Réglementation
Les médias affichent un front uni opposé au principe de l’interdiction de publicité pour les énergies fossiles et prônent une forme d’autorégulation. Aucun n’a été jusqu’à bannir les produits pétroliers de ses espaces comme le Guardian il y a un an. Entretemps, la Covid est passée par là…

Début 2020, le quotidien britannique The Guardian décidait de bannir de ses pages les publicités pour les énergies fossiles. L’initiative avait alors eu un grand écho médiatique. A-t-elle pour autant été reprise par les médias français, nombreux à avoir élaboré une charte RSE ? Clairement, la réponse est non. Aucun n’a suivi l’exemple de ce journal. Les raisons sont multiples : tout d’abord, la crise de la Covid a fait plonger les recettes publicitaires des médias ; ensuite, la Convention citoyenne pour le climat, puis le projet de loi Climat et résilience ont quelque peu crispé les positions.

Une opposition générale

« L’initiative du Guardian part d’un bon sentiment, constate Antoine Ganne, délégué général du Syndicat national de la publicité télévisée ­(SNPTV), mais c’est surtout malin en termes de communication, car cela n’a pas d’impact financier pour eux. » Et de fait, les énergies fossiles ne représentaient que 0,55 % des recettes publicitaires du Guardian (voir p. 36). Plus globalement, tous les médias interrogés ont balayé l’idée de proscrire des secteurs économiques de leurs espaces publicitaires, fussent-ils polluants. « Ce n’est pas aux médias d’interdire la diffusion d’une publicité pour un produit licite, estime Anne Fauconnier, déléguée générale du Bureau de la radio. Nous préférons informer et considérer que nos auditeurs sont en capacité d’analyser ce qui est bon pour eux ou pour l’environnement. » Même son de cloche au SNPTV : « Nous sommes, par principe, opposés à toute interdiction de publicité pour un secteur ou un produit autorisé à la vente », expose sans détour Antoine Ganne.

Il est vrai qu’entretemps la pandémie a fait chuter l’activité économique et, par ricochet, drastiquement réduit les dépenses publicitaires (– 22 % au premier semestre 2020 par rapport à 2019, selon France Pub). Dans un tel contexte, bannir de publicité un secteur serait « suicidaire » selon la plupart des représentants de médias interrogés. Même si les énergies fossiles représentent moins de 1 % du chiffre d’affaires des recettes des régies de la télévision et de la presse, 1,3 % pour la radio et à peine 0,2 % pour la publicité extérieure, selon Kantar Media. « La position de la filière est clairement en faveur de la pédagogie et de la responsabilité de chaque acteur plutôt que d’interdire tel ou tel secteur », complète Sylvia Tassan Toffola, directrice générale de TF1 Pub et présidente du SRI. L’Alliance de la presse d’information générale (Apig) est sur la même ligne : « Nous ne pouvons que nous féliciter d’un projet équilibré, notamment les dispositions relatives au secteur de la publicité, indique son président, Pierre Louette. Mais nous mettons en garde contre le risque d’interdiction de principe de publicité pour certains produits ou secteurs, comme l’automobile. » L’Union des marques est au diapason des médias. « Plutôt que d’interdire, il serait plus utile de mettre la communication au service de la transition écologique, propose la DGA de l’organisation, Laura Boulet. Une partie de la solution consiste à faire bouger les comportements. Pour cela, les marques peuvent agir aux côtés des pouvoirs publics. »

Le seul à ne pas s’opposer à une interdiction est assez bizarrement l’un des principaux concernés. « Moi, j’y suis favorable, je n’ai pas de problème à ce qu’on m’interdise de faire de la pub pour les produits énergétiques carbonés en France », déclarait Patrick Pouyanné, le PDG de Total dans une interview à L’Usine nouvelle en janvier ­dernier. Anticipant les évolutions, le groupe a déjà concentré toute sa publicité autour des énergies renouvelables et du biogaz.

Des engagements

Afin de montrer leur volonté de s’avancer dans la transition écologique, une partie des médias audiovisuels – le GIE des Indés Radios, le Sirti, le SNPTV, le Bureau de la radio, les groupes NextRadio TV, M6, TF1, NRJ et Lagardère News – se sont unis fin 2020 pour proposer un « contrat média climat » avec des engagements contrôlés par le CSA. Ce contrat est clairement conçu comme un dispositif d’engagements volontaires pour éviter toute mesure de restriction, expliquent ses promoteurs. L’Union de la publicité extérieure (UPE) est de son côté en train de définir une trajectoire carbone 2019-2030-2050. « Très ambitieuse, elle ira bien au-delà de ce qui nous est imposé par les textes réglementaires nationaux ou européens », avance son président, Stéphane Dottelonde. Depuis 2018, les marques ont pris elles aussi des engagements écoresponsables, comme respecter les 15 principes du programme FAIRe de l’Union des marques (éco-socio-conception des messages, diffusion maîtrisée des communications, relation responsable avec les partenaires, etc.).

Les acteurs ont compris que ces chartes de bonne conduite étaient un passage obligé pour éviter des mesures plus coercitives. C’était en tout cas le message adressé par la ministre de la Transition écologique le 10 février, jour de la présentation de son projet de loi, sur l’antenne de France Inter. « On demande des engagements volontaires des constructeurs, des annonceurs, des médias, des filières, a expliqué Barbara Pompili. Si les engagements ne sont pas suffisamment sérieux, il y aura des mesures d’interdiction dans la loi. »

Les médias mettent toutefois en avant les risques induits par l’interdiction de publicité. « Si les radios et télévisions partagent cet objectif climatique, il ne peut être atteint en affaiblissant le financement et donc le rôle des médias traditionnels de qualité et référents pour la population », alerte le SNPTV. Lequel souligne que « les chaînes de télévision gratuites ont investi 120 millions d’euros en production cinématographique européenne ou d’expression originale française et près de 800 millions d’euros dans la production audiovisuelle ». Même mise en garde sur les ondes. Chaque année, les radios privées reversent plus de 50 millions d’euros aux sociétés de gestion de droits d’auteur, redevances directement calculées sur leur chiffre d’affaires publicitaire, indique le Bureau de la radio. L’UPE signale que les taxes prélevées sur le sien viennent compléter le budget des collectivités locales. Et tous de rappeler que les plateformes internet échappent à la régulation hexagonale…

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