Cécile Texier est vice-présidente développement durable et RSE d’Alstom, où elle est entrée en 2005. Elle détaille la stratégie de décarbonation du leader mondial du transport ferroviaire (16,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, plus de 80 000 collaborateurs dans le monde).
Qu’est-ce qui vous a menée à exercer vos fonctions de directrice RSE dans une grande entreprise ?
Cécile Texier Depuis mes études d’ingénieur, j’ai toujours été intéressée par le lien entre performance environnementale et sociale, et performance économique. Une entreprise n’est pas qu’un acteur économique, elle a un rôle à jouer dans la transformation du monde et doit créer de la valeur au-delà du volet financier.
En tant que fabricant de matériel ferroviaire, Alstom est un acteur du transport durable. Quelle est sa stratégie de décarbonation ?
Sur les scopes 1 et 2, qui concernent les émissions de CO2 directement liées à nos opérations, Alstom s'est engagé à réduire de 40% les émissions provenant de ses sites. Notre plan de décarbonation cible à la fois l’efficacité énergétique de nos usines et le passage de nos sites à une énergie d’origine renouvelable. Sur le premier point, rendu encore plus crucial avec la crise énergétique, nous avons réduit de quasiment 11% la consommation d’énergie de nos installations cette année par rapport à l’année précédente. Sur le second point, nous avons équipé une dizaine de nos sites en panneaux solaires, et une quinzaine d’autres sont en cours d’études de faisabilité. En parallèle, nous avons signé un « virtual power purchase agreement », un accord pour contribuer au développement d’une ferme solaire en Espagne qui va couvrir l’équivalent de 80% de la consommation énergétique de nos usines en Europe.
Qu’en est-il de l’efficacité énergétique de vos matériels ?
Notre engagement stratégique est de baisser la consommation d’énergie de nos solutions de 25% entre 2014 et 2025. Nous sommes à 23,4% cette année. Cela permet d’offrir à nos clients des produits moins énergivores, donc de baisser indirectement nos émissions. Nous proposons des solutions alternatives au diesel comme l’hydrogène et les batteries. Nous travaillons aussi avec nos clients pour les amener à mettre en place des programmes de transferts vers des énergies renouvelables. Nous sommes présents dans 63 pays, de l’Europe à l’Amérique du Nord en passant par l’Afrique du Sud, le Kazakstan, l’Inde… Tous ces pays ne sont pas engagés dans la transition énergétique de la même façon. L’enjeu est de réussir à faire baisser les émissions de CO2 sur l’ensemble de nos projets.
Dans les pays émergents, le développement économique n’est-il pas prioritaire par rapport à la décarbonation ?
Dans ces pays, la RSE est d’abord orientée vers les enjeux sociaux car les besoins sont énormes autour de l’éducation et de la santé. Pour autant, ils sont aussi sur le chemin de la décarbonation. Nous avons par exemple équipé en panneaux photovoltaïques nos usines de Sri City en Inde et de Fès au Maroc. Quels que soient les marchés où nous opérons, notre ambition est toujours d’arriver à 100% d’électricité d’origine renouvelable à l’horizon 2025. C’est tout à fait possible dans les pays du Sud, où l’on peut bénéficier de l’énergie solaire.
Au niveau du scope 3, vos trains sont fabriqués en acier, vous êtes donc dépendants des politiques énergétiques des pays producteurs. Comment diminuer cet impact ?
En effet, le scope 3, la supply chain en amont, représente l'un de nos plus gros postes d’émission. Nous avons pris l’engagement de réduire les émissions liées à nos achats de 30% à horizon 2030, en premier lieu les achats métalliques qui pèsent pour 30% de nos émissions. Je vous cite deux exemples : les rails de la ligne 18 du Grand Paris Express vont être fabriqués en acier recyclé produit avec arc électrique, ce qui fera baisser les émissions de CO2 d’environ 75%, soit 6 000 tonnes. Sur le TGV M, la nouvelle génération de train à grande vitesse, les profilés aluminium sont produits majoritairement avec de l’aluminium recyclé et de l’électricité d’origine renouvelable, ce qui va diviser les émissions par deux.
Comment communiquez-vous sur vos engagements ?
En tant qu’entreprise du CAC40, nous avons des obligations de communications environnementales et sociales que nous synthétisons dans une brochure RSE d’une trentaine de pages, plus lisible et visuelle que notre rapport annuel intégral. Nous participons aux conférences des Nations unies sur le changement climatique, nous sommes présents dans les associations professionnelles pour faire entendre la voix du ferroviaire dans la mobilité durable aux côtés d’autres acteurs.
Nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux, notamment sur LinkedIn, où nous avons plus d’un million d’abonnés. Nous nous devons d’être visibles afin de promouvoir la mobilité durable mais aussi pour renforcer notre marque employeur car nous avons besoin de recruter de jeunes talents : ingénieurs, data scientists, experts de la cybersecurité, de la « tech » ainsi que les nouveaux métiers liés à l’hydrogène. En 2022, nous avons embauché 14 000 collaborateurs dans le monde. Notre implication dans le développement durable participe de notre attractivité.
Le C3D (Collège des directeurs du développement durable) vous a remis cette année le premier prix Paulownia du leadership. Que signifie cette distinction ?
J’ai été extrêmement honorée de recevoir ce prix, qui récompense sans doute mon expérience dans ce métier mais également l’action et l’engagement de l’équipe développement durable et RSE d’Alstom. C’est aussi une reconnaissance pour toutes les directions du développement durable de France, qui sont souvent des équipes un peu isolées. Le C3D nous permet de partager nos interrogations et d'avancer ensemble, cela nous donne de l'énergie.
À titre personnel, qu’avez-vous changé dans votre quotidien pour réduire votre empreinte environnementale ?
Quand on est exposé tous les jours aux informations sur l’impact carbone, forcément ça fait réfléchir. Les trois plus gros postes d’émissions sont les déplacements, l’alimentation et le chauffage. Je privilégie donc le train en Europe, je suis allée à Vienne et à Barcelone et c’est tout à fait faisable. J’utilise les transports publics et le vélo en ville. Je consomme peu de viande et quasiment plus de viande rouge. Enfin, ma nouvelle maison est équipée d’un poêle, c’est une façon de consommer moins de fossiles.
1997. Diplômée de l’École des Mines de Saint-Étienne.
1997-2000. Consultante environnement chez Ineris.
2000-2005. Responsable développement durable chez KPMG France.
2005. Entre chez Alstom comme analyste environnement, hygiène et sécurité.
Depuis 2015. Membre du C3D (Collège des directeurs du développement durable).
Depuis 2018. Vice-présidente développement durable et RSE d’Alstom.