Sous l’impulsion de son directeur de l’intelligence artificielle, Gymlib, entreprise de services aux salariés dans le sport, s’est emparée de la technologie pour aider ses équipes à gagner en efficacité. Un article également disponible en version audio.

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Confier à un avatar virtuel le soin de faire des abdos à sa place ? Voilà qui serait tricher. Mais chez Gymlib, une PME de 90 personnes qui propose aux entreprises un service d’abonnement à des salles et activités sportives pour leurs salariés, l’intelligence artificielle (IA) sert à beaucoup d’autres choses. La société, qui revendique 1500 clients de la start-up à l’organisation du CAC40, s’est dotée fin 2023 d’un directeur de l’intelligence artificielle, en la personne de Grégoire Véron, jusqu’alors en charge de la stratégie produit (CPO). Son rôle est de réfléchir à la façon dont l’IA peut, en interne, permettre d’automatiser certaines tâches et de « simplifier » la vie des salariés. « L’objectif était de gagner une heure par semaine par employé dans les trois premiers mois d’utilisation et une heure par jour par employé après un an, précise Grégoire Véron. Un objectif à la fois ambitieux et faisable au vu de l’évolution [très rapide] des outils ».

Le premier cas d’usage, « le plus simple, le plus logique », a été déployé dans le marketing. L’IA aide la copywriter de Gymlib, Sophie Rives, à nourrir le site web en contenus. Cette dernière « ne dit pas à l’intelligence artificielle d’écrire les sujets mais lui demande de trouver de nouveaux thèmes, raconte Grégoire Véron. Contrairement à beaucoup, je pense que l’IA est très créative ». Entraînée avec des productions déjà mises en ligne, la technologie permet aussi de « garder le ton » dans les publications, tout en améliorant, texte après texte, son style d’écriture. Au bout « d’au moins un an » d’utilisation, « Sophie gagne un jour par semaine. C’est autant de temps gagné pour essayer des choses différentes », se réjouit Grégoire Véron. L’IA sert aussi à la traduction des contenus, en anglais, allemand ou néerlandais (fondée en France en 2013, Gymlib a été rachetée par une société allemande, eGym, en 2022).

« Sans faute d’orthographe »

Si « tous les métiers sont concernés aujourd’hui dans l’entreprise », l’autre usage le plus développé en interne est l’optimisation des réponses apportées aux questions des clients par le SAV, qui fonctionne par chat. Entraîné sur la FAQ [foire aux questions] Gymlib, le chat « répond mieux que le customer care car plus vite, dans toutes les langues et sans faute d’orthographe », détaille Grégoire Véron. Pas franchement une bonne nouvelle pour les conseillers client (externalisés via un prestataire), dont l’utilité pour l’entreprise se voit remise en question… Sauf que. L’idée n’est pas de passer en direct avec les salariés bénéficiaires mais d’apporter aux agents des réponses pré-écrites pour leur faciliter la réponse. Autre limite : la technologie ne sait pas quoi répondre en cas de demande plus personnalisée (problème avec une salle, signalement de blessure…). L’agent garde donc ici toute son utilité.

« Je pense aussi à la gestion de trésorerie par l’IA », complète Grégoire Véron. Concrètement, moyennant « un peu de développement technique mais facile », ChatGPT pourrait déclencher des ordres de remboursement selon des paramètres prédéfinis (somme maximale…). C’est l’équivalent de ce que permet le bouton « Demander un remboursement » présent sur d’autres plateformes de services. Cela reviendrait à piocher, sans intervention humaine, dans les finances de l’entreprise. « Il faut mettre cela en regard du temps de traitement par un agent et du potentiel mécontentement de l’utilisateur. Je suis persuadé que ce sera rentable, tant en termes d’image que de satisfaction », note en substance l’expert IA. Et de détailler un dernier usage, sur le plan commercial, via l’outil Artisan.co. Dans le cadre de la prospection, celui-ci est utilisé pour écrire des mails ultra-personnalisés à chacun des membres d’une cible prédéfinie (par fonction dans l’entreprise, secteur d’activité, zone géographique…), y compris par exemple en prenant en compte les dernières publications LinkedIn de cette personne. « De la prospection personnalisée en masse », synthétise Grégoire Véron.

Des coûts maîtrisés

Autant de déploiement pas si coûteux pour l’entreprise. Les dépenses en la matière sont évaluées à « 2000 à 3000 euros par mois pour le début », incluant une vingtaine de comptes ChatGPT Entreprise, Artisan.co et quelques développements et personnalisations autres. En termes de moyens humains, Gymlib n’a, pour l’instant, pas recruté sur le sujet. « On a envie mais moi-même je ne sais pas encore à quels postes cela serait pertinent à ce stade, confie Grégoire Véron. Par exemple, il y a six mois on disait que prompt manager était le métier du futur et maintenant - mise en abyme incroyable - on peut demander à ChatGPT à la fois de réaliser un prompt pour telle question puis de l’exécuter ». Et les développeurs spécialisés coûtent cher. « D’ici à la fin de l’année il faudra staffer », estime-t-il.

Quoi qu’il en soit, Gymlib apparaît en avance. Si les géants de la tech disposent de leurs experts IA, la fonction de directeur de l’intelligence artificielle apparaît encore rare chez les PME. Il faut dire que, si l’IA a du potentiel, les écueils - on les connaît - ne manquent pas. Les développements sur ce marché vont si vite que « au début, même à temps plein sur le sujet, j’ai presque du mal à suivre », pointe spontanément Grégoire Véron. Sans compter que la « fiabilité » des outils laisse encore parfois à désirer. Par ailleurs, quand Klarna, licorne suédoise spécialisée dans les services de paiement, annonce au printemps 2022 licencier 10 % de son effectif (700 personnes) puis, début 2024, sans toutefois qu’il y ait un lien de cause à effet entre les deux, communique sur le fait que son assistant basé sur OpenAI réalise après un mois d’utilisation l’équivalent du travail de 700 agents spécialisés dans le service client, cela pose question. Côté confidentialité, il y a encore des précautions à prendre. « Dans la version entreprise de ChatGPT, il n’y a pas d’entraînement sur les données entreprise même si on évite de rentrer les informations les plus sensibles », précise Grégoire Véron.

Chiffres clés

90 Nombre de salariés de Gymlib.

23 millions d’euros Chiffre d’affaires 2023.