Une explosion… relative. Voilà ce qu’a connu l'e-commerce en 2020, même si l'on pourrait croire que tous les verrous ont sauté avec la crise sanitaire. Le secteur a enregistré 8,5 % de hausse sur un an pour atteindre 112 milliards d’euros, selon la Fevad. C’était +11,6 % entre 2018 et 2019. En cause : la baisse des services (-10 % par rapport à 2019) et en particulier l’effondrement du voyage et du tourisme (-47 %), compensée en partie par la hausse des ventes de produits (+32 %). « L’e-commerce a permis à 42 millions de Français de se nourrir, s’équiper, s’informer, se divertir, observe Marc Lolivier, délégué général de la Fevad. Au-delà de son utilité sociale, il a aussi eu un rôle d’amortisseur économique en permettant un maintien d’activité grâce à internet. » Un bond inattendu. « Nous avons gagné trois à quatre ans dans la digitalisation du commerce de détail », estime le spécialiste.
Sans surprise, Amazon fait partie des gagnants de ce mouvement. Le site est toujours leader en France, selon Kantar, mais avec une part de marché en baisse de trois points, à 19 % en 2020, compte tenu, d’après l’institut, de l’augmentation du nombre moyen de sites sur lesquels les Français ont réalisé leurs achats, de la tendance des magasins à prioriser le web (et pour cause) ainsi que des problèmes logistiques et sociaux qui ont affecté le géant américain en 2020.
Le développement des services : livraison, click and collect
« On a assisté à la grande compression, une accélération des micro-tendances, renchérit Pierre Sitbon, directeur général de Disko, agence digitale du groupe Altavia, spécialisé dans la communication et le retail. Et à l’agilité "pour de vrai". Les gros comme les petits ont été très rapides pour pivoter, trouver des solutions, des petits restaurateurs aux plateformes de click and collect en passant par les retailers. On dit chez Altavia que l'e-commerce a gagné cinq ans en France ».
Côté services, la mise en place du click and collect a dû être effectuée dans des temps record, en gérant les problématiques liées notamment à la gestion des stocks. Les problèmes rencontrés au début de la crise pour l’acheminement des produits ainsi que, tout bêtement, l’absence d’une case dédiée sur l’attestation de sortie, n’auraient pas aidé les commerçants dans leur tâche. Toujours est-il que la démarche a porté ses fruits. C’est le cas pour Go Sport par exemple, porté notamment par la vente d’équipements pour faire du sport à la maison. Si la mise en place du click and collect remonte à avant 2020, il a été plébiscité l’année dernière, et a connu une croissance de 20 % entre février 2020 et février 2021. Dans le prolongement, le click and collect express (en moins de deux heures) a été mis en place début 2021.
La digitalisation des commerces de proximité
Pour nombre de petits commerces contraints à la fermeture, la crise a été un déclencheur pour se digitaliser. Partant de niveaux de maturité variés - certains ne disposaient pas d’un site quand d’autres avaient déjà intégré les réseaux sociaux et la vidéo dans leurs stratégies - tous se sont adaptés. « Un site marchand a été créé toutes les 30 minutes en 2020 », énonce Marc Lolivier. Des entreprises sont apparues pour leur faciliter la tâche. « Les acteurs positionnés sur la digitalisation du petit commerce se sont multipliés et on a également vu apparaître, plus rares, des démarches collectives de digitalisation, comme de la part des librairies », relève Delphine David, directrice d’études chez Xerfi et auteure d’une étude sur le sujet, rendue publique début mars 2021. Parmi ces acteurs, les régions, départements ou villes ont développé des marketplaces locales en soutien aux commerçants de leur territoire.
Déjà présente en digital via un site web et des comptes Facebook et Instagram, Catherine Sasso, qui tient Klubb, une boutique de prêt-à-porter au Mans, a fait partie de ces commerçants qui ont mis en place le click and collect à la faveur du premier confinement. Une fonctionnalité activée dans son outil e-commerce. « Internet m’a permis de réaliser 20 % de mon chiffre habituel de novembre. Le click and collect a représenté 70 % de mes ventes Internet ce mois-là », illustre celle qui y voit aussi un autre avantage : la possibilité de réaliser des ventes le lundi. Elle prévoit pour la suite la création de lives sur les réseaux sociaux.
