Heineken entame en cette rentrée le déploiement en grande surface de sa marque de bière Pélican, née il y a plus de cent ans, en veilleuse ces derniers temps et désormais remise sur le marché pour séduire les jeunes. Récit d’une relance dans laquelle rien n’a été laissé au hasard.
Le nain de jardin a un nouvel ami, le pélican. Le nain de jardin… Message codé ? Non, façon imagée de décrire l’arrivée en grande distribution de la bière Pélican. Portée par l’industriel Heineken, la boisson houblonnée devrait arriver en ce mois de septembre dans les rayons des grandes surfaces alimentaires, six mois après avoir été relancée dans les cafés, hôtels et restaurants. Aux côtés, donc, de la Chouffe (groupe Duvel Moortgat) au fameux petit emblème, et de moult autres marques de bière.
Pélican ? Au-delà d’un oiseau – et, on le sait moins, d’une danse de type fox-trot –, Pélican est surtout le nom d’une brasserie centenaire du Nord, aujourd’hui basée à Mons-en-Barœul près de Lille. Créée en 1921, elle n’avait pas vraiment disparu depuis lors mais la boisson du même nom demeurait ces derniers temps moins vendue, plus confidentielle, cantonnée à certains segments de marché. Face à une certaine demande de sens, de valeurs et d’ancrage, Heineken, qui commercialise par ailleurs les marques Desperados, Affligem ou Pelforth (également née à la brasserie du Pélican), a souhaité la remettre au goût du jour, en visant les jeunes générations. « C’est une marque patrimoniale, que l’on veut développer en lien avec les attentes des millennials », expose Fabien Besse, responsable marketing en charge des marques international et premium de Heineken France. « C’est un lancement important pour nous, inscrit dans une stratégie de premiumisation du portefeuille Heineken », précisera-t-il un peu plus tard, interrogé, sans succès côté chiffres, sur les investissements consentis pour ce projet.
Que cela arrive aujourd’hui n’est pas fortuit. « Ce type de relance dans l’univers boisson est assez fréquent d’autant plus que l’on observe un boom des brasseries artisanales depuis une dizaine d’années, un renouveau exporté des États-Unis et du Royaume-Uni », contextualise Ludovic Mornand, dirigeant fondateur de Studio Blackthorns, cabinet de conseil en stratégie de positionnement et refonte de marque dans les secteurs boisson, bière et spiritueux. « L’un de nos souhaits est d’accessibiliser le mouvement des bières craft », promettait Fabien Besse, qui conduit cette relance avec deux autres personnes au marketing et en lien avec la force de vente.
Autre paramètre : dans un marché où la consommation d’alcool est en baisse tendancielle, les attentes des plus jeunes – cible prioritaire pour contrer ce déclin – diffèrent de celles de leurs aînés. « Les millennials recherchent l’authenticité et le goût, des choses sans chichis, la convivialité, l’humour, le décalage », détaille Fabien Besse. Ce sont des consommateurs avertis : « Les cavistes se rendent compte que les jeunes connaissent bien la bière : ils arrivent avec des questions plus ciblées », souligne Ludovic Mornand. Pas question donc de les prendre de haut…
« Capital sympathie »
« Le point de vigilance principal, lorsque l’on relance une marque, est de s’assurer qu’elle porte des valeurs ou un savoir-faire qui va raisonner aujourd’hui », pose Sandra Joly, associée en charge du département Consumer branding de l’agence de branding et design Lonsdale. Ancrage local, savoir-faire issu de la tradition, dimension historique... La matière ne manque pas pour Pélican, qui compte faire beaucoup plus que surfer sur une tendance, afin d’assurer sa pérennité. « Nous avons regardé cette marque et ses éléments saillants », indique Fabien Besse, tablant en même temps sur le « capital sympathie » de celle-ci, reposant notamment sur son nom et sur l’imagerie autour du pélican. Tout est retravaillé : cible, positionnement, identité. Sur le volet graphique et artistique, l’agence de branding Blackandgold, partenaire de longue date d’Heineken, est sollicitée.
Ce travail se traduit d’abord dans le produit, avec le choix de proposer des bières dites de fermentation haute et non filtrées – ce dernier point se voulant gage d’authenticité – et déclinées en deux recettes, une bière blonde et une fruitée. Une façon de répondre, sans trop prendre de risques a priori, aux attentes autour du goût, et de tenter de plaire au plus grand nombre.
Cela se concrétise ensuite dans l’identité visuelle. « Nous avons travaillé avec un illustrateur pour institutionnaliser le pélican », explique le responsable marketing. On sait les vertus d’une mascotte : elle insuffle de la vie à une marque, encourage l’émotion voire l’attachement ainsi que le jeu et l’humour, se décline en communication… Reste à voir comment celle-ci sera accueillie. En parallèle, les habituels « codants » de la bière (cuve de brassage, verre, épi d’orge…) sont également revus par l’illustrateur, l’Américain Chris Piascik. Les packagings notamment se parent d’un style BD, d’inspiration « comic américain adulte », résume Fabien Besse, pour mieux happer l’attention.
L’étiquette à l’envers
Cela se traduit enfin par la création d’un rituel de consommation. Heineken a imaginé le « Retournez-savourez », invitant à retourner sa bière avant de la boire pour agiter les levures présentes à l’intérieur. Une gestuelle expliquée sur les canettes et qui, au lancement, trouvera un écho dans l’impression à l’envers d’une série d’étiquettes de bouteilles. « La mise en place d’un tel rituel est une mesure marketing puissante pour identifier le moment de consommation de sa boisson et se différencier », estime Ludovic Mornand. Une façon aussi d’apporter un certain plus à la dégustation et de susciter la convivialité.
Quoi qu’il en soit, la nostalgie n’est pas loin… « Nous sommes dans l’exonostalgie : la transmission d’images et de récits du passé à une cible qui ne les a pas vécus, traduit Sandra Joly. L’exonostalgie est l’une des dimensions de ce que l’on appelle rétrotopia, incluant néo-tradition et émotion, souvenir collectif. » Ce design, « fun mais pas encore ultra-moderne », « me fait penser au catalogue Le Goéland », catalogue de T-shirts punks fameux dans les années 1990, sourit Ludovic Mornand. Et l’expert de préciser que « la nostalgie est une tendance de fond dans l’univers cocktail et boisson ». En témoigne une récente campagne mondiale pour les 160 ans de Martini (groupe Bacardi), inspirée d’un héritage de marque remis au goût du jour.
Dernier gage de réussite et non des moindres pour une relance : la communication. Un plan a déjà démarré, articulé autour de deux cibles, grand public et points de vente. Outre de la publicité, des animations en grande distribution sont prévues, par exemple. L’agence Mnstr notamment opère sur le sujet.
2,1 milliards d’euros Chiffre d’affaires 2022 d'Heineken France.
3700 Nombre d’emplois directs chez Heineken France, incluant la filiale de distribution France Boissons.