Le papier est-il voué à disparaître ? Cette hypothèse soulève de stupeur Nicole Abenhaim, la directrice générale adjointe marketing et expérience client de Mediapost : « Le papier reste le premier levier de drive-to-store ! La grande distribution peut en témoigner. Avec les imprimés publicitaires, elle constate un effet immédiat sur le trafic en magasin et le chiffre d'affaires. » Une analyse que détaille Maxime Cauchet, directeur de la stratégie et de l'innovation d'Altavia : « Les prospectus sont porteurs de quatre enjeux pour les grandes enseignes : la création de trafic, l'augmentation du chiffre d'affaires, la fidélisation et le recrutement de nouveaux clients. Ils restent indispensables : ils représentent entre 20 % à 60 % des dépenses marketing des annonceurs, notamment du côté des grandes surfaces alimentaires. »
Le catalogue imprimé reste l’outil principal des enseignes, renchérit David Baranes, cofondateur et co-CEO d'Armis, une solution de marketing multi-canal : « C'est un sujet capital pour le retail. Avant la crise sanitaire, l'écosystème de l'imprimé publicitaire, appelé aussi imprimé sans adresse, représentait un volume d'activité de 3 milliards d'euros, soit 20 milliards de prospectus distribués, l'équivalent de 40 kg de papier par an et par foyer. » Les enseignes sont particulièrement attachées à cet outil qui accompagne tous les événements qui rythment la vie des magasins : fêtes, promotions… Selon David Baranes, ceux qui stoppent complètement leur communication papier s’exposent à « voir leur chiffre d'affaires baisser de 10 % à 20 % ».
Taux élevé d'attention
La dirigeante de Mediapost met en avant la capacité très élevée du papier à capter l’attention. Selon Nicole Abenhaim, un imprimé publicitaire « est lu, vu et consulté en moyenne pendant 4 minutes », durée qu’elle n’hésite pas à comparer avec celle du digital, qu’elle qualifie pudiquement de « variable ». « Le catalogue papier a de bien meilleures performances, il est conservé et il passe de main en main au sein du foyer. Les consommateurs apprécient particulièrement ce média qui atteint des niveaux très élevés de taux de mémorisation et d'attention », ajoute-t-elle.
Les arguments en faveur du support papier sont si nombreux que même ceux qui œuvrent activement pour lui substituer des solutions digitales n’imaginent pas sa disparition. « Le digital continue sa montée en puissance mais le papier n'est pas mort. La cohabitation entre le papier et le digital est durable. Les marques utiliseront les deux supports en fonction des objectifs prioritaires de chaque campagne », estime Nicolas Cassar, aujourd’hui à la tête de HighCo Nifty, une structure qui élabore un coupon 100 % mobile et multi-enseignes.
Les grands acteurs du média papier partagent le même constat. Le papier ne peut plus continuer comme avant. « Ma mission est d'inscrire la communication sur support papier dans des démarches marketing innovantes bousculées par le digital, reconnaît d’ailleurs Nathalie d’Isanto, directrice en charge du courrier publicitaire au sein de la branche services courriers colis de La Poste. Nous travaillons à l'hybridation des solutions car c'est ce que souhaite le marché. Aujourd'hui, la qualification, le ciblage et la captation des audiences se font à travers le digital. Le défi est d'associer les audiences créées sur digital avec des médias offline et d'inscrire le papier dans des campagnes omnicanal. »
Ponts entre papier et digital
Ses équipes ont donc mis au point des modules permettant aux marketeurs de gérer des campagnes print à partir des outils qu’ils utilisent déjà. Très concrètement, il s’agit d’intégrer l’imprimé dans des scénarios de « marketing automation » : dès qu’un internaute cliquera sur une newsletter, un courrier pourra lui être adressé selon les critères fixés à l’avance. Un module de ce type est déjà disponible pour les outils Oracle et un second sera prêt dès janvier pour les équipes utilisant Salesforce. « Nous avons créé ces modules afin de faciliter l'accès du marché à la puissance du print », résume Nathalie d’Isanto.
