Les gommes gélifiées, phénomène en plein essor, offrent une alternative ludique aux compléments alimentaires traditionnels. Mais derrière leur attrait, des préoccupations de santé émergent.
Gourmandes et ludiques, les gommes gélifiées dépoussièrent le marché des compléments alimentaires et font un carton en France auprès de consommateurs jusqu’alors réfractaires aux austères gélules. Mais gober comme des bonbons ces « gummies » n’est pas forcément sans danger. « Ca fait beaucoup moins médicament et on l’adopte facilement en routine. Par exemple ces gommes à la mélatonine qui aident à dormir existent au goût fruits des bois ou mangue-banane, c’est délicieux, moi-même j’en prends avec plaisir », explique à l’AFP une pharmacienne du centre de Paris qui préfère rester anonyme.
Mélatonine pour un meilleur sommeil mais aussi kératine pour les cheveux, biotine pour les ongles, plantes médicinales pour le syndrome pré-menstruel, cure de magnésium, de fer ou de vitamines : ces flacons aux couleurs vives - omniprésents en pharmacie, grandes surfaces et sur internet - rivalisent de promesses santé, beauté et bien-être avec des gommes régressives en forme d’animaux, d’étoiles ou de fruits.
« Historiquement ce marché était issu de la confiserie, avec de la gélatine bovine et beaucoup de sucre, mais les gummies d’aujourd’hui sont très différents et l’idée n’est plus d’avoir un bonbon : les nôtres sont 100 % à la pectine de fruit et la grande majorité sans sucre », résume à l’AFP Nicolas Brodetsky, PDG d’Havea. Ce groupe de l’ouest de la France, déjà spécialisé dans les compléments alimentaires, a racheté en 2022 Bears with Benefits, entreprise allemande de « gummies » dont le chiffre d’affaires devrait atteindre 50 millions d’euros fin 2024. Ses oursons gélifiés sont vendus entre 19,90 et 29,90 euros la boîte de 60 unités.
« L’idée d’une gomme est d’avoir une valeur ajoutée de prévention et de santé naturelle auprès d’une population de 25 à 40 ans qui n’a pas forcément envie d’avaler une galénique (forme, NDLR) ressemblant à un médicament », met en avant Nicolas Brodetsky. « On voit des gummies partout, on a l’impression que c’est une mode, mais si ça se vend autant, ce n’est pas seulement parce que tous les acteurs s’y mettent mais aussi parce que le consommateur s’y retrouve, on le voit dans les chiffres de ré-achat », renchérit David Gueunoun, fondateur de Mium Lab.
Un marché mondial à plusieurs milliards
Initialement baptisée Les Miraculeux, cette marque a été une des pionnières des « gummies » en France dès 2019 et dit multiplier par deux son chiffre d’affaires chaque année. Aujourd’hui, des dizaines de start-up comme de grands laboratoires se sont lancés dans les compléments alimentaires sous forme de gommes, segment qui représenterait entre 4 et 25 milliards de dollars de chiffre d’affaires au niveau mondial selon différentes analyses de marché.
Si les ventes en officine bénéficient des conseils d’un pharmacien sur la posologie (entre 1 à 2 par jour, rarement plus), ce n’est pas le cas en grande surface ou sur un site internet. « Le problème des compléments alimentaires, c’est que tout le monde peut en prendre, et qu’ils sont moins contrôlés puisqu’il ne s’agit pas de médicaments », résume Joëlle Micallef, pharmacologue et présidente du réseau français d’addictovigilance.
Elle explique qu’il y a « quelquefois quelques surprises, soit parce qu’il n’y a pas le produit affiché, ou bien dans des quantités plus importantes que celles mentionnées », citant des cas « de gummies vendus dans des magasins de CBD où il n’y avait pas que du CBD mais aussi des produits synthétiques beaucoup plus forts qui ont conduit aux urgences des personnes auxquelles le vendeur avait dit que ça ne pouvait que leur faire du bien ».
Ces cas avaient notamment conduit en 2023 l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) à interdire en France les produits à base d’hexahydrocannabinol (HHC), molécule dérivée du cannabis. Joëlle Micallef déplore également certaines « allégations thérapeutiques » et met en garde contre d’éventuelles « concentrations beaucoup plus importantes qui peuvent induire des interactions avec des médicaments ».
« On ne nous a jamais rapporté de cas de surdosage, et la posologie est très claire sur nos boîtes », tient à souligner Nicolas Brodetsky pour Havea, selon qui « moins vous ajoutez de sucre, moins vous avez de chance pour qu’on se resserve toute la journée ». Pour David Gueunoun de Mium Lab, « le surdosage dans la réalité ça n’existe pas, peut-être quelqu’un va avoir plus de facilité à en prendre trois plutôt que deux parce que c’est bon et qu’on les a sur le bureau, mais on ne va pas manger la boite car ça a un coût ».