Environnement
Les experts du changement climatique remettent en cause l’utilisation par les entreprises de la compensation, au motif qu’elle les exonère de faire les efforts nécessaires pour réduire leurs émissions.

La critique n’est pas nouvelle. En publiant « La compensation carbone : illusion ou solution ? », l’enseignant-chercheur de l’Université de Lausanne Augustin Fragnière dénonçait déjà en 2009 le « tour de passe-passe comptable » des entreprises annulant, sans les réduire, leurs émissions de gaz à effet de serre par l’achat de crédits. « La compensation pose plusieurs problèmes, constate François Maon, professeur de stratégie et de responsabilité sociétale à l’Ieseg. Il y a celui de l’additionnalité : le projet soutenu ne doit pas pouvoir exister sans ce mécanisme de financement, ce qui n’est pas toujours le cas. Et il y a le décalage entre les émissions actuelles et une action de reforestation qui ne produira ses effets que dans 30 ans. »

Selon César Dugast, du cabinet de conseil Carbone 4, « la notion de compensation véhicule l’idée – fausse – qu’une société est capable d’annuler ainsi son empreinte carbone. C’est dangereux, cela laisse penser qu’une entreprise, à son niveau, a résolu le problème du changement climatique. » Pour ce conseiller, il y a surtout la « bonne » et la « mauvaise » neutralité. La première est définie par le Giec. Il s’agit de l’équilibre entre les émissions de CO2 et les puits de carbone. Elle suppose, pour respecter l’Accord de Paris, de réduire de 5 à 7 % ses émissions par an. « La mauvaise neutralité, qui est en cours dans les entreprises depuis 15 ans, analyse César Dugast, se base sur l’idée qu’une entreprise est neutre dès lors qu’elle compense toutes ses émissions. » Or, cela est illusoire, on ne peut espérer parvenir à la bonne neutralité avec une somme d’entreprises neutres, les quantités de sols et de forêts n’étant pas illimitées.



Aller vers la contribution

Les lignes bougent, cependant. « Plusieurs initiatives essaient de recadrer les objectifs que les entreprises peuvent s’assigner, note Augustin Fragnière. Science Based Targets fixe des objectifs basés sur la science et le Carbone Disclosure Project les encourage à faire leur bilan carbone et à le rendre public. » Carbone 4, lui, a sorti l’an dernier un référentiel, Net Zero Initiative. Plutôt que de parler de compensation, il propose d’utiliser le terme « contribution ». Dans cette optique, les projets de compensation ne disparaissent pas, mais ne servent plus à annuler les émissions. Plusieurs entreprises, de LVMH à Decathlon, soutiennent cette initiative. Responsable du développement durable de la marque de vêtements outdoor Picture Organic Clothing, Florian Palluel la regarde également d’un bon œil : « Pour une entreprise, c’est peut-être moins marketing mais plus sain que de s’autoproclamer neutre en carbone. »

Toutefois, en la matière, rien n’est simple. En Suède, Absolut Vodka (Pernod Ricard) ambitionne de distiller son alcool sans énergie fossile avant 2025. « Cela signifie une distillation dont l’impact carbone est totalement neutre sans nécessiter aucune compensation », se réjouit la directrice de la performance durable, Tina Robertsson. Reste l’impact de la culture du blé, de l’emballage et de la distribution. Dans ce cadre, admet-elle, « une compensation climatique sera nécessaire dans une certaine mesure pour réaliser nos engagements »

 

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