Le secteur de la relation client intègre de plus en plus d’outils d’intelligence artificielle. Mais pas pour les clients, pour les opérateurs. Une manière de redorer l’image du métier.
Beaucoup ont pensé à tort que l’IA faisait trembler le monde de la relation client, et remplacerait nombre d’emplois. Que nenni. Les professionnels du secteur sont sûrs d’eux. Depuis plusieurs mois, de nombreuses entreprises lancent des nouveautés basées sur les IA génératives, pour aider les marques dans leur relation client, mais surtout pour changer les conditions de travail en interne, sans jamais envisager de réduction d’effectifs. Au contraire, les entreprises pensent plutôt en profiter pour changer l’image du métier.
Deux actualités auraient pu changer la donne. En février 2024 d’abord, avec le procès d’Air Canada en Colombie-Britannique. La compagnie, après que son chatbot a indiqué à l’un de ses clients un tarif réduit, s’était rétractée affirmant que l’agent conversationnel s’était trompé. Mais après une plainte de l’usager en question, le tribunal a estimé qu’Air Canada était obligé de tenir les engagements de ses agents automatisés et devait indemniser le client. « Ces erreurs pourront se répéter. Et peut-être à grande échelle. Cela a brisé l’image d’une IA autonome qui maîtrise tout et remplace les agents. Au contraire, cette anecdote a redonné de la valeur aux métiers faits par des humains », argue Jérôme Colin, managing director de l’agence Fifty-Five.
L’autre exemple aurait pu faire tomber la balle de l’autre côté du filet. La fintech Klarna a annoncé le 27 février dernier, à grand renfort de relation presse, que son assistant inhumain, branché sur OpenAI, suait autant que 700 conseillers à temps plein, et bavardait à hauteur de 2,3 millions de conversations, un mois seulement après son déploiement. Au total, Klarna claironnait une économie de 40 millions de dollars en relation client avec son système d’intelligence artificielle. La nouvelle a fait l’effet d’une bombe. La semaine qui a suivi, le géant de la relation client Teleperformance, perdait 35 % de sa valeur boursière… Si les deux événements peuvent ne pas être liés, beaucoup ont profité de cette annonce pour clouer définitivement le cercueil de la relation client « homme-made ». Mais l’anecdote a laissé Jérôme Colin dubitatif : « Sur tous les chiffres que Klarna donne, on déduit qu’un tiers des requêtes sont toujours traitées par des humains. On ne connaît pas le nombre de questions posées, ni leur teneur, ni le détail des conversations. Les économies réalisées ont l’air d’être calculées assez simplement. »
Remarquons également que les clients de Klarna constituent une cible plutôt aguerrie au numérique, ou autonome. En outre, insister avec force sur les économies réalisées n’est pas étonnant pour une start-up qui doit lever des fonds et prouver sa rentabilité… Quoi qu’il en soit, ce coup de com n’aura pas permis de semer le doute parmi tous les acteurs. En réalité, la relation client embrassera bien l’IA, mais pas comme on le pense. « L’intelligence artificielle sera, à mon sens, limitée au back-office. Elle aidera les professionnels à adapter leur discours, à rédiger les messages, à mieux cibler les attentes… Mais le public, lui, préférera toujours un humain », résume Carole Sasson, directrice du cabinet de conseil Cocedal, et organisatrice des trophées Qualiweb. Et c’est justement le cœur des innovations lancées ces derniers mois. « Nous avons vraiment assisté à une accélération de la technologie. Cela n’empêche pas les hallucinations des outils d’IA générative, mais les outils sont de plus en plus naturels, et leur manière de s’exprimer permet de produire des choses beaucoup plus proches de ce que ferait un humain », argue Jérôme Colin.
Deux types de déploiements de l’IA
« En réalité, il y a deux types de déploiements de l’IA, détaille Aurélie Daniel, chef de produit marketing CX senior international pour RingCentral, l’éditeur de logiciel de communication client pour les marques. Et la majorité des projets, dont on parle moins dans les médias, concerne l’arrière-boutique. Elle aide à trouver la bonne réponse, permet d’évaluer les conversations… Mais l’IA "front-line", en prise avec le client directement, ne permettra de réaliser qu’une partie du travail, dans des conditions très particulières. »
Selon un rapport réalisé par le géant de la relation client Salesforce, les agents ne consacrent que 39 % de leur temps à servir les clients. Entre les réunions internes, les tâches administratives et l’annotation manuelle des cas rencontrés dans la journée, l’emploi du temps est vite rempli. Dans un rapport efficacité/risque, mieux vaut optimiser les 61 % du temps restant, et éviter les déconvenues juridiques avec les clients, comme l’a tristement appris Air Canada… RingCentral par exemple, après avoir racheté la société spécialisée dans l’analyse des émotions Deepaffect, en 2020, cherche à soutenir les agents dans la compréhension des émois du client. « L’analyse de la voix permet d’aider à scorer les entretiens, ou en direct, d’aider le superviseur à se focaliser sur les conversations problématiques, pour intervenir lors de la discussion ou coacher les agents », détaille Aurélie Daniel. Mais l’humain n’est-il pas le mieux armé en ce qui concerne les émotions ? « Bien sûr, il n’y a pas mieux que l’être humain pour capter les émotions, tempère Julien Rio, vice-président associé de RingCentral. Mais convenablement analyser les dires de l’interlocuteur et maîtriser ses émotions demande a minima une année d’expérience. Ou alors quand vous avez eu une journée chargée, vous pouvez perdre vos repères émotionnels. L’IA servira de coach, et guidera pour réagir et tenir le discours approprié en cas de besoin. » L’outil permet aussi d’analyser plus finement les situations et saisir des opportunités de ventes supplémentaires… Avec le numérique, l’IA permet également de combiner des données autres que la voix, sur les différents canaux, qui auraient pu échapper à l’opérateur. Car le monde digital se complexifie.
