De la grande distribution aux marques de luxe, les acteurs du commerce de détail multiplient les expériences autour des mondes virtuels et des NFT. Cette phase de test & learn s’accompagne d’une démarche de pédagogie afin de démocratiser cet univers encore obscur pour le consommateur, mais en plein décollage.
Carrefour, le groupe Casino, Decathlon ou encore Gucci : toutes ces marques bien connues des consommateurs ont testé ces derniers mois des incursions dans le Web3, que ce soit en initiant des clients aux expériences immersives, en achetant des terrains virtuels dans un métavers ou en lançant une collection de NFT. Présenté comme le futur d’internet, ce probable successeur du Web 2.0, décentralisé et basé sur la technologie de la blockchain, ressemble à une utopie libertarienne permettant de s’affranchir des acteurs oligopolistiques, Gafam ou autres Mama (Microsoft, Amazon, Meta, Alphabet…).
Ces prochaines années, le secteur du commerce pourrait être largement impacté par l’émergence du métavers. C’est en tout cas ce que pensent 86 % des personnes interrogées par Wunderman Thompson dans son étude « Nouvelles réalités : dans le métaverse et au-delà », publiée en juillet 2022.
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D’ores et déjà, conscients de ces enjeux, les acteurs du retail sont prêts à investir ce nouvel univers virtuel plein de promesses. Mais ils font preuve de prudence et cherchent d’abord à en décrypter les enjeux, acquérir des compétences et en explorer les possibilités. « Il existe plusieurs modèles de métavers ; nous nous sommes rapprochés des équipes de chacun, afin de comprendre leur projet respectif et voir s’il était en adéquation avec les projets de nos enseignes », dévoile Nicolas Joly, président de Casino Immobilier, chargé des sujets Web3 pour le groupe Casino.
Même approche chez Carrefour qui, fin 2021, a signé un grand partenariat sur le numérique avec Meta pour permettre « aux équipes de tester, comprendre le sujet et rester dans la tendance », selon les explications données par le groupe à Stratégies en février 2022. « Le Web3 va changer les habitudes de consommation. Nous devons en comprendre les enjeux, car le digital et la tech sont au cœur de notre croissance », avait alors ajouté Carrefour. Quant à Decathlon, l’enseigne a nommé un responsable de l’exploration du Web3. C’est dire l’immensité de l’univers virtuel qui s’ouvre devant les enseignes de la grande distribution et de l’ensemble des retailers…
« Aujourd’hui, les marques et les distributeurs s’inscrivent encore dans une courbe d’apprentissage », constate Pascal Malotti, directeur de la stratégie au sein du cabinet Valtech, qui accompagne la transition digitale des entreprises. « À ce jour, le Web3, c’est surtout une promesse », résume-t-il. « Nous sommes clairement dans un round d’observation sur le Web3 », abonde Nathalie Cachet, présidente de Score DDB, filiale de l’agence DDB dédiée au retail.
L’enjeu principal pour les acteurs de la grande distribution est clairement celui de la démocratisation et donc de la pédagogie. « L’approche du groupe Casino est celle d’un Web3 qui s’adresse à tout le monde », résume Nicolas Joly. « Nous souhaitons familiariser les clients de nos enseignes à l’univers des mondes virtuels mais aussi explorer et démocratiser les futurs usages », poursuit-il. « Nous ne sommes pas dans une logique d’innovation pour l’innovation ; nous cherchons toujours à apporter de la valeur d’usage à nos clients, complète le pilote du Web3 pour le groupe Casino. Dès que nous menons une expérimentation sur le Web3, nous prenons la parole auprès de nos clients pour leur donner les clés, pour ouvrir les portes de cet univers qu’ils ne maîtrisent pas forcément. »
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Ainsi, début juillet, le groupe a mené l’opération « Le Web 3 pour tous », organisée sur la « place publique » du magasin Monoprix de Paris-Montparnasse. L’idée était d’expliquer concrètement aux visiteurs ce que sont les NFT, les métavers, la réalité augmentée, ou encore les wallets, une opération menée en partenariat avec des acteurs du Web3 (Lugh, NFT Factory Paris, Keyrus). Même volonté de démocratisation à Decathlon, qui a installé au Japon des cages projetant des images en réalité virtuelle permettant de tester un arc ou un ballon. Ce n’est pas encore le métavers, mais « cela permet aux consommateurs de faire un premier pas dans un monde virtuel, sans avoir besoin d’acheter un équipement ou même d’installer un jeu », plaide Valentin Auvinet, responsable de l’exploration Web3 chez Decathlon.
