Les négociations annuelles entre la grande distribution et ses fournisseurs agro-industriels sont particulièrement tendues cette année, avec des menaces d'augmentations des prix «délirantes». Le risque est-il réel ou exagéré ? Éléments de réponse.
L'expression fait peur, «mars rouge» : la grande distribution n'a de cesse de dénoncer des hausses de tarifs jugées «délirantes» demandées par leurs fournisseurs agro-industriels, avec le risque que les prix ne grimpent à nouveau dans les rayons des supermarchés à partir du printemps.
Pourquoi parler de «mars rouge» ?
Chaque année, les supermarchés négocient avec leurs fournisseurs de l'industrie agro-alimentaire les prix et les conditions de vente auxquels ils leur achètent une part importante des produits qu'ils vendront ensuite. Ce sont les négociations annuelles qui ont lieu pour l'ensemble des produits à marque dite nationale (Danone, Lu, Mondelez...). Les produits de marques de distributeurs (Marque Repères, Produits U ou Carrefour...) ne sont pas concernés.
Ces négociations, qui doivent être conclues au plus tard le 1er mars, sont traditionnellement tendues, mais le sont d'autant plus cette année dans un contexte inflationniste (énergie, transports ou matières premières) qui pèse sur les marges de l'ensemble des acteurs. Arguant que leurs coûts de production ont grimpé, les industriels ont demandé aux supermarchés d'acheter leurs produits plus cher. Mais les hausses demandées sont «délirantes», à hauteur de 20%, a fustigé dans une interview au Figaro le 14 février Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour, qui a publié au même moment des résultats financiers confortables.
Risque réel ou exagéré ?
«On peut être impressionné par le niveau des hausses demandées, mais chacune d'entre elle est avérée, et elles sont tout sauf délirantes !», s'est indigné le 15 février Jean-Philippe André, président de la principale organisation patronale de l'agroalimentaire français, l'Ania. «Les matières premières sont plus chères que l'an dernier et nous avons acheté l'énergie aux tarifs actuels pour toute l'année. Nous sommes encore dans des cycles de hausses, qui n'ont pas été répercutées» dans les prix des produits vendus aux supermarchés, a-t-il expliqué à l'AFP.
La distribution assure ne pas pouvoir absorber seule ces hausses de tarifs et dit donc devoir les répercuter sur ses clients. Le panéliste NielsenIQ, formulant l'hypothèse d'une hausse des prix alimentaires de 15% en juin 2023 par rapport à 2021, estime que cette augmentation engendrerait, pour un ménage avec deux enfants, un surcoût de l'ordre de 800 euros pour les mêmes achats qu'en 2021. En 2022, ce surcoût était de 280 euros.
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Les supermarchés ont intérêt à agiter cette menace car les négociations sont toujours en cours, mais ils ne sont pas les seuls à anticiper des hausses en rayons. «Il y aura, sur mars et juin, des hausses qui seront dues aux renégociations», estime auprès de l'AFP Clément Genelot, spécialiste de la distribution chez Bryan, Garnier & Co. Le 14 février, c'est le ministre de l'Economie Bruno Le Maire qui a reconnu sur LCI que la hausse des prix des denrées alimentaires était un sujet «grave, très préoccupant».
Les inquiétudes ont aussi été exacerbées par une proposition de loi sur laquelle le Sénat se penche actuellement, et qui, si elle s'appliquait dès cette année, redonnerait «du pouvoir de négociation aux marques stars» face aux supermarchés, «ce qui pourrait recréer de l'inflation» supplémentaire, observe Clément Genelot. Cette perspective est toutefois très incertaine au regard du calendrier parlementaire.
Quelles conséquences possibles ?
Les ménages français s'adaptent déjà à la hausse des prix, mesurée par l'Insee pour le seul secteur alimentaire et sur un an à plus de 12% en décembre. Deux phénomènes s'observent : la descente en gamme, c'est-à-dire la recherche de produits équivalents mais moins chers, des premiers prix par exemple. Et un report des achats vers les enseignes jugées moins chères. Mais l'étape suivante est redoutée par l'ensemble de la chaîne agro-alimentaire : les clients «déconsomment». En d'autres termes, ils se privent de produits devenus trop chers.
Une baisse des volumes vendus, «tout le monde en pâtit, le producteur à qui on va demander moins de blé, le transformateur qui aura moins de commandes et nous qui aurons moins de ventes», expliquait début février le président de Système U Dominique Schelcher à l'AFP. «Nous essayons de trouver des solutions avec les distributeurs pour que ceux qui sont les plus modestes puissent avoir accès» à des produits aux «prix les plus bas possible», a déclaré Bruno Le Maire le 14 février sur LCI, se donnant «jusqu'au 15 mars pour trouver avec les distributeurs une solution à cette angoisse».