Créer des ponts entre papier et digital est déjà une réalité. Un imprimé avec un QR code qu’il suffit de scanner avec son téléphone mobile peut inciter le consommateur à visiter une boutique virtuelle, par exemple. « Nous l'avons testé avec succès pour une épicerie fine située dans l'Est de la France, explique Nicole Abenhaim, de Mediapost. C'est une articulation de l'imprimé et du digital qui permet un sans couture efficace. » Autre solution possible : associer l’imprimé publicitaire à un display géolocalisé pour renforcer l’effet « drive-to-store » en touchant une population différente.
Mediapost a lancé une opération de ce type en décembre 2020 avec 107 établissements d’une enseigne de restauration rapide. Deux objectifs étaient poursuivis : augmenter le trafic en point de vente mais aussi le nombre de téléchargement de l'appli de l'enseigne. « L'opération a permis d'augmenter les ventes en click & collect et de faire progresser de 50 % le nombre de téléchargement de l'appli sur la période, affirme Nicole Abenhaim. Plus de la moitié des coupons présentés dans les points de vente durant l’opération provenaient des imprimés distribués dans les boîtes aux lettres. »
Les jeunes intéressés par le média papier
Aussi séduisante soit-elle, cette perspective combinant papier et digital se heurte malgré tout à un obstacle grandissant. « Les jeunes marketeurs ne sont pas formés au print, reconnaît Nathalie d’Isanto, de La Poste. La quasi totalité des masters de marketing sont axés sur le digital alors que de nombreux insights montrent que les jeunes restent intéressés par le média papier. »
Cette prise de conscience viendra peut-être aussi du digital lui-même car certaines marques nées sur les réseaux sociaux, les DNVB (digital native vertical brands), en viennent au média papier lorsqu’elles veulent grandir. « Nous avons réalisé pour l'une de ces marques, spécialisée dans les cosmétiques, une campagne print sur ses valeurs, raconte Nathalie d’Isanto. Avec cette campagne, la marque a suscité des commandes pendant trois semaines. Avec une campagne d'e-mailing classique, la croissance des commandes ne dure pas plus de 48 h. »
Si désormais le règne sans partage du papier fait bien partie du passé, il garde toutefois des atouts de premier plan. Pour Nicolas Cassar, le futur va sans doute même le rendre encore plus attractif puisqu’il va devenir moins commun. « Le papier recrée ce contact physique avec le support qui tend à devenir plus rare. Cette rareté va aussi lui donner plus de valeur aux yeux des consommateurs et des annonceurs », assure le dirigeant de HighCo Nifty. Le support papier va donc probablement devenir un canal de communication plus recherché. « Le papier risque d'opérer une transition : du quantitatif au qualitatif, précise Nicolas Cassar. Ce contact, revalorisé, va créer une relation plus forte avec son lecteur. » Si le nouveau partage des eaux n’est pas encore achevé, l’articulation des deux médias, papier et digital, a toutes les chances de mieux faire ressortir leurs qualités intrinsèques pour le grand bonheur des marketeurs qui sauront habilement les combiner.
Une efficacité redoutable
Si l’imprimé sans adresse publicitaire coûte cher, car il faut produire des volumes très importants pour atteindre les objectifs souhaités, son efficacité ne fait aucun doute, même si celle-ci ne peut être réellement mesurée que par l’absence de distribution. « L'étude Kantar Worldpanel de 2019, qui porte sur neuf enseignes, montre qu'une campagne de distribution d’imprimés sans adresse apporte 9 % de trafic additionnel et fait grimper de 13 % en moyenne le chiffre d'affaires », rappelle Maxime Cauchet, directeur de la stratégie et de l'innovation d'Altavia. Sans oublier qu’une visite en magasin génère un « effet shopping » : ceux qui viennent pour acheter les produits repérés sur les prospectus en achètent aussi d’autres. Le papier dispose d’un atout supplémentaire : il fait découvrir le magasin et lui permet d’engranger de nouveaux clients. « Le prospectus génère jusqu'à 76 % de clients occasionnels, souligne Maxime Cauchet. C'est donc un moyen de trouver de nouveaux clients et de les fidéliser. »