Confronté à de nouveaux enjeux économiques et éthiques, le soutien des entreprises au monde de la culture est menacé. Pour survivre, il doit retrouver de la légitimité.
Avis de turbulences pour le mécénat culturel. Président de l’Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (Admical), association créée à la fin des années 70 dans la foulée de la structuration de cette activité en France, François Debiesse estime qu’il représente « entre 20 % et 25 % des 3,5 milliards d’euros » que les entreprises françaises consacrent au mécénat. Longtemps dominant, il a régressé au fil des ans face à deux autres secteurs, le social et l’éducation. À eux seuls, ces deux domaines pèsent désormais la moitié des montants investis en mécénat. En fin connaisseur du sujet - cet ancien banquier a longtemps présidé la fondation Paribas -, François Debiesse date ce basculement de la prise de conscience, lors des émeutes de banlieue en 2005, de « l’état catastrophique » dans lequel se trouvait la société française. Le curseur s’est alors, selon lui, déplacé vers les urgences sociales.
Voilà aujourd’hui que se profilent de nouvelles menaces, à commencer par la décision prise fin 2019 par le gouvernement de procéder à un coup de rabot à la défiscalisation des entreprises. Celles-ci bénéficient d’une réduction d’impôt égal à 60 % du montant de leurs actions de mécénat. Le coup de rabot en question a ramené ce taux à 40 % au-delà de 2 millions d’euros par an. L’Admical attend avec impatience, d’ici à la fin de l’année, les derniers chiffres des déclarations faites par les entreprises à Bercy pour voir si cette mesure a eu un effet sur les montants consacrés au mécénat. Et voir comment la répartition a pu évoluer entre social, éducation et culture. Si des entreprises ont limité leurs dépenses, cela s’est-il fait au détriment du secteur culturel ? La crise sanitaire, en remettant au premier plan les questions de solidarité, va-t-elle accentuer le basculement vers les actions sociales ? Et les questions environnementales, qui ne pèsent encore que 7 % du mécénat global, vont-elles venir concurrencer le secteur culturel ?
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Pour le mécénat culturel, l’enjeu est aussi éthique. François Debiesse rappelle que ce domaine est régulièrement sujet à des attaques de la part de certains médias ou d’intellectuels, qui soupçonnent les entreprises d’un faux désintéressement. La fondation LVMH, à Paris, sert-elle à vanter les mérites de l’entreprise ou à défendre les arts ? Se pose aussi la question des contreparties obtenues par les entreprises en échange de leur soutien financier. Traditionnellement, elles ne doivent pas dépasser 25 % du montant versé. Mais s’il est facile de les valoriser quand il s’agit de location d’espace dans un musée ou de billets gratuits, la question se pose d’intégrer les contreparties immatérielles dont bénéficie l’entreprise en termes d’image.
Certains militent pour que 10 % du montant dépensé en mécénat soit considéré d’office comme une contrepartie d’image. Reste aussi les abus. « Quand un dirigeant d’une grande entreprise se marie à Versailles sur les fonds du mécénat, c’est quelque chose que l’on ne doit pas faire », fustige François Debiesse. L’Admical, en lien avec d’autres institutions du monde de la générosité, travaille à ces sujets de déontologie et prévoit de publier une charte éthique à l’automne.
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La Matmut, mutuelle d’assurance qui compte 4 millions de sociétaires et consacre plus de 10 % de son budget de communication au mécénat, offre un bon exemple de ce qu’il est possible de faire pour redonner une légitimité aux mécènes culturels. Ses actions, qui se déclinent sous la signature « Matmut pour les arts », se concentrent sur deux points : la gestion d’un centre d’art contemporain en milieu rural, près de Rouen, où se trouve le siège de l’entreprise, et le soutien à une vingtaine de projets innovants visant à faciliter l’accès à la culture pour tous.
« Je ne crois plus au mécénat culturel classique, “je vous donne de l’argent, en échange je mets mon logo sur la billetterie”. Cela n’est porteur de sens ni pour le mécène ni pour le mécéné. On a envie que nos mécénats nourrissent les convictions qui se retrouvent dans notre politique RSE », plaide Stéphanie Boutin, directrice générale adjointe du groupe Matmut, en charge de la communication et de la RSE. Et de citer l’exemple de l’Opéra de Rouen, symbole de cette politique. « Pendant des années, le logo Matmut était présent sur les billets, la signalétique et l’affichage. Cela ne disait pas grand-chose. Nous avons discuté avec eux du thème de l’accessibilité à la culture pour tous et ils nous ont proposé un programme, “Musique et doudou”, permettant d’accueillir des familles à l’Opéra. C’est gagnant-gagnant, cela correspond à nos valeurs et leur permet de renouveler leur public. »
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Autre piste, le mécénat de compétences. Le soutien est non plus financier mais matériel. La Matmut le pratique, en mettant à disposition son studio de création graphique. Robertet, une entreprise du secteur des parfums et arômes de Grasse, a proposé les services de ses parfumeurs dans le cadre d’une série d’expositions consacrées cet été dans les musées de Nice au thème des fleurs. Ceux-ci ont conçu des fragrances à partir d’œuvres de Matisse et en parfumant la salle d’un musée de notes de fleur d’oranger. « Nous répondons à des projets qui font écho à nos valeurs et à notre métier », note Audrey Megier, directrice de la communication de Robertet. Elle estime à 20 000 euros, en temps de création et fourniture de matériel, le montant de ce mécénat de compétences.
Enfin, et c’est la fondatrice de l’agence de design 17mars, Géraldine Karolyi, qui pointe cet aspect, les marques doivent aussi s’emparer d’un domaine encore trop peu exploité à son goût, celui des arts numériques. L’objectif est de toucher de nouvelles cibles, plus jeunes. « L’œuvre a besoin de sortir du cadre muséal traditionnel », assure-t-elle aussi, citant en exemple le festival Demo à Amsterdam au cours duquel des œuvres de motion design sont diffusées par les afficheurs sur les écrans dont ils disposent dans la ville. « C’est l’espace public lui-même qui devient le support », se réjouit-elle. Voilà de quoi donner encore un peu plus de sens aux actions de mécénat culturel.