L’alimentaire, grand gagnant
C’est l’un des paradoxes - apparents - de l’année en matière d'e-commerce. Alors que les magasins alimentaires n’ont pas été fermés, ce segment de marché a beaucoup progressé en ligne ces derniers mois. Avec des pics lors des confinements, mais ce plébiscite s’est vérifié hors de ces périodes aussi. La peur d’attraper le virus dans les rayons, l’expérience en magasin dégradée par les files d’attente ou l’envie de continuer à profiter du côté pratique du e-commerce sont autant de raisons à ce succès. « Les produits bio se mettent au e-commerce », remarque Delphine David. Ou accélèrent leur démarche. Ainsi, Kazidomi, Aurore Market ou La Fourche proposent du bio via un système d’adhésion ou d’abonnement.
Comme d’autres, Casino a bénéficié de cet essor, avec une croissance de 40 % de son chiffre d’affaires en e-commerce en 2020. L’année dernière, l’enseigne a simplifié son offre en regroupant les sites Casinodrive.fr et Mescoursescasino.fr en un site unique, Casino.fr, multiplié en magasins les points de retrait piéton et voiture ainsi que les autres services, notamment la livraison à domicile via un partenariat signé avec la start-up Shopopop, ou encore renforcé l’offre de produits en ligne. « Beaucoup de projets étaient déjà dans les tuyaux pour 2020, nous avons gagné quelques mois dans leur mise en œuvre », témoigne Cédric Osternaud, directeur général exécutif en charge de l'e-commerce, de l’innovation et des projets transverses.
Pour tous, l’un des enjeux pour la suite sera de maintenir une relation directe avec les consommateurs alors que certaines marques, à la fermeture des magasins, ont perdu tout contact avec leurs clients. L’une des clés sera peut-être la mise en place d’une offre différenciée entre les e-commerçants et les retailers.
« Nous avons gagné sept ans »
Annabel Chaussat, directrice marketing et e-commerce du groupe Fnac Darty
Les ventes en ligne du groupe ont augmenté de plus de 55 % en 2020…
C’est presque un milliard d’euros en plus ! C’est considérable. Des millions de clients ont pris goût à l’achat en ligne, ont trouvé que c’était simple, efficace. Nous avons répondu à une demande pendant le confinement en matière d’ordinateurs et en produits pour cuisiner, se divertir. Le web a plus que compensé la perte de ventes en magasin. Puis nous avons récupéré en magasin un quart du chiffre perdu à la sortie de deux confinements grâce notamment aux clients qui ont attendu la réouverture.
Quelles actions avez-vous mises en œuvre pour faire face au pic de la demande ?
Une adaptation au volume via l’IT, le marketing, l’offre produits et la partie opérations-logistique qui s’est mobilisée pour passer en mode pure player 100 %. Cela s’est fait en une journée, c’est dire l’agilité du groupe. Nous avons eu des difficultés avec nos partenaires de livraison. Face à cela, nous avons adapté notre promesse client en assurant une livraison allongée de quelques jours. Nous avons aussi réaffecté les équipes chargées de la livraison des magasins à la livraison à domicile.
Combien de temps estimez-vous avoir gagné en matière d'e-commerce ?
Sept ans. Le plus concret, ce sont les nouveaux clients sur internet. Demain, ils continueront à acheter par ce biais. Il y a aussi ceux qui achètent sur internet et en magasin, et qui sont addicts à la marque. Ils sont plus fidèles dans la durée, achètent plus fréquemment, leurs paniers moyens sont plus élevés. J’ajoute les nouveaux qui nous suivent sur les réseaux sociaux, où nous proposons des actualités produits, des informations liées à la culture.... Sur Darty, on publie beaucoup de recettes de cuisine. Le lien va plus loin que l’achat, il s’inscrit dans le quotidien du client et la crise a accéléré cette nouvelle relation.