[Tribune] Vecteur de créativité autant que de fatigue informationnelle et d’altération de notre attention, le numérique est aussi un canal de communication pour bon nombre d’organisations qui s’engagent au service de l’intérêt général. Face à ce paradoxe, si la solution était de mettre la communication au service de l’attention ?
Qu’elle soit corporate ou publicitaire, le rôle de la fonction communication est de porter la parole d’une organisation. Pour être lu, vu et entendu, il s’agit de s’appuyer sur les biais cognitifs de son audience cible pour la toucher et diffuser ses messages, en ayant recours à des ressorts émotionnels ou rationnels. Cette mécanique a été amplifiée par le déploiement à vitesse grand V d’outils numériques offrant de larges potentialités de création et de diffusion de contenus. Communicants, publicitaires, marketeurs, médias… Ils y ont non seulement trouvé de formidables moyens de toucher de manière précise et efficace leurs publics, mais également un lien direct pour converser avec eux.
Objet d'enchères
Cependant, la recherche d‘un modèle économique et le passage d’échanges entre humains à un outil de communication ont transformé ces réseaux pour en faire des vitrines où le dialogue disparaît au profit de la publicité. L’attention de l’utilisateur fait l’objet d’enchères et d’investissements pour la conserver le plus longtemps possible - et tous les moyens sont permis. Ceux qui réussissent à tirer leur épingle du jeu sont ceux qui bénéficient de communautés très engagées et/ou qui adoptent complètement les codes de ces modèles, en étant donc offensifs.
Victime autant qu’actrice, la fonction communication a un large rôle dans cette mécanique, participant d’une part à la création de contenus susceptibles de générer de l’engagement et, de l’autre, finançant ces plateformes à grands coups d’investissements publicitaires, indispensables et toujours en progression.
Temps passé sur les réseaux, comparaison avec les autres, circulation de contenus négatifs et de fausses informations… Les effets de bord de cette captation de notre attention affectent nos savoirs individuels, notre bien-être, nos interactions sociales, notre démocratie et in fine notre capacité à faire société (1).
On peut s’interroger sur la cohérence entre ces éléments (valeurs, messages et actions) et les outils (canaux utilisés pour les faire connaître). Revendiquer un engagement sans faille pour le bien-être, le développement ou l’environnement, et nourrir dans le même temps le jeu de nos attentions, financer des modèles qui encouragent la circulation de contenus négatifs voire toxiques peut sembler peu cohérent.
Des textes de régulation européens comme le Digital Services Act permettront à tout le moins d’interroger les design de captologie de notre attention et devraient théoriquement permettre de réduire leurs effets. En parallèle, la communication, en ce qu’elle fait le lien entre le message, le canal, l’action et le public, a une place privilégiée pour recréer du lien et garantir de la cohérence du tout. Les moyens d’agir qui s’offrent aux acteurs de la communication sont nombreux : privilégier les espaces de débat et d’échanges comme des groupes de discussion, penser des formats qui nourrissent, choisir ses investissements publicitaires au prisme de ce critère, soutenir des modèles alternatifs comme Wikipédia ou encore Mastodon, travailler avec des relais engagés dans cette voie et accompagner les audiences pour protéger leur attention en les invitant à imaginer les réseaux dont ils rêveraient par exemple.
La confiance n’est-elle pas un des premiers leviers d’influence et d’achat ? Prenant sa part, la fonction communication allierait ainsi le mot au geste et se mettrait non seulement au service de son organisation mais également de son audience, interne ou externe. Pour que ce changement de pratiques soit efficace et vertueux, il doit faire l’objet d’une mobilisation collective de ces professions : un engagement qui serait tout autant un argument pour moins dépendre de ces réseaux.
(1) Voir le dossier Votre attention s’il vous plaît, que le Conseil national du numérique a publié début 2022.