La campagne de l’Ademe a suscité le débat fin 2023. Peut-on parler impunément de déconsommation dans la publicité ? Quels sont les bons leviers de communication pour faire adopter les nouveaux gestes de consommation ? Réponses d’experts. Un article également disponible en version audio.
Écoutez cet article :
Si l’on admet que toute publicité est une bonne publicité, celle de l’Ademe fin 2023 a atteint son objectif. L’agence et le ministère de la Transition écologique ont frappé fort avec leur campagne sur la consommation responsable, sortie le 14 novembre dernier. Elle n’a pourtant rien de révolutionnaire. Elle consiste ni plus ni moins à mettre en images, à travers le personnage d'un « dévendeur », les alternatives à l’achat de produits neufs, indispensables pour réussir la transition écologique : location, réparation, reconditionnement…
Un spot sur les quatre a plus fait parler que les autres : celui où le vendeur qui ne veut plus vendre conseille au client d’un magasin de vêtements de renoncer à acheter un polo noir, alors qu’il en porte déjà un. En plein Black Friday, et alors que les fermetures d’enseignes d’habillement se multiplient (Camaïeu, Kookaï, Naf Naf…), le message a provoqué la colère des professionnels.
L’Alliance du commerce, l’Union des industries textiles et l’Union française des industries mode et habillement ont dénoncé une vidéo qui stigmatise les commerces de proximité sans proposer d’alternative durable, et qui passe sous silence la responsabilité du commerce en ligne. Ils ont mis en demeure l’Ademe de retirer ce spot en particulier, provoquant le classique effet Streisand, qui veut que plus on veut censurer un contenu, plus il devient viral. Le nouveau président de l’Ademe, Sylvain Waserman, l’a lui-même reconnu sur son compte LinkedIn : « Cette campagne est la première décision que j’ai eue à prendre en arrivant à l’Ademe. Je savais qu’elle ferait parler d’elle mais à ce point… »
Un récit alternatif
Le gouvernement s’en est mêlé avec le ministre de l’Économie Bruno Lemaire, qui est monté au créneau pour défendre les commerçants, jugeant la publicité « maladroite » et « regrettable » sur France Info. De son côté, le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu a bien volontiers reconnu une maladresse dans le spot du polo, mais a assumé sa campagne sur France Inter en ces termes : « Que 0,2 % du temps d’antenne publicitaire soit consacré à se demander si tous les achats sont utiles, vu les enjeux de transition écologique, ça ne semble pas déraisonnable. » Il a assuré qu'aucun des films ne serait retiré.
Cette affaire pose la question du rôle de la publicité dans la promotion des nouveaux comportements de consommation. La campagne met en pratique les recommandations de l’Ademe dans son Guide de la communication responsable, qui défend la promotion de « nouveaux récits » alternatifs à la surconsommation. Pour Nathalie Pons, chief impact officer d’Havas (dont fait partie Havas Paris, qui a réalisé cette campagne), « le personnage du dévendeur rend aspirationnel et positif un discours qui pourrait être négatif. L’objectif était de rendre la sobriété joyeuse et populaire. Face au besoin de faire changer les comportements, la puissance de la publicité permet de s’emparer de sujets complexes et de les rendre accessibles et concrets pour les Français ».
Selon le Havas Impact Score, outil de mesure de l’impact des publicités sur les grands sujets sociétaux, 79% des personnes interrogées ont compris que ces films « incitent à avoir des comportements plus responsables » et 61 % affirment qu’ils vont les inciter à changer elles-mêmes de comportement. « Au final, la campagne a généré plus de 400 retombées avec un achat média limité, à une période où la grande majorité des publicités portait sur le Black Friday », se félicite Nathalie Pons.
«Le sens de l’histoire»
Alan Fustec, cofondateur de l’agence de labellisation Lucie et spécialiste en RSE depuis vingt ans, prend du recul par rapport à la polémique : « Tout le monde est dans son rôle : il est normal que l’Ademe ait fait ce spot, que les commerçants aient protesté et que les ministres aient défendu leurs dossiers. Mais ce n'est pas une malheureuse publicité qui est responsable des difficultés du secteur de l’habillement. Les bouleversements imposés par les limites planétaires ont autrement plus de conséquence. Toute grande mutation sociétale se fait dans la douleur. »
L’expert croit au développement d’une économie de l’usage, qui crée de la valeur par d’autres moyens que la possession : « La réglementation va devenir de plus en plus contraignante et les industriels ont tout intérêt à changer avant que cela leur soit imposé. » Des entreprises comme Ebay ou Boulanger ont déjà pris le virage des nouveaux modèles. La première a lancé un service en ligne sur la réparation, ne met plus en avant les produits neufs sur sa page d’accueil et ne participe pas au Black Friday [lire Stratégies n°2192]. La seconde développe son offre de produits reconditionnés, éco-conçus ou fabriqués en France.
« L’Ademe est légitime à faire cette campagne, qui a été bien accueillie par le grand public. Cela reste un sujet clivant mais qui va dans le sens de l’histoire. Si une agence publique communique de cette façon, d’autres acteurs vont forcément le faire », commente Gildas Picchi, responsable de l’offre Transition de l’agence Hopscotch PR.