Semaine en demi-teinte pour SFR qui rachète l’opérateur indépendant Coriolis mais vient de subir un revers après un jugement du Tribunal judiciaire de Paris, le 21 septembre, qui « condamne la déloyauté de la Direction ainsi que l’absence de justification économique du plan de départs volontaires qui menace près de 2000 emplois », selon un communiqué de l’intersyndicale CFDT-Unsa de SFR.
Sous l’impulsion de Gégory Rabuel, PDG d’Altice France, l’opérateur avait en effet engagé en mars un plan de réorganisation prévoyant 1700 départs volontaires. « Il est évident qu’un acteur du numérique comme l’est un opérateur télécom doit se transformer pour construire un avenir d’innovation et adapter son organisation au besoin du marché, de ses clients », avait déclaré à Stratégies Arthur Dreyfuss, secrétaire général d’Altice France, dans une interview parue le 26 août. En clair, la digitalisation de ce marché rendait selon lui inadaptés un certain nombre d’emplois.
« Le tribunal reconnaît que ce plan n’a pas de justification et est d’une déloyauté flagrante », souligne Olivier Lelong, délégué CFDT de SFR. En 2020, l’opérateur a enregistré une croissance de 2,4% de son CA, de 3% de son ebitda et a engrangé 108.000 clients supplémentaires. « On nous a dit de juillet à octobre 2020 qu’on n’avait pas l’intention de licencier dans les deux ou trois ans, complète le délégué, notre CA et notre profitabilité augmentaient, on était couvert par un accord pour encadrer les suppressions d’emplois. Et le 3 mars 2021, tout a changé ». Le tribunal a tranché en estimant ce comportement déloyal :« Le fait pour l'employeur d'avoir dissimulé les données et perspectives dont il avait déjà connaissance pour les communiquer quatre mois plus tard en arguant de motifs dont il ne justifie pas, caractérise la déloyauté de la direction ».
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Le jugement souligne aussi le caractère « abscons » des justifications de la direction de SFR qui parle de gagner en performance ou agilité. Surtout, l’idée que SFR a pâti de la crise sanitaire pour laquelle elle a obtenu de l’Etat 30 millions d’euros, au titre du chômage partiel, ne passe pas. « L'argument de la Direction tiré de difficultés économiques et de la détérioration de sa situation suite à la crise du covid 19 pour justifier de la réouverture de la procédure de consultation sur les orientations stratégiques n'est donc pas justifié. », observe la juge. Selon les représentants syndicaux, le tribunal a également dénoncé un « projet visant à supprimer des emplois avant que les salariés aient pu exprimer leur volontariat ».
Les Organisations Syndicales appellent donc la Direction régionale et interdépartementale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DRIEETS, ex-DIRRECTE). à ne pas l’homologuer le plan de départs, au vu de cette décision de justice, car elle seule peut bloquer les suppressions d’emplois. Elles pointent aussi un manque de confiance envers les dirigeants qu’elles accusent de ne pas dire la vérité.
Olivier Lelong pointe d’ailleurs une « responsabilité politique » car, selon lui, les 30 millions d’euros de l’activité partielle n’étaient pas justifiés et servent aujourd’hui « à payer une partie des suppressions d’emplois ». Il déplore aussi de faibles investissements dans la qualité du réseau dont témoignerait le renoncement à trente postes chargés de contrôler la qualité du raccordement à la fibre optique.
De source syndicale, SFR a soumis son projet de restructuration à l'administration le 14 septembre. La Drieets dispose de trois semaines à compter de cette date pour se prononcer sur l'homologation du plan.
Coriolis, concentration et intégration
Pour SFR, ce jugement tombe mal alors qu’il vient d’annoncer son rachat de l’opérateur indépendant Coriolis pour 415 millions d’euros. « Nous sommes impatients d'associer l'expérience et l'expertise significative de toute l’équipe de Coriolis à celle d’Altice France, et de travailler ensemble pour améliorer encore les services apportés à nos clients et réaliser pleinement les excellentes perspectives de croissance de Coriolis » s’est félicité Grégory Rabuel. Fondé en 1989 par l'entrepreneur français Pierre Bontemps, Coriolis Télécom propose des offres mobiles et fixes à plus de 500.000 clients dans les petites et moyennes villes françaises, ainsi qu’à 30.000 entreprises. Il ne dispose pas en propre de réseau mobile, qu’il loue jusqu’à présent à Orange, mais il possède son propre réseau de fibre. Par ailleurs, l’opérateur compte quatre centres de contacts en France et à l'étranger, pour la gestion de sa relation clients.
Plusieurs inconnus accompagnent donc ce rachat. D’abord, quid de l’intégration des salariés alors même que synergies pourront être réalisées avec le groupe SFR, au moins pour la relation clients ? « Altice France intégrerait l'expertise existante, les partenariats, le réseau de distribution bien établi, les bases clients B2C et B2B, et les capacités de service clients de Coriolis, très complémentaires avec celles de SFR et Intelcia », précise un communiqué.
Ensuite, l’Arcep a mis les projecteurs sur une concentration qui risque d’amenuiser la concurrence sur le segment des télécoms d’entreprise alors même que nombre de PME-PMI, voire TPE-TPI, souhaitent se digitaliser en adoptant la fibre à un prix abordable. Les autorités de la concurrence vont devoir étudier le dossier et exiger, si besoin, des remèdes. Le groupe SFR a déjà racheté fin 2020 Covage mais il avait ensuite dû rétrocéder une partie des réseaux de cet opérateur portant justement sur la fibre BtoB.
Selon Olivier Lelong, les plans de réorganisation successifs au sein de SFR visent précisément à optimiser la rentabilité pour augmenter les ratios d’endettement. « C’est grâce à cela qu’on peut aller racheter Coriolis et des activités aux Etats-Unis, lâche-t-il, c’est SFR qui a payé l’empire Drahi ».