Les marques investissent dans l’e-retail media, une façon de faire de la publicité en ligne tout droit inspirée de la PLV (Publicité sur lieu de vente) en rayons. Décryptage d’une tendance et de son expansion. Un article également disponible en version audio.

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Collecter les données des cartes de fidélité et des comptes clients pour les monétiser auprès des marques… Les retailers ne s’en privent plus. Baptisée « e-retail-media », cette pratique a crû de 24 % en 2023 et ses investissements représentent actuellement 12 % du marché de la publicité digitale (soit 1,1 milliard d’euros), d’après le SRI. « Il n’y a pas eu d’engouement aussi important sur le marché au cours des quinze dernières années », constate Tanguy Le Falher, président de la Commission retail media de l’Alliance digitale et directeur des partenariats d’Unlimitail, joint-venture entre le groupe Carrefour et CitrusAd (Publicis Groupe) qui a vu le jour en juin 2023 [Unlimitail représente l’enseigne de grande distribution ainsi qu’une trentaine de retailers en Europe et Amérique latine, dont ManoMano et Showroomprivé en France]. L’engouement est tel que le SRI envisage de revoir la segmentation de son Observatoire de l’e-pub afin de faire apparaître le retail media au même titre que le search ou le display.

Rappelons que dans l’histoire de la publicité sur internet, il y a d’abord eu l’émergence du référencement, autrement dit le « search » (à partir de 2000), puis du social avec l’apparition des réseaux sociaux (aux alentours de 2008). Depuis environ six ans, on parle d’une « troisième vague » avec la montée en puissance, très rapide, de l'e-retail media. La définition de ses contours est attribuée à deux géants du commerce en ligne, Amazon et Alibaba, qui ont saisi très tôt l’intérêt de capitaliser sur leurs audiences. L’apparition de l'e-retail media est datée de 2012, année de lancement de la plateforme publicitaire d’Amazon (aujourd’hui connue sous le nom « Amazon Advertising »). Concrètement, les annonceurs paient pour que leurs produits aient davantage de visibilité sur la marketplace. Par exemple, le format publicitaire « headline search ads » offre à l’annonceur la possibilité de faire apparaître son produit dans le top des résultats de recherche sur le site (c’est le « retail search », un format qui porte la croissance du retail media avec une croissance de 68 %, d’après le SRI).

La mécanique, bien huilée, a depuis été reprise par les enseignes de la grande distribution et les enseignes spécialisées qui y trouvent une source complémentaire de chiffre d’affaires, à l’instar de Walmart aux États-Unis pour qui le retail media a généré 3,4 milliards de dollars de revenus en 2023. « C’est une prise de conscience des enseignes que leurs données ont de la valeur pour les marques et qu’elles peuvent en tirer profit, sans perdre la propriété et le contrôle de ces données et sans enfreindre la loi et le respect du consommateur », développe Thibaut Munier, co-CEO de Numberly, agence spécialisée dans le marketing relationnel, digital et data-driven. Dans un contexte de croissance de l’e-commerce (des habitudes d’achat se sont installées depuis la pandémie de covid) et de disparition des cookies tiers, le marché du retail media se structure en France avec l’éclosion de nombreuses régies à l’instar de Retailink (groupe Fnac-Darty), CDiscount Advertising ou encore Retailium Média (But-Conforama).

« En 2020, moins d’une quinzaine de retailers proposait du retail media. Aujourd’hui ce sont plus d’une soixantaine qui ont au moins un début d’offre, remarque Tanguy Le Falher. On a vu se former des alliances comme Unlimitail, Valiuz Adz (Auchan et Boulanger) ou Infinity Advertising (Casino et Intermarché) ». « On est passé d’une dynamique de questionnement (qu’est-ce que je peux offrir comme service publicitaire à mes fournisseurs ?) au déploiement opérationnel des offres et des campagnes », complète Benoît Sétif, directeur exécutif, retail et service de Fifty-Five, cabinet de conseil spécialisé dans la data et le digital. Un déploiement qui nécessite de trouver les bons partenaires technologiques car le retail media demande une maîtrise de la donnée. Les adtech françaises (Criteo, CitrusAd, Mirakl…) sont particulièrement en pointe en Europe, d’après les professionnels interrogés.

Donnée transactionnelle

Les retailers ont deux mines d’or à exploiter : des données sur l’historique d’achat (la donnée transactionnelle, first-party) et un inventaire publicitaire au plus proche de l’acte d’achat. « Avec le retail media, on peut toucher une cible shopper en fonction de comportements réels d’achat. On passe d’un modèle probabiliste à un modèle déterministe », s’enthousiasme Tanguy Le Falher. « Les marques peuvent savoir qui achète quoi, tout en respectant le RGPD [le règlement européen sur la protection des données personnelles] », résume Thibaut Munier. Pour garantir cette conformité, tout en maximisant l’usage des données, les retailers se dotent de « clean rooms » : des environnements sécurisés qui permettent aux retailers de partager leurs données aux annonceurs, tout en restant propriétaires de celles-ci. Dans ces clean rooms, les annonceurs peuvent importer leurs propres data afin de les croiser avec celles des retailers.

