Le retail media a enregistré en 2022 une croissance de 30 %. L’essor de l’e-commerce post-covid et la marge dégagée par Amazon suscitent les appétits des acteurs traditionnels de la distribution, comme ceux de la publicité. Cette dynamique débridée débouchera-t-elle sur une consolidation du secteur ou une large alliance face au géant de l’e-commerce ? Un article également disponible en version audio.
Écoutez cet article :
Le retail media affiche une croissance insolente. Après une progression de 42 % en 2021, ce levier de la publicité digitale ciblant le consommateur pendant son parcours d’achat affiche pour 2022 une croissance de 30 %. Il représente désormais 887 millions d’euros d’investissements publicitaires, soit 10 % de l’ensemble de la pub digitale, selon l’Observatoire de l’e-pub 2022 du SRI et de l’Udecam. Avec le covid et l’explosion de l’e-commerce, les grandes enseignes de la distribution ont accéléré la digitalisation de leur activité. Début 2022, la France comptait 42,7 millions de « cyberacheteurs », soit 2 millions de plus qu’un an auparavant, d’après le Baromètre trimestriel de l’e-commerce en France de Médiamétrie et la Fevad. Et l’inflation ainsi que la hausse du prix des carburants alimentent cette dynamique.
Amazon a été le pionnier du retail media ; le premier, il en a exploré les possibilités et expérimenté les formules qui allaient se révéler gagnantes. Le géant de l’e-commerce génère désormais 30 milliards de dollars de revenus grâce à cette activité ; il ne serait d’ailleurs profitable que grâce à celle-ci. Grâce à son antériorité, l’audience de son site et ses solutions publicitaires accessibles, il concentre environ 75 % du chiffre d’affaires du retail media en France et, ce, bien qu’il ne pèse que 15 à 20 % de l’e-commerce. Son premier challenger dans l’Hexagone est Cdiscount (Groupe Casino) avec environ 8 % de part de marché. Les acteurs traditionnels de la grande distribution ne récoltent, eux, au mieux que 2 % à 3 % des revenus. Ils se voient donc obligés de s’allier pour tenter de peser sur ce marché où la taille est un critère déterminant.
Lire aussi : Le retail media cherche la bonne mesure
Initié dès 2017, le rapprochement des activités publicitaires de Fnac et Darty a donné naissance à Retailink en 2019. Casino et Intermarché ont annoncé au printemps 2021 une alliance au sein de la régie Infinity Advertising. Mais ces grandes manœuvres ne touchent pas que les retailers. Les acteurs de la publicité s’y mettent aussi. En juillet 2022, le trading desk Gamned ! (ex-TF1) s’est allié à Valiuz, filiale data du groupe Mulliez (Auchan, Decathlon…). En novembre dernier, l’ad tech Mirakl a annoncé le lancement d’une solution dédiée aux marketplaces, un segment très porteur. Plus ambitieux, un an après le rachat de l’adtech spécialisée Citrus Ad, Publicis a annoncé en novembre dernier la création d’une joint-venture avec Carrefour afin de « créer un leader dans le retail media en Europe et en Amérique latine », deux marchés où la fragmentation des acteurs de la distribution empêche de peser face à Amazon.
Comment expliquer un tel engouement pour le retail media ? « Le covid a tout changé : les Français ont testé et adopté l’achat en drive, les annonceurs eux aussi », résume Alban Schleuniger, directeur général d’Infinity Advertising. « Les retailers ont un cœur de business assez peu rentable. Avec l’inflation et l’augmentation des prix qu’ils ne peuvent intégralement répercuter sur le consommateur, leur marge risque de se réduire. Le retail media apparaît alors comme une source de croissance de revenus et surtout de marge très significative », décrypte Cyrille Geffray, CEO de RelevanC, la filiale data du Groupe Casino. « L’adoption du retail media par la grande distribution était toute naturelle, les marques sont déjà habituées à rémunérer les distributeurs pour la promotion ou la mise en valeur de leurs produits », rappelle Thibault Hennion, managing director of international operations chez Epsilon, qui chapeaute l’activité de Citrus Ad.
Lire aussi : Rakuten présente sa nouvelle solution retail média
L’évolution de l’environnement technologique et réglementaire devrait encore augmenter le poids du retail media dans la publicité numérique. Google a annoncé la fin prochaine du recours aux cookies tiers, base historique du ciblage publicitaire. « Avec la disparition des cookies, il sera plus difficile de cibler efficacement le consommateur dans un environnement média », constate Thibault Hennion. « L’une des alternatives est l’utilisation de données first party sur des plateformes réalisant de fortes audiences ; les retailers disposent des deux », complète Cyrille Geffray. D’autant que « de nouvelles solutions technologiques émergent ; dorénavant, l’offre crée la demande, constate Nicolas Rieul, directeur général de Criteo pour Europe de l’Ouest. Cela porte le marché à maturité. »
Mais d’autres événements sont aussi favorables au déploiement du retail media. « Avec le dispositif Oui Pub, qui devrait entériner la fin des prospectus et catalogues papier – qui représentaient un énorme enjeu de trafic pour les enseignes -, cela va rajouter une bonne dose de pression dans le système », renchérit Jérémy Hoy, directeur de GroupM Commerce, l’entité de conseil pour les activités omnicanales de l’agence média.
