cette communication», se souvient Julien Lefevre, directeur général de The Story Lab (Dentsu Aegis), qui a réalisé la campagne. Bilan de l’opération, 2,5 millions d’utilisateurs pour un total de 6 millions de vues et 500 000 partages. «Si au début la publicité était artisanale sur Snapchat, elle est aujourd’hui en train de se normer, avec des espaces publicitaires clairs», remarque Julien Lefevre.
«Les formats publicitaires sont encore peu nombreux, ce qui permet à Snapchat de les vendre très cher», renchérit Arnaud Gaidon, responsable social media chez DDB France. Pour une «lentille» sponsorisée, comptez entre 75 000 et 130 000 euros par jour ; les filtres géolocalisés sont eux facturés autour de 35 000 euros au Royaume-Uni et aux États-Unis. Quant aux Snap ads, ces publicités jusque-là diffusées au sein de la rubrique Discover et qui devraient prochainement entrecouper les vidéos postées par les utilisateurs, le ticket d’entrée avoisinerait les 100 000 dollars, cinq fois moins qu’il y a encore quelques mois, selon Digiday.
Conséquence, beaucoup de marques ont fait le choix d’une présence a minima, en publiant du contenu gratuitement au même titre qu’un utilisateur lambda. «Pour les annonceurs, Snapchat intervient aujourd’hui en quatrième réseau après Facebook, Twitter et Instagram, ce qui n’était pas le cas il y a six mois», souligne Audrey Depommier, autre responsable social media chez DDB France.
Enjeux
«La marque Burberry est le meilleur exemple de contenus de marque organiques. Mais pour vraiment changer d’échelle, mieux vaut passer par notre offre payante», insiste Will Scougal. Et afin de pouvoir donner aux annonceurs des données qui leur permettent de mesurer l’efficacité de leurs campagnes, Snapchat a conclu un partenariat avec la société Moat. «Plus que le nombre de vues, ce qui compte, c’est le temps que l’utilisateur passe à jouer avec une lentille ou un filtre de marque. Ce sont des formats très engageants, beaucoup plus qu’un spot télé», insiste Will Scougal.
«C’est l’un des gros enjeux pour Snapchat, aujourd’hui, et l’application n’est pas encore mature du point de vue des métriques», estime pour sa part Quentin Bordage, fondateur et PDG de l’agence Brand & Celebrities. Plus pour longtemps, assurément.
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