Le 30 mars dernier, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité un texte encadrant les pratiques commerciales controversées des influenceurs sur les réseaux sociaux. On débriefe avec Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme.
La « proposition de loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » qui vient d’être adoptée par les députés est un cas quasi-unique de travail parlementaire transpartisan, après celle sur les déserts médicaux. À savoir qu’elle a été construite avec Bercy et portée concomitamment par deux députés qui ne font pas partie du même groupe parlementaire : Arthur Delaporte (PS, au sein de la Nupes), Stéphane Vojetta (apparenté au groupe Renaissance).
Olivia Grégoire est la ministre déléguée au côté du ministre de l’Économie Bruno Le Maire, en charge des petites et moyennes entreprises, du Commerce, de l’Artisanat et du Tourisme, mais aussi la Consommation, et c’est à ce titre qu’elle a siégé au banc de l’Assemblée nationale pour représenter le gouvernement, dans la mesure où le texte concerne les influenceurs et donc indirectement les consommateurs.
Quelle est la vocation politique de cette proposition de loi ?
Dès son article premier, cette proposition de loi vient définir ce qu’est « l’influence commerciale » qui ne possédait pas de définition en droit. Il s’agit pourtant d’une véritable filière qui pèse dans l’économie de notre pays. On compte aujourd’hui 150 000 influenceurs en France, pas moins de 42 millions de consommateurs français en ligne, pour des milliards de chiffre d’affaires à la clé. Cette proposition de loi permet à la France de se doter du premier cadre légal de l’influence commerciale en Europe, d’accompagner les influenceurs, leurs agents, de légiférer sur les contrats qui régissent les relations entre les marques et les influenceurs, mais aussi à mieux protéger les consommateurs. Comme l’a dit Bruno Le Maire aux acteurs réunis maintes fois à Bercy, l’influence commerciale est un sujet sérieux, pratiqué par une majorité de gens très sérieux. Et que ceux qui ne sont pas sérieux puissent être sanctionnés. Nous avons donc travaillé avec toutes les parties prenantes à commencer par les influenceurs eux-mêmes, le Collectif AVI, l’association des victimes d’influenceurs, mais également avec l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), les acteurs de la publicité, les agents d’influenceurs et les plateformes. Une très large consultation publique organisée par Bercy a permis de recueillir l’avis de 19 000 citoyens. C’est un vrai succès et cela illustre une méthode qui nous est chère à Bercy : concerter, dialoguer et rédiger un texte équilibré.
Comment cette proposition de loi a-t-elle évolué depuis les premières propositions par différents députés ?
Initialement, en effet, plusieurs députés avaient déposé chacun de leur côté une proposition de loi parallèlement aux travaux de Bercy. Arthur Delaporte, Stéphane Vojetta mais également l’écologiste Aurélien Taché. Il a donc été décidé au Parlement de rassembler les différentes initiatives au sein d’un texte commun, qui soit plus robuste. Du côté du gouvernement, un gros travail de concertation avait été fait, avec toutes les parties prenantes de l’influence, dont les citoyens, qui a été présenté fin mars. Bruno Le Maire et moi-même, qui avions émis 13 propositions à l’issue de la consultation publique et des échanges avec l’ensemble des parties prenantes, avons tendu la main aux députés et construit avec eux la grande majorité des propositions qu’il contenait. Les principaux débats ont concerné les interdictions de pratique d’influence commerciale sur un certain nombre de champs sensibles comme la santé et la finance, ce qui a permis d’affiner la position du texte.
Concernant ces secteurs de publicités dits sensibles, pourquoi avoir fait des distinctions entre les secteurs ?
En fait, la règle de base c’est de strictement considérer l’influence commerciale comme un medium, un support de communication, au même titre que l’écrit, l’audiovisuel, le cinéma ou le digital. D’abord, parce que si nous avions mis plus d’interdictions sur certains domaines pour les influenceurs, nous aurions pris un risque devant le Conseil constitutionnel, qui aurait pu retoquer la loi sur la base d’une « rupture d’égalité ». Deuxième sujet, celui de la cohérence. Sur YouTube par exemple, il ne serait pas logique que les pubs avant, pendant et après et la vidéo en elle-même ne soient pas encadrées par les mêmes règles. Nous sommes toutefois tombés d’accord sur une interdiction pure et simple de ce qui est aujourd’hui un fléau sur les réseaux sociaux : la promotion de la chirurgie esthétique par les influenceurs. Du reste, la loi interdit déjà la publicité d’établissements de santé et de médecins. Concernant l’alcool et le tabac, ces secteurs sont en réalité déjà encadrés par la loi Evin ; c’est-à-dire que la publicité est autorisée sur les réseaux sociaux, mais elle ne doit pas être intrusive ni interstitielle, et il ne doit pas s’en dégager une notion de plaisir ou d’envie. De même pour les produits sucrés, où la loi française impose que des mentions obligatoires soient faites dans les publicités. Enfin, sur les jeux d’argent, qui incluent certains jeux vidéo en ligne, il a été retenu un cadre renforcé de contrôle par les plateformes. Concrètement, si les plateformes peuvent techniquement exclure l’accès des mineurs à ces contenus, alors la plateforme pourra diffuser ces promotions. Si le site ne peut garantir cette exclusion des moins de 18 ans, alors la promotion des jeux en ligne et d’argent sera interdite.
Comment avez-vous veillé à garder l’équilibre entre d’un côté, l’opinion publique, représentée par les députés, et le respect d’un marché qui prétend s’être autorégulé ?
D’abord, par la méthode. Le mot d’ordre était : pas de caricature. À défaut d’être des spécialistes, les députés et le gouvernement, qui sont plus généralistes, ont écouté les experts des différents marchés. Depuis janvier, le ministère de l’Économie s’est attaché à prendre en compte l’avis de toutes les parties prenantes. D’un côté la consultation de plus de 100 000 internautes, de l’autre, l’audition d’une quarantaine de professionnels et l’organisation de 8 tables rondes. Les positions ne se sont pas radicalisées et ont tenu compte à la fois des drames qui ont pu avoir lieu, mais aussi de toutes les bonnes pratiques qui sont déjà en vigueur. Ce n’est pas parce qu’il y a quelques individus mal intentionnés dans un écosystème qu’il faut condamner tout l’écosystème. Nous avons reconnu que la filière est déjà en train de se professionnaliser et c’est précisément pour cela qu’elle mérite une régulation et un cadre légal solide, comme tout autre secteur économique, qui permette de faire le tri entre ceux qui profitent du système et les professionnels sérieux.
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