Cette révolution de la donnée client peut bénéficier à tous les secteurs, selon Thibaut Munier, y compris aux marques qui ne sont pas distribuées au sein de l’enseigne. Par exemple, un fabricant automobile peut trouver pertinent de cibler des profils en fonction de leurs habitudes de consommation et centres d’intérêt. Autre atout du retail media : l’extension d’audience qui permet de toucher les consommateurs en dehors du site du retailer, sur des plateformes tierces comme les réseaux sociaux. Cette approche permet aux marques de profiter à la fois d’un ciblage précis et contextuel (souvent grâce à la réconciliation des données par un tiers) et de travailler leur notoriété en haut de funnel. Un cas remarqué de cette extension d’audience est l’arrivée, au printemps, des publicités sur Amazon Prime Video. Une annonce qui a créé l’avènement du retail media dans l’AVOD et, par ricochet, dans la TV connectée.

Une opportunité qu’a saisie M6 Publicité qui a signé un premier partenariat avec Unlimitail dès juin 2023 ce qui lui a permis de créer des segments ultra-ciblés (par exemple, des acheteurs fréquents de produits bio ou de produits pour bébé), cela afin d’activer des campagnes retail media en télévision non linéaire ou sur sa plateforme de replay M6+. Les profils des clients des retailers et des téléspectateurs de la chaîne privée sont réconciliés grâce à leurs adresses e-mail (notamment les box des opérateurs) par Liveramp. « Notre objectif est de permettre aux annonceurs de cibler des acheteurs via des données extrêmement qualifiées, tout en respectant le consentement des utilisateurs », explique pour sa part Elise Guyard, directrice programmatique, data et partenariats de M6 Publicité.

Deals d'exclusivité

« Nous ne sommes pas favorables aux deals d’exclusivité de longue durée : nous pensons qu’il est plus pertinent pour les retailers d’avoir des accords avec plusieurs diffuseurs », poursuit Elise Guyard qui fait certainement allusion à l’accord exclusif entre Unlimitail et TF1 pour les données de Carrefour, signé en septembre. De son côté, M6 Publicité a conclu un partenariat avec Valiuz Adz au premier trimestre 2024 pour les données de Auchan. Le partenariat s’étendra prochainement aux données de Boulanger. Depuis août 2024, la régie commercialise aussi les données d’Intermarché et du Boncoin. D’ici à la fin de l’année, elle s’ouvrira à Veepee.

Pour les annonceurs, l’accès à cette donnée premium se paie tout de même plus cher qu’une campagne classique. Et, pour gagner des parts de marché, l’e-retail media seul ne serait pas la panacée. D’autant que les acheteurs sont davantage soumis à des facteurs d’influence dans leur phase de préméditation d’achat, d’après l’Observatoire Shopper Ads de Médiaperformances et Ipsos, avec une augmentation significative de leurs points de contacts avec les marques (5,3 touchpoints en 2024 vs. 3,6 en 2022). « Le drive ne représente que 10 % du chiffre d’affaires des distributeurs », rappelle Claire Koralewski, directrice générale de Mediaperformances, qui milite pour une reconsidération du magasin. La campagne de retail media se doit donc d’être intégrée à une stratégie multi-leviers et omnicanale. « La TV n’est pas seulement vectrice de notoriété. Si elle est mise en synergie avec le magasin, elle peut aussi être ROIste », considère la dirigeante. Ainsi, pour la gamme de coulommiers Cœur de Lion, Mediaperformances a menée une campagne combinant l’in-store (via des kakémonos) et la télévision segmentée. La campagne a généré 7 % de chiffre d’affaires incrémental. Un succès rugissant.

Qu’est-ce que le retail media ?

Le retail media désigne les offres publicitaires que proposent les retailers (notamment les acteurs de la grande distribution) aux annonceurs, via une régie publicitaire spécialisée. Une campagne de retail media est déployée sur le parcours d’achat du consommateur, en magasin et en ligne, soit directement sur le site web du retailer (ce qu’on appelle l’« on-site » avec des produits sponsorisés ou des bannières) ou en dehors (« off-site »).

Qu’est-ce que le commerce media ?

Petit frère du retail media, le commerce media commence à faire parler de lui. Des acteurs dans le monde du service (compagnies aériennes, banques…) copient le modèle publicitaire des retailers. On peut notamment citer Uber qui a lancé sa régie Uber Advertising à l’automne 2022 pour monétiser les audiences de ses plateformes Uber Eats et Uber VTC.

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