Autre dimension du Web3, les NFT, ces jetons non-fongibles qui font parler d’eux depuis le début de l’année pour l’engouement qu’ils suscitent. À côté d’une certaine forme de « collectionnite » ou de spéculation qui accompagne le développement de ces actifs immatériels basés sur la blockchain et les cryptomonnaies, les acteurs de la grande distribution cherchent une voie plus pragmatique dans leur utilisation. En avril, Le Club Leader Price a par exemple lancé une collection de 1 000 NFT sous forme d’avatars dans The Sandbox, qui représentent des personnages emblématiques (livreur, boulanger, vigneron…). Chaque avatar donne accès à des promotions sur son rayon lors de la commande via Le Club Leader Price.
Cet été, Decathlon a de son côté mis en vente 2 008 paires de sneakers de street football associées à un NFT. Ce jeton numérique, qui atteste de son appartenance au Kipsta Barrio Club, a permis à ceux qui le détiennent d’échanger sur le métavers avec le champion de la discipline, Séan Garnier, partenaire de la marque, ou de gagner l’un des 60 ballons dédicacés via un golden ticket caché dans l’univers virtuel. « Avec ce NFT, les clients sont aussi possesseurs de jeton de gouvernance sur le produit », souligne Valentin Auvinet. « Les NFT offrent un nouveau canal de proximité avec les clients permettant la co-conception de produits », se réjouit-il.
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Une approche similaire du côté du groupe Casino. « Le métavers, les NFT et la blockchain sont, à ce jour, des supports de use cases qui peuvent enrichir la relation client », explique Nicolas Joly. « Faire du commerce aujourd’hui dans le métavers, cela relève encore de l’utopie. », renchérit Nikhil Roy, cofondateur et directeur de création de Swipe Back, une jeune « metaverse agency » qui accompagne les annonceurs dans l’univers du Web3. « Avec le crash des NFT spéculatifs, fini l’argent magique ; il faut maintenant bâtir à plus long terme afin de développer la fidélisation ou l’expérience clients via, par exemple, des CRM augmentés basés sur des NFT », plaide-t-il.
Mais les consommateurs sont-ils prêts à plonger dans le Web3 ? « Le Web3, cela ne parle pas encore aux Français de la rue ; seules quelques catégories de population en avance sur ces sujets, comme la communauté des gamers, sont familières de ces sujets », constate Cécile Badouard, chief innovation officer de l’agence Becoming. « Mais si le Web3 émerge, c’est bien que la technologie et les consommateurs sont matures », complète-t-elle. « Le consommateur est prêt, assure de son côté Nikhil Roy, de l’agence Swipe Back. Il veut avoir accès à des produits exclusifs ou en avance, y compris immatériels, avoir des expériences plus immersives, rejoindre des communautés plus impliquées, peu importe la technologie. »
Même analyse pour Dominique Bonnafoux, directrice de la stratégie expérience chez Landor & Fitch : « Quand de grandes marques mondiales comme Coca-Cola, Nike, Starbucks [ou même Gucci, avec une paire de basket virtuelle] – qui font partie de la culture populaire – lancent des collections de NFT ou vont dans le métavers, cela s’adresse évidemment à tout le monde et participe à la démocratisation du Web3. » Parmi les familiers du métavers, 70 % estiment qu’il sera un endroit de prédilection pour faire du shopping, révèle encore l’étude « Nouvelles réalités : dans le métaverse et au-delà » de Wunderman Thompson. 68 % pensent même que c’est l’avenir des achats online. On comprend mieux pourquoi les retailers sont dans les starting-blocks.
Un marché à plus de 800 milliards
Depuis que, fin 2021, Mark Zuckerberg, patron de Facebook, justement rebaptisé Meta, a présenté sa vision du métavers, celui-ci est sur toutes les lèvres. Tel qu’imaginé par ses promoteurs, ce méta-univers virtuel en 3D est totalement immersif et persistant (c’est-à-dire qu’il continue à exister et à évoluer même quand vous l’avez quitté). En attendant l’arrivée du métavers, différents mondes virtuels sont actuellement explorés par des early adopters, adeptes de technologies. Si Horizon Worlds, le métavers de Meta, peine à décoller malgré les 13 milliards de dollars dépensés, le français The Sandbox s’impose comme un univers virtuel incontournable pour les marques. Si la définition même du Web3 et du métavers n’est pas figée et suscite des débats d’experts, il n’en attire pas moins l’intérêt de très grands acteurs économiques. Selon une compilation de données réalisée par le cabinet Keyrus, le métavers pourrait représenter un marché de 800 milliards de dollars d’ici à 2024, soit une croissance de 13,1 % par an. Selon ce même cabinet, une personne sur quatre passera au moins une heure par jour dans le métavers en 2026.