Sur un marché des RH et du recrutement qui se durcit, la novlangue managériale tend à devenir la norme. Une manière d’embellir certaines fonctions, mais pas seulement.
Ne dites pas « vendeur » mais « client advisor », ne dites pas « chargé de recrutement » mais « talent acquisition specialist »... Sur les sites d'emploi, les intitulés de poste abscons usant de jargon anglophone fleurissent, considérés comme un gage de modernité au risque de travestir la réalité. Qu'il s'agisse de Pôle emploi, Indeed ou encore LinkedIn, il suffit d'un rapide coup d'œil pour tomber sur des propositions comme « inside sales representative » (commercial), « consultant social listening » (veille sur les réseaux sociaux) ou encore « customer success manager » (relation clients). Parfois, le descriptif du poste permet d'y voir plus clair, mais dans la majorité des cas, cela reste tout aussi obscur pour le commun des mortels.
Le « chief people officer » que recherche un cabinet de recrutement devra par exemple « driver la transformation groupe au service de la croissance en incarnant le renouveau ». Un « scrum master » devra « faire vivre les valeurs de l'agilité » d'un groupe de conseil... Éric Gras, expert du recrutement chez Indeed France, constate que latendance s'est « clairement » accélérée ces dernières années. Dans certains cas, mondialisation oblige, l'anglicisme est devenu la norme, mais dans d'autres, des postes « pas super sexy » sont ripolinés, ce qui n'augmente pas le nombre de candidatures ciblées et « n’est au bénéfice de personne ». De fait, derrière une offre d’« office&happiness manager », le descriptif du poste montre que le salarié sera chargé du standard et de l'accueil... Un poste de « building&property officer » masque un job de gardien de résidence universitaire. Comme Pôle emploi, qui prône des intitulés « clairs et précis », Indeed recommande à ses clients de parler français. « Mais la recommandation majeure est de parler le langage du candidat », note Éric Gras. Or, pour certains métiers comme « office manager », qui gèrent la vie du bureau, c'est précisément cette appellation que les salariés utilisent dans leur recherche.
Difficultés de recrutement
Pour Jean-François Amadieu, professeur de gestion en ressources humaines à Paris 1, « ce vocabulaire utilisé systématiquement dans le management est fait pour faire moderne ». « Dès que vous le dites en anglais, c'est plus ronflant » mais « c'est souvent incompréhensible, presque risible ». La sémiologue Mariette Darrigrand note en outre que c'est souvent du « globish, du très mauvais anglais, de la novlangue ». Outre l'idée de modernité, « il y aussi une volonté de séduction parce que c'est très dur de recruter aujourd'hui. Dire client advisor plutôt que vendeur en est l'exemple parfait. C'est la même idée que technicien de surface pour femme de ménage ». Malgré tout, ces termes abscons peuvent aussi correspondre à « une nouvelle fonction qui n'existait pas auparavant » comme le « chief impact officer, chargé d'évaluer l'incidence de l'activité de l'entreprise en termes d'écologie », note Jean-François Amadieu. Dans un contexte de tensions sur le marché du travail, le sujet est moins anecdotique qu'il y paraît. « Le paradoxe est qu'aujourd'hui, on a 50% d'offres d'emploi en plus qu'avant le Covid » et qu'il y a des difficultés de recrutement, souligne Éric Gras.
« Si ces employeurs veulent attirer des candidats différents », les titres obscurs, « ce n'est pas très inclusif », prévient aussi Jean-François Amadieu, tout en regrettant le fait que « beaucoup n'ont pas le souci d'attirer des seniors » en reconversion. En outre, pour Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT cadres (Ugict), cela pose problème car cela « floute le contenu réel du poste, la classification à laquelle il se rapporte », avec le risque d'aboutir à « des gens qui peuvent être bons à tout faire parce qu'on ne sait pas ce sur quoi ils sont recrutés ». En attendant, pour ceux qui trouveraient leur titre un peu fade, il existe des générateurs comme siliconvalleyjobtitlegenerator.tumblr.com ou bullshitjob.com/title.