Nouvelle née dans l’industrie du simili-carné, antithèse de ses consœurs dans l’industrie porcine, La Vie semble plier le game du végétal. Avec une levée de fonds record en 2022 et des partenariats stratégiques, la marque gagne du terrain dans les grandes surfaces, les restaurants et nos assiettes. Mais une nouvelle réglementation française pourrait compromettre ses ambitions.
La marque de simili-carné verrait-elle la vie en rose ? Depuis sa co-création en 2019 par Nicolas Schweitzer et Vincent Poulichet, la start-up, à l’origine d’une technologie brevetée de porc à base de plantes, ne cesse de croître, tant en termes de business, que de rayonnement au niveau national. C’est seulement en 2022 que la marque La Vie se lance vraiment sur le marché avec ses premières commercialisations. Et déjà, elle renverse la table en réalisant une première levée de fonds record de 25 millions d’euros en série A auprès de fonds d’investissement, d’entreprises comme Back Market, Vinted et BlaBlaCar et de business angels tout droit venus de la A-list hollywoodienne, à l’image de Natalie Portman. Rien que ça ! À l’issue de ce financement, la start-up se déploie de manière tentaculaire dans les grandes et moyennes surfaces, d’abord dans les enseignes Auchan, Carrefour, E.Leclerc, Cora et depuis quelques mois dans les rayons des Monoprix et Franprix. « Encore aujourd’hui, nous nous considérons comme une start-up en phase d’hyper-croissance. Nous sommes présents dans toutes les enseignes et les résultats sont exceptionnels ; sur la centaine de références de végétal qui existent dans nos rayons en France, trois de nos produits se retrouvent dans le top 5 des meilleurs produits vendus, c’est pour cela qu’on peut nous trouver partout », révèle le cofondateur Nicolas Schweitzer.
En parallèle, La Vie noue différents partenariats : avec des marques de grande consommation en proposant son bacon végétal dans une recette de bao chez Monsieur Bao ou encore dans les rolls de la marque de sushi Kumo. « C’est notamment en créant des partenariats et en végétalisant les aliments du rayon traiteur que vous arriverez à familiariser les Français avec les alternatives », témoigne le chef d’entreprise. Des chaînes de restauration, plutôt de niche – Wild and the Moon, Copperbranch – et d’autres moins «niche» – Colombus, Cojean – ont également intégré les produits La Vie dans leurs recettes. En 2022, une enseigne et pas des moindres est venue s’ajouter à la liste, il s’agit du mastodonte de la fast-food, Burger King. En effet, La Vie a lancé une campagne sur les réseaux sociaux, en plus d’une pétition, à la limite du harcèlement, invitant Burger King France à rajouter son bacon dans son premier burger végétarien. Mais l’audace, plébiscitée par le roi de la restauration rapide, paye. Cette collaboration qui ne devait durer que six mois dans les 440 restaurants français et dans une dizaine de Burger King à l’international s’est depuis pérennisée pour le plus grand bonheur de La Vie et des végétariens. De nature militante, la marque choisit également de prendre le contrepied de l’industrie du porc dans son design et adopte des couleurs très vives, très «bisounours !» « C’est sûr qu’il n’est pas habituel de voir ces couleurs dans les codes de la charcuterie ! Nous avons démarré avec une agence de design danoise [Everland] pour la partie packaging, maintenant nous la réalisons en interne », informe Nicolas Schweitzer.
Sous pression des lobbys
Cette audace, on la retrouve également dans sa communication. En collaboration avec Buzzman depuis un peu plus d’un an, la marque sort en 2022 une campagne d’affichage très «rédac», plutôt culottée : «C’est un juif, un viandard, un musulman et un vegan à la même table, et c’est pas une blague». La Vie travaille encore aujourd’hui avec l’agence et annonce qu’il y aura prochainement une prise de parole. « Notre arme principale, c’est l’humour. C’est tellement David contre Goliath dans ce secteur, qu’on essaie au moins de faire sourire », s’amuse le cofondateur. Tout est bon dans le cochon. Peut-être, mais tout n’est pas rose : « Il n’y a pas grand monde qui réalise la pression que l’on peut subir de la part des lobbys. Ceux-ci ont peur et tentent de ralentir le plus possible l’émergence de toute alternative à la viande. Depuis la proposition en 2022 de ce décret complètement piloté par les lobbys, il y a eu énormément d’échanges avec le gouvernement et, à chaque fois, il a été retoqué. Dans un contexte de colère des agriculteurs, ce décret a été remis sur la table. C'est de la démagogie malsaine, c’est vraiment prendre les gens pour des jambons », souffle Nicolas Schweitzer. Grande nouveauté : avec ce décret adopté le 27 février, les marques de simili-carnés ne pourront plus appeler leurs alternatives végétales « lardons », « escalope » ou encore « steak » sous prétexte d’induire en erreur les consommateurs. Derrière cette hérésie, s’en cache une autre. Ces nouvelles exigences ne sont destinées qu’aux marques françaises : « Cette interdiction nous vise uniquement parce qu’on fait partie des trois sociétés qui produisent en France. Ainsi, ce décret favorise les filières étrangères au détriment d’acteurs français. Ceux qui produisent en dehors de l’Europe pourront donc continuer à commercialiser des "steaks végétaux" en France. Ce décret est en total décalage avec les ambitions du pays en matière de réindustrialisation et de climat. Sous couvert de transparence pour les consommateurs, cette décision freine la transition écologique et met en péril une industrie locale en plein essor », lance dépité le chef d’entreprise.
Contrepied de porc
Pour le reste, l’enseigne végétale préfère se la jouer sobre, en témoignent ses cinq références présentes sur le marché : bacon, lardons et jambon – dont les deux derniers avec des variantes nature et fumé. Malgré les apparences, ces produits « transformés » ne comportent que peu d’ingrédients et si le goût est là – la rédaction de Stratégies a pu en goûter certains et en toute objectivité a été bluffée –, c’est aussi grâce à une technologie brevetée par la start-up. « C’est un marché en croissance mais encore tout petit, avec beaucoup d’acteurs qui essaient de se trouver une place. Il en existe deux types : ceux de la première génération avec énormément d’ingrédients, un mauvais Nutri-Score et un goût déceptif, et ceux issus de la deuxième génération avec un profil nutritionnel très propre, très peu d’ingrédients tout en ayant du goût », éclaire le cofondateur. Ses cinq produits sous le bras, il décide aux côtés de son partenaire de s’associer avec la start-up spécialisée dans les «dark kitchens», Taster, et ainsi de créer leur propre chaîne de restaurants virtuels, Kiss My Burger. Croque-monsieur, frites au cheddar fondu et crispy bacon, burger au poulet et bacon, tous les ingrédients de la comfort food/porn food y sont. « Nous avons quinze cuisines ouvertes en France, nous espérons en avoir une cinquantaine d’ici la fin de l’année. ». La marque, qui visait les 20 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2023, n’en a atteint que la moitié, mais voit désormais plus loin en espérant une rentabilité d’ici 2026, dans l’espoir que le décret ne nuise pas à ses ambitions.
Chiffres clés
10,5 millions d’euros Chiffre d’affaires en 2023.
65 Nombre de salariés.
10 Nombre de pays où la marque est présente.