CAHIER TRANSITION

C’est le sujet qui agite les entreprises actuellement : la directive européenne sur le reporting de durabilité des sociétés entre en vigueur à partir du 1er janvier 2024. Contraignante, elle a le pouvoir de transformer en profondeur l’économie. Explications en quelques points clés.

1/ Quelle est la philosophie derrière la CSRD ?

La CSRD (Corporate sustainability reporting directive ; en français, directive sur le reporting de durabilité des sociétés) entre dans le cadre du Pacte Vert européen, qui vise la neutralité carbone du continent en 2050. Elle oblige à publier des informations détaillées sur les impacts liés aux questions sociales, environnementales et de gouvernance. Par exemple, est-ce que l’activité génère de la pollution, est-ce qu’elle affecte des communautés locales ? La CSRD remplace la directive existante sur le reporting extra-financier (DPEF) en la complétant sur plusieurs points : elle élargit le champ d’application à un plus grand nombre de sociétés, elle crée un référentiel commun afin de comparer les entreprises d'un même secteur, elle rend obligatoire la vérification des déclarations par un organisme tiers indépendant.

« Le but est d’atteindre une convergence normative afin d’apporter des éléments de comparabilité et de transparence pour les investisseurs et les autres parties prenantes demandeuses de ces données : les banques, les ressources humaines pour leur marque employeur, les salariés… L’information sera plus fiable, cela permettra d’éviter le greenwashing », explique Émilie Thibault, associée du cabinet d’expertise comptable Orcom. « L’alignement de toutes les données et l’obligation de les publier sur internet va permettre d’alimenter les agences de notation, les investisseurs, les journalistes », complète Sébastien Mandron, directeur RSE du groupe Worldline et responsable du groupe de travail sur la CSRD au Collège des directeurs du développement durable (C3D).

2/ Quelles entreprises sont concernées ?

Toutes les sociétés cotées sur les marchés européens, y compris les PME ; toutes les autres entreprises européennes, cotées ou non, situées au-dessus de deux des trois critères suivants : 250 salariés, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, 20 millions d’euros de bilan ; par le biais de leurs filiales, certaines sociétés non européennes si leur chiffre d’affaires réalisé dans l’Union européenne est supérieur à 150 millions d’euros. À terme, cela touchera 50 000 entreprises. 

3/ Quel est le calendrier ?

C’est demain. Au 1er janvier 2024, les entreprises cotées et de plus de 500 salariés doivent commencer la collecte de données pour un premier reporting en 2025. Les sociétés de plus de 250 employés (et/ou de plus de 40 millions d'euros de chiffre d’affaires et 20 millions d'euros de bilan) doivent suivre en 2025, les PME cotées en 2026 (avec une dérogation jusqu’en 2028) et les sociétés non européennes en 2028. Or, selon une récente étude du cabinet Goodwill Management, les entreprises ne sont pas prêtes : 57% connaissent « un peu » ou « pas du tout » la CSRD, 32%, « à peu près » et 11%, « très bien ». D’après le baromètre réalisé par Wavestone pour le C3D en mai 2023, seulement 15% des structures concernées ont engagé les adaptations nécessaires. « C’est notre priorité des prochains mois, témoigne Noémie Bauer, directrice du business durable chez Pernod Ricard. Nous avons déjà l’habitude du reporting avec la DPEF mais la CSRD nous pousse à le renforcer encore. C’est dans le sens de l’histoire. »

4/ Qu’est-ce que la double matérialité ?

C’est le cœur de la directive et ce qui peut la rendre vraiment transformative pour l’économie : le principe de double matérialité impose aux entreprises de déclarer non seulement en quoi les risques sociaux et environnementaux impactent leur compte de résultat, mais aussi, en retour, en quoi leur activité affecte l’environnement et le social, avec des éléments matériels comme la consommation d’eau, les émissions de CO2, la perte de biodiversité, la circularité. Les agences de notation et les investisseurs vont se baser sur ces informations pour fournir leurs prévisions, avec des implications très concrètes. 

« Les business models vont devoir changer, assure Sébastien Mandron. Si vous êtes croisiériste et que vous voulez encore avoir des investisseurs dans dix ans, il faut évoluer vers un modèle de tourisme plus local. Si vous êtes fabricant de matériel informatique, il faut envisager de devenir réparateur d’ordinateurs. » À ce stade, il n’est pas prévu de sanctions pour les entreprises les moins disantes, la seule obligation étant de publier les informations. Mais la sanction viendra du marché. « La CSRD est de nature à faire bouger les choses, car elle implique toute la chaîne de valeur. Les entreprises vont demander des comptes à leurs fournisseurs, les banques vont orienter leurs financements vers les acteurs les plus performants », affirme Dominique Buinier, directrice des opérations et de la RSE d’Octo Technology (groupe Accenture). « Même Shein, qui ouvre des boutiques sur le sol européen, va être soumis à cette obligation en 2028. La performance extra-financière va être jugée au même niveau que la performance financière et sur tout la chaîne de valeur », se félicite Émilie Thibault.

5/ Quelle est la différence avec une démarche de labellisation ?

On peut se demander si cette directive rend caducs les labels type B Corp ou Afnor. En fait, leur objectif n’est pas le même. « Un label démontre un niveau de maturité et d’agilité et va permettre de gagner du temps dans le reporting. Mais il s’adresse surtout aux clients ou à l’interne. La CSRD concerne un plus grand nombre de KPI et n’est pas basée sur le libre arbitre », souligne Sébastien Mandron. « Outre le fait que B Corp est un référentiel américain, il certifie les entreprises qui ont un impact positif. La CSRD crée une obligation de communication pour tous quel que soit le résultat », précise Émilie Thibault.

Chiffres clés

50 000 Nombre d'entreprises concernées par la nouvelle directive européenne CSRD.

15% Part des structures concernées qui ont commencé à adapter leur reporting (baromètre Wavestone-C3D, mai 2023).

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