Tout droit venu de Chine, le live shopping est arrivé en France il y a moins de deux ans, dopé par la pandémie mondiale. Zoom sur ce phénomène en vogue, qui mêle e-commerce, direct et influence marketing.
Depuis la crise du Covid-19, les retailers n’ont eu d’autre choix que de se réinventer, notamment via de nouveaux parcours d’achat, pour booster leurs ventes et limiter les pertes. L’avènement du digital, des réseaux sociaux et de l'e-commerce ont fortement modifié les habitudes de consommation des Français, une tendance qui s'est accélérée encore avec la pandémie. Selon une étude de la Fevad et de Médiamétrie, 42 millions de Français ont acheté sur internet en 2021, soit 80 % des internautes, un chiffre en hausse de 153 000 par rapport à 2020. Cela s’explique en partie par le développement du click-and-collect et du social shopping, mais aussi par un autre phénomène e-retail en plein essor : le live shopping.
À première vue, cela ressemble à une émission de téléachat, en bien plus moderne et 100 % digitale. Dans les faits, c’est un peu différent. Les opérations de live shopping sont des rendez-vous qui servent à promouvoir une marque, ses produits ou ses services. Elles prennent la forme de vidéos qui peuvent être diffusées en direct comme consommées en replay, sur différentes plateformes (le site de la marque, ses réseaux sociaux ou un site média). La plupart du temps, les live sont animés par un expert de la marque et un(e) influenceur(se).
« Il existe deux types de formats : le live technique, qui a pour vocation de présenter les caractéristiques et les avantages d’un produit, et le live marketing, plus proche de l’entertainment et du TV talk. Les produits sont alors mis en scène autour d’un narratif », résume Diaa Elyaacoubi, CEO de Monnier Paris, une plateforme e-commerce d'accessoires de luxe. Suite logique du social shopping, le live commerce attire de plus en plus les marques. Rien de surprenant quand on sait que les ventes générées par ce canal pourraient représenter entre 10 % et 20 % de l'e-commerce mondial d’ici à 2026, selon une étude du cabinet McKinsey.
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En Chine, où le live shopping est né il y a déjà plus de cinq ans, le marché est évidemment bien plus mature qu'en France. « Là-bas, un key opinion leader (KOL) peut passer 5 à 7 heures par jour à live-streamer, explique Julie Six, cofondatrice de Buzziit, une appli qui agrège tous les contenus live et live shopping postés sur les réseaux sociaux. Les plus connus ont des millions de fans et représentent des milliards de revenus. On pense à Xinba, qui a généré 254 millions d’euros de ventes lors d’un live de 12 heures. En France, les live sont souvent diffusés via les réseaux sociaux (sauf pour les marques qui ont développé des pages dédiées sur leur site) alors qu’en Chine, il existe plus de 9 000 plateformes dédiées au live shopping, dont la marketplace Taobao Live (du groupe Alibaba), sur laquelle 4 000 animateurs présentent quotidiennement plus de 600 000 produits en live shopping, selon une étude du China Internet Network Information Center. »
Ces trois dernières années en Chine, le live shopping a connu un taux de croissance de plus de 280 %, pour représenter un marché estimé à 171 milliards de dollars en 2020. Selon McKinsey, les ventes générées devraient y atteindre 423 milliards de dollars d’ici à la fin de l’année.
En France, il s’agit d’un canal d’achat plutôt récent et encore confidentiel. Seulement 12 % des cyberacheteurs ont déjà participé à une session live, quand 45 % trouvent le concept intéressant, d'après la Fevad et Médiamétrie. Certaines marques présentes à l’international sont donc obligées de tenir compte de ce décalage entre les marchés chinois et français pour adapter leur stratégie. « En Chine, nous avons réalisé plus de 1 000 heures de live depuis mars 2020, avec nos plateformes partenaires Tmall et Douyin. Nous effectuons des sessions de 3 à 5 heures tous les jours, parfois 8 heures durant les fortes saisons commerciales, détaille Diaa Elyaacoubi, chez Monnier Paris. En 2022, le live shopping en Asie représente près de 10 % de nos ventes ! En France, nous privilégions les partenariats et les thématiques événementielles, comme un live sur les années 2000 avec Léna Situations. Chaque semaine, nous faisons appel à des influenceurs différents. »
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Ici, les marques se tournent vers le live shopping pour se rapprocher de leurs consommateurs et créer du lien, notamment grâce à la vidéo et aux commentaires en direct. « Il y a une véritable interaction avec l’audience, et la vidéo permet d’avoir plus de détails sur le produit présenté, comme sa dimension ou sa texture, tout en bénéficiant de l’expertise du vendeur ou de l’intervenant. Le live shopping permet vraiment de réconcilier offline et online en humanisant le parcours d’achat digital », insiste Antoine Olive, vice-président live shopping strategy chez Skeepers, spécialisé dans l'engagement client.