Avec cette dynamique et les appétits des acteurs qui s’aiguisent, comment le marché va-t-il se structurer ? « La France est un pays à part dans le domaine du retail avec une vraie diversité d’acteurs », rappelle Christophe Blot, directeur de Cdiscount Advertising, persuadé que le marché va se structurer rapidement « comme tout marché en pleine croissance ». Cela ira-t-il jusqu’à une large alliance des grands acteurs de la distribution physique comme l’espèrent Carrefour et Publicis au travers de leur joint-venture ? « En publicité, la première des batailles, c’est celle de la taille », rappelle Thibault Hennion, executive sponsor chez Citrus Ad. « Les acteurs de la distribution sont trop petits pris isolément pour proposer une alternative crédible à Amazon : ils doivent s’allier au sein d’une plateforme commune et proposer des outils uniformisés », complète-t-il.
Lire aussi : Les principaux acteurs du retail media en France
La plupart des acteurs du marché regardent cette alliance d’un bon œil, affichant la volonté de ne pas laisser le géant de l’e-commerce poursuivre seul la course en tête. Toutefois, certains sont sceptiques sur la capacité des associés à convaincre d’autres acteurs de les rejoindre. « Une joint-venture, c’est quand même un sacré engagement capitalistique », note Jérémy Hoy chez GroupM. « Pour l’instant, ce n’est pas un sujet prioritaire pour nous », répond simplement Alexandra Suire, directrice de Retailink.
« Aujourd’hui, tous les acteurs du marché se dotent de solution on-site, mais le prochain relais de croissance, c’est le off-site », avance Thibault Asselot, head of retail media Europe & Latam chez LiveRamp, soulignant les possibilités de croissance de l’activité en dehors du site e-commerce du retailer via les solutions display, vidéo ou social. « Aujourd’hui, nous développons une solution de produit sponsorisé pour laquelle la demande est très forte, mais Mirakl va étoffer son catalogue de solutions avec d’autres formats adaptés à l’extension d’audience ou au display », indique Jean-Gabriel de Mourgues, vice-président exécutif de Mirakl.
Et au-delà de l’extension d’audience en digital, « le véritable enjeu d’avenir, c’est d’arriver à réconcilier le digital et les données issues des magasins physiques », pointe Chloé Six-Latapie, managing director de Gamned !. « Il devra y avoir une structuration des propositions technologiques adaptées au retail physique, confirme Alexandra Suire. C’est encore celui qui génère les revenus les plus importants. »
Quelle est la vision d’Amazon sur le retail media ?
À nos yeux, le retail media a toujours été un moyen d’aider nos clients et de les accompagner dans leur parcours de consommateur. La publicité, lorsqu’elle est bien faite, peut être très utile en aidant les consommateurs à découvrir dans la vaste sélection d’Amazon des marques auxquelles ils ne seraient pas exposés autrement.
Comment Amazon peut-il maintenir sa position dans ce domaine ?
Nous plaçons toujours les besoins de nos clients – y compris ceux de nos clients annonceurs - au premier plan pour innover. Nous testons, itérons, optimisons et augmentons la pertinence des publicités grâce au machine learning afin d’améliorer l’expérience de nos clients, synonyme de réussite pour nos annonceurs. Nous améliorons en continu notre gamme de produits Sponsored Ads, qui aident les annonceurs à mettre en valeur leur marque et leurs produits dans les résultats de recherche. Par ailleurs, nous avons également développé l’outil Video Builder, qui permet aux marques de créer et d’éditer facilement des vidéos. Les annonceurs peuvent expérimenter rapidement différentes variations de chacune de leurs vidéos, pour maximiser l’engagement.
Comment pouvez-vous contribuer à améliorer les mesures de performance des campagnes ?
Nous sommes investis dans ce projet d’aider les marques à mesurer plus efficacement l’impact de leurs campagnes et réfléchissons constamment à la manière dont nous pouvons soutenir encore plus efficacement les experts du marketing. Notre solution de data clean room offre un environnement sécurisé et respectueux de la vie privée, dans lequel les annonceurs peuvent facilement analyser des signaux rendus anonymes, y compris ceux d’Amazon Ads, ainsi que leurs propres données. Cela contribue à améliorer la planification, la mesure et l’optimisation des campagnes.