«Nés pour gagner» (Unibet), «Bascule dans le game» (Betclic)... Dans le flot publicitaire des paris sportifs, les promesses alléchantes résonnent dans un univers urbain chargé d'émotions. Dans un kebab, un bar, à la sortie d’une alimentation en libre-service ou au pied des immeubles, les annonceurs mettent en scène des jeunes autour d'un même mode de vie. Les styles street et casual chic sont étoffés. Bob, chemise fleurie, ensemble de survêtement, maillot de basket. La culture urbaine s'est imposée comme une réponse créative avec comme conséquence, des marques de moins en moins différenciées.
«Le sujet des paris sportifs est tellement encadré que les agences finissent par arriver un peu à la même chose», justifie Lilith Peper, directrice du planning stratégique chez Havas Sports et Entertainment France. Pour Pascal Crifo, président de Publicis Sport France, «les films d’Unibet, Winamax, Parions Sport et Betclic ont des traitements créatifs assez réussis pour se distinguer, mais leurs codes sont assez proches.» Selon lui, ce manque de différenciation est lié à la cible, partagée par l'ensemble des opérateurs.
La génération Z, plus précisément les jeunes urbains, «entre 20 et 30 ans et principalement des garçons, ajoute-t-il. Et forcément, pour être compris de sa cible, «il faut emprunter ses codes vestimentaires, ses codes d’attitude, ses lieux de vie et ses façons de vivre le pari sportif ensemble». Selon le rapport du troisième trimestre 2020 de l’Autorité nationale des jeux (ANJ, ex-Arjel), 70 % des joueurs ont moins de 34 ans.
Axe émotionnel et appât du gain
Pour Pascal Crifo, il y a bien un changement de discours qui traduit une tendance sociale vers le divertissement et le collectif. «Le pari est aujourd’hui ancré dans un schéma de bénéfice collectif et social, et plus individuel. L’émotion collective et l’intensité sont d’ailleurs communes aux annonceurs dans les campagnes TV.» C’est le cas du dernier film de Parions Sport (Rosapark), marque de paris sportifs de la Française des Jeux, signée : «Le pari est plus fort quand on le vit ensemble.» Dans le film «Émotions fortes» pour PMU Sport (Buzzman), l’axe émotionnel est étendu jusqu’au stress pour rendre l’expérience encore plus stimulante.
Si des opérateurs exploitent d’autres éléments liés indirectement à l’argent, le gain reste évidemment le fil rouge des créations. «Winamax signe ainsi sa campagne [réalisée par TBWA Paris] "grosse côte, gros gain, gros respect"», rappelle Pascal Crifo. L’opérateur, qui joue ici sur le besoin de reconnaissance sociale, occupe la seconde place du top 15 des annonceurs TV sur les paris en ligne, selon Kantar Media. Globalement, les opérateurs matraquent des slogans percutants qui décomplexifient le rapport à l’argent. «No Bet, no game», exalte Betclic qui tutoie le parieur ou encore «Pariez sur l’appli n°1», lance franchement Unibet.
Pour jouer sur le sentiment d’appartenance à une communauté, les annonceurs usent du celebrity marketing, en s'appuyant sur des personnalités ou sur des sportifs directement. «Capitaliser sur les sportifs permet aux opérateurs de s’assurer qu’ils maintiennent leur axe éditorial, de reprendre les codes sans tomber dans les clichés et donc d’adopter un discours vrai», juge Lilith Peper.
Dernièrement, la campagne d'affichage et le film d'Unibet mettaient en scène l'expertise des joueurs phares du club de football du Paris Saint-Germain, dont Neymar. «Dans l'affichage, le discours des cotes est souvent plus présent car il intéresse la cible la plus experte des parieurs», soulève Pascal Crifo. Selon le troisième rapport trimestriel 2020 de l’ANJ, le football représente 64% de l’activité des paris sportifs en ligne, loin devant le tennis (19%) et le basketball (10%).
Limiter le pari
Selon Kantar Media, les investissements marketing des opérateurs agréés par l’ANJ au quatrième trimestre 2020 étaient de 65 millions d’euros (-30% par rapport à 2019 en raison de la suspension des compétitions sportives). Derrière le ciblage, Isabelle Falque-Pierrotin, présidente de l’autorité indépendante, déplore le fait qu’une «éventuelle défaite soit masquée au profit du jeu et du gain. Nous ne voyons que le résultat.» Au quatrième trimestre 2020, l’ANJ a enregistré le plus fort taux de mises engagées sur les compétitions sportives sur une année depuis dix ans, soit 5,3 milliards d'euros. En février 2021, le Bondy Blog et Mediapart ont réalisé une enquête sur les «ravages» des paris sportifs dans les quartiers populaires. À noter que tout support publicitaire ou promotionnel doit contenir un message de mise en garde contre les risques liés à la pratique du jeu.
Au-delà des partenariats de sponsoring, Lilith Peper imagine des campagnes axées sur la modération du jeu, dont la promesse serait portée par des sportifs. «L’annonceur qui arrivera à mettre du sens en limitant les paris sportifs aura tout à y gagner auprès des plus de 18 ans et véhiculera des valeurs», juge la pulicitaire.
Récemment, l’ANJ a fait appel à l’influenceur Hugo Décrypte dans une campagne d’influence marketing sur Instagram pour faire passer un message de sensibilisation aux joueurs. Isabelle Falque-Pierrotin reconnaît tout de même que «les sportifs sont les meilleurs prescripteurs pour faire passer un message de sensibilisation.» En attendant, l’ANJ travaille sur un nouveau cadre juridique de la publicité en matière de jeux d’argent, aux côtés des opérateurs, de l’ARPP et du CSA.