La présence d’un expert permet de rassurer et de donner confiance aux consommateurs tout en les aidant dans leur parcours d’achat. « En faisant des live orientés produits, on souhaite augmenter notre taux de conversion. Mais nous pouvons aussi interagir en direct avec les consommateurs pour les guider et les aider à trouver les formules qui leur conviennent le mieux », estime Béatrix Maes, responsable marketing digital chez Aime Skincare, une marque de cosmétique adepte du live shopping. Le vrai point fort du live shopping reste la proximité avec les consommateurs. « On ne fait pas de live shopping pour l’argent. À chaque session, on doit faire six ventes maximum ! C’est plutôt une manière d’introduire et de présenter la marque, de passer un bon moment et de nous rapprocher de notre communauté », assure Florie Ducamp Albert, co-fondatrice de la marque de lingerie We Are Jolies.
Grâce au replay, la vidéo issue d’un live peut venir enrichir les fiches produits d’un site marchand tout en fournissant de la data très intéressante. « Sur un site e-commerce, la data est beaucoup plus fine que sur la plateforme d’un réseau social. On peut analyser le persona qui visionne le live shopping et créer une base très précise d’intentionnistes. Il sera alors facile de les retargetter après le live. C’est comme un énorme focus group », s'enthousiasme Antoine Olive. Les marques peuvent également toucher une cible plus jeune, dans une relation plus directe que d'ordinaire. « Ce format permet de produire des user generated contents [des contenus créés par les utilisateurs] que l’on peut utiliser par la suite. Il donne aussi la possibilité de se passer d’intermédiaire : un réel avantage pour toutes les marques qui ont connu la grande distribution entre le consommateur et elles », contextualise Pascal Malotti, directeur de la stratégie de Valtech, agence de marketing numérique.
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En termes de budget, le live shopping n'est pas très onéreux pour les marques. Nombre d'entre elles tournent dans leurs locaux, avec un smartphone et un trépied. Mais pour captiver son audience, mieux vaut soigner son storytelling, avec par exemple un influenceur ou un jeu concours. Micromania, accompagné de Skeepers, s'est ainsi associé à l'animateur Alex Goude, également fan de gaming, pour présenter les offres de l’enseigne de jeux vidéo. Résultat ? 30 000 viewers par session (replay compris), des jeux concours d’une valeur de 2 000 euros par live et l’ambition de doubler le nombre de rendez-vous. « Les live sont ultratransactionnels. Un live d’environ 45 minutes génère le chiffre d’affaires d’un gros magasin Micromania un samedi », indique Antoine Olive, de Skeepers.
En amont, il faut absolument communiquer et donner de la visibilité au live à venir, que ce soit sur les réseaux sociaux ou à travers une campagne SMS ou e-mailing. Enfin, il est plus que nécessaire d’observer la data analytique. « Le taux de conversion ne doit jamais être en-dessous de 5 %. S’il est entre 6 % et 10 %, il faut faire des tests pour réussir à améliorer l’expérience : plus courte, plus interactive, peut-être même changer de casting… N’oublions pas que 30 % du chiffre d’affaires est réalisé sur le replay », explique Raphaëlo Fiorentino, account director au sein de l'agence Jellyfish.
Quid de l'avenir du live shopping en France ? Même si les sommes astronomiques générées en Chine laissent présager que ce canal va continuer à se développer dans l'Hexagone, une question se pose : le live et les vidéos longues sont-ils vraiment compatibles et pertinents ? Meta et TikTok ont récemment annoncé qu'ils arrêtaient leur développement sur le live shopping au profit des vidéos courtes. Meta encourage désormais les marques à produire des Reels, en expérimentant la publicité et le tag des produits.
« Quant à TikTok, il continue de pousser l’un de ses formats publicitaires star, le Collection Ads, qui permet d’acheter des produits présentés dans une vidéo, et qui cartonne en termes de clics, analyse Raphaëlo Fiorentino. On remarque le phénomène du vidéo shopping à l’instar de YouTube, qui lance YouTube Shopping. Les commerçants pourront vendre leurs produits pendant la diffusion d'un live, d'une consultation de shorts ou d'une vidéo classique... comme TikTok et bientôt Meta. » Live shopping ou vidéo shopping ? L'e-commerce a en tout cas de beaux jours devant lui.