Plus de 40 % de parts de marché sur le circuit des cafés-restaurants, 25 % dans les GMS sur le format référence de 1,5 litre : qui aurait pu penser que, deux décennies après son lancement, Breizh Cola aurait pu ainsi, en Bretagne, tailler des croupières aux géants Coca-Cola et Pepsi ? « Les jeunes, quand ils arrivent dans un café, commandent un “Breizh”, c’est devenu un nom générique. Nous avons même aujourd’hui la première génération de gamins qui n’ont connu que ce soda », se réjouit Stéphane Kerdodé, brasseur morbihannais, inventeur du Breizh Cola. Ce produit que les 3 millions de Bretons se sont approprié n’a pas été lancé pour contrer l’hégémonie des Américains, mais pour trouver des débouchés à la baisse de consommation d’alcool. Certes, la guerre en Irak, en 2003, a donné un coup de pouce. La France ayant refusé de suivre les États-Unis, il y a eu, raconte Stéphane Kerdodé, « une réaction épidermique des Bretons quand ils ont vu des New-Yorkais vider des bouteilles de bordeaux dans les caniveaux ». Mais selon lui, le succès tient avant tout à la recette du Breizh Cola, loin d’être simplement une pâle copie de ses aînés.
Un lien avec l’histoire
C’est aussi sa composition qui a fait le succès de la bière Pietra, lancée en Corse en 1996. Avec plus de 100 000 hectolitres produits à l’année, la brasserie dépasse aujourd’hui les 27 millions d’euros de chiffre d’affaires. Dominique Sialelli, son fondateur et dirigeant, se souvient : « En regardant l’histoire de la bière, nous nous étions aperçus que dans l’Antiquité il y avait un lien avec les céréales. La fermentation était une façon de les conserver sous forme liquide. Or nous, en Corse, nous avons le châtaignier, qui est un peu notre emblème national et qu’on surnomme “l’arbre à pain”. Avoir une bière à la farine de châtaigne assurait ce lien et permettait d’élaborer une bière corse, pas seulement une bière en Corse. » À l’époque, ce n’était pas encore la folie des micro-brasseries, ce qui a laissé les coudées franches à la marque pour s’imposer auprès des 300 000 insulaires et se faire connaître des 3 millions de touristes estivaux. Aujourd’hui, 60 % des ventes de Pietra sont réalisées en dehors de Corse. Le tout sans communication, sauf localement. Autre joli succès avec la marque de vêtements basque 64 et son fameux numéro, celui du département des Pyrénées-Atlantiques, inscrit dans un cercle. Lors de son lancement en 1997, il était seulement question d’une histoire de copains désireux de créer des T-shirts pour les fêtes de Bayonne, raconte le dirigeant actuel de la société, Louis Lacube. L’idée plaît et les copains en question transforment les boutiques qu’ils détenaient déjà dans la région en magasins exclusifs de la marque. Forte de neuf enseignes dans le Sud-Ouest pour 6 millions d’euros de chiffre d’affaires, 64 véhicule aujourd’hui les valeurs locales du sport, de la gastronomie ou de la nature et axe sa communication sur l’autocollant donné à chaque client. Chaque année, 2 millions de ces vignettes sont distribuées par l’entreprise de Guéthary. C’est aussi un autocollant qui a assuré la notoriété de l’entreprise À l’aise Breizh, créée en 1996 à Morlaix. Il montre une Bigoudène un peu « allumée » devenue le logo de la marque. Son fondateur, Erwann Créac’h, raconte en avoir vendu 2,5 millions depuis 1998. À 1,50 euro pièce, « le sticker fait vivre aujourd’hui trois ou quatre personnes », se félicite-t-il. À l’origine, son idée était de faire une série de T-shirts humoristiques en jouant sur le décalage entre l’image que les jeunes Bretons avaient d’eux-mêmes et la perception qu’on avait de la région à l’extérieur. L’autodérision a fonctionné au-delà de toutes les attentes. À l’aise Breizh compte aujourd’hui 120 salariés pour 8 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Se déployer à l’étranger
Mais comment, une fois conquis son public naturel – ceux qui s’approprient une marque par fierté –, réussir à s’exporter ? Pour Erwann Créac’h, qui n’a jamais voulu faire autre chose qu’une « marque pour les Bretons », sans ambition internationale ni même nationale, la réponse est claire : c’est avec une autre marque, Tissage de l’Ouest, une entreprise choletaise rapatriée en Bretagne, qu’il s’attaque, notamment, au marché américain. Là, plutôt que de mettre en avant la Bretagne, peu connue, Erwann Créac’h s’appuie sur l’image de « fabricant français de linge de maison ». Le cas de figure montre les limites d’une marque identitaire. Sortie de son territoire, elle a des difficultés à s’imposer. Il lui faut trouver des valeurs plus universelles. Le made in France en est une, aussi bien vis-à-vis d’une clientèle étrangère sensible à notre savoir-faire que d’un marché domestique de plus en plus attiré par la relocalisation. À Nice, deux jeunes entrepreneurs font ce pari. Ils ont repris la Maison de la Mousse, une enseigne locale de literie très appréciée des habitués. Après s’être organisés pour s’approvisionner uniquement en matières premières issues de l’Hexagone, ils ont lancé en début d’année une nouvelle marque, Le Matelas Niçois, avec pour baseline « Made in Côte d’Azur ». « Nous voulons montrer qu’il n’y a pas que le tourisme ici. On peut aussi fabriquer, à des prix abordables, de la haute qualité 100 % française », revendique Julien Bounicaud, l’un des dirigeants. Depuis janvier, Le Matelas Niçois, passé d’un à dix salariés, a écoulé 200 matelas sur les 300 fixés comme objectif annuel. De l’autre côté de la France, Stéphane Kerdodé, le père du Breizh Cola, s’est converti au whisky. Il mise sur l’image d’un produit français élaboré en Bretagne pour s’exporter. Le nom choisi pour son breuvage, attendu en juin prochain, est celui du fils de Lancelot, Galaad. L’identité reste proche du lieu de fabrication mais, en mobilisant la légende arthurienne, parvient à le dépasser.