Selon le rapport de Salesforce, 79 % des agents (et 73 % des commerciaux de terrains) déclarent s’occuper de davantage de produits et services qu’il y a un an, 77 % (74 %) estiment que leur charge de travail a augmenté sur les douze derniers mois, et 65 % (66 %) que leurs dossiers sont plus complexes qu’il y a un an. Face à ces conditions de travail ardues, le talon d’Achille entreprises de relation client est managérial, et concerne surtout le turnover, le recrutement, ou le temps de formation des salariés. L’IA pourrait donc aider à changer totalement l’image du métier. « On observe un vrai mouvement dans le secteur. », observe Nicolas Pellissier, spécialiste de la relation client, qui vient de monter avec deux associés, la start-up girondine Klark, un outil d’IA « plug and play » pour la relation client, et qui vient d’effectuer une première levée de 1,7 million d’euros, matérialisant l’engouement des investisseurs. « On passe d’un métier de productivité, où les agents devaient traiter un nombre de cas par jour, à un métier qui se recentre sur la qualité. À force de contacter 50 fois le même type de personnes, la tâche devient productiviste, machinale, et perd de l’intelligence humaine. Au contraire, ici, les outils permettent de recréer des opportunités de ventes, ou plus simplement du relationnel », explique Nicolas Pellissier. Cette stratégie permet aussi de rassurer les employés. « Nos clients savent que la peur du remplacement existe. Alors ils visent l’efficience opérationnelle. Les agents peuvent passer plus de temps en conversation sans avoir à prendre des notes, et être davantage au petit soin des clients », insiste Aurélie Daniel.
Redirection des flux
Autre sujet central, la redirection des flux. « L’IA est planifiée pour approprier les besoins en fonction des flux entrants », décrit Julien Rio. Une manière de mieux prioriser les situations, et mieux gérer son temps en se concentrant sur les cas qui demandent plus d’attention. De toutes ces innovations naît la notion « d’agent augmenté ». « L’IA générative corrigée par un humain donne de meilleur résultat qu’un humain seul », ajoute Jérôme Colin. C’est donc en tant que soutien aux agents que l’IA prend toute sa place dans la relation client, pour transformer le secteur : d’un centre de coût, il devient un centre de ROI. En permettant de faire le lien avec des données CRM, il devient un plein point de contact marketing.
Seuls freins à cette révolution ? La législation autour des données. « La collecte et l’utilisation des données doivent être faites très soigneusement, sous l’œil du DPO. Mais ce frein peut être levé à condition de bien respecter les règles », assure Jérôme Colin. L’autre frein est davantage culturel. « Il n’y a pas qu’une seule manière d’intégrer l’IA dans ses processus. Cela dépend des cas d’usage, et chaque entreprise doit réfléchir à son organisation et son domaine d’activité. Cela demande de ne pas aller trop vite et de prendre le temps de la réflexion », assure Jérôme Colin. Au risque d’aller vers une déception ? « On est passé des grandes peurs et de la réticence, à une confiance absolue en l’IA. Il faut se méfier. Chez Klark, toutes les productions sont validées par un humain à 100 % », précise Nicolas Pellissier. Dans tous les cas les questions posées par l’introduction de l’intelligence artificielle en relation celles sont pleinement celles qui se posent à d’autres métiers. « C’est un très bon domaine pour faire entrer l’IA dans l’entreprise, car cela changera vraiment les méthodes de travail et pousse à se poser les bonnes questions », poursuit le spécialiste. Reste à savoir si promesses d’effectifs constants seront tenues…
La start-up Klark vient de lever 1,7 million d’euros. Elle veut se différencier par la rapidité de mise en place. Et permet de créer en quelques heures, des modèles d’IA personnalisés et adaptés en relation client pour les marques, entraînés sur leur historique de données.