Influence marketing
Auteur de «De Jésus-Christ à Kim Kardashian. Les techniques pour influencer les masses: clients, communautés, citoyens» aux éditions Dunod, Laurent Moisson décrypte les techniques d'influence au cœur de notre système d'information. Un ouvrage qui met en perspective les bouleversements que vit l'exercice du pouvoir dans le monde d'aujourd'hui. Interview.

Pouvez-vous me raconter la genèse de votre ouvrage «De Jésus-Christ à Kim Kardashian» ? 

J’ai gardé, de mes études d’Histoire, le réflexe de comparer notre époque avec les autres afin de voir ce qui dure et ce qui est éphémère. Ce sur quoi on peut bâtir et ce qui est encore mouvant. Il y a eu d’autres bouleversements en matière de technique d’influence et d’exercice du pouvoir depuis la naissance de l’humanité et certains sont très éclairants pour comprendre notre époque. Au niveau personnel, je suis de plus en plus confronté à des problématiques d’influence quand je conseille les entreprises dans leur transformation, ou quand je crée moi-même une marque. Je vois à quel point l’arrivée des médias sociaux a des impacts sur le leadership, l’organisation et la communication d’une entreprise ou de notre société civile. 



À qui s’adresse-t-il ?

Ce livre a été conçu à destination de tous ceux qui exerce un pouvoir, une influence, et à ceux qui le ou la subissent. Je me suis intéressé à l’entreprise afin de donner quelques clefs de lecture aux managers, à ceux qui doivent opérer les ajustements que demandent les bouleversement de notre temps. Mais beaucoup de passages s’adressent aux citoyens que nous sommes tous et qui vivent dans une société civile qui peut paraître, à bien des égards, incompréhensible. Et quand on ne comprends plus la complexité d’un système, le premier vendeur de complot qui passe par là n’aura aucun mal à vous vendre sa vision simpliste du monde.



Quel est l’enseignement principal de votre enquête ?

Un changement à la tête des médias dominants se produit depuis quelques années : les médias sociaux prennent le dessus sur la télévision. Ceci entraîne, comme chaque fois que c’est arrivé dans le passé, des bouleversements sociétaux et des changements de culture importants. Par exemple, les puissants (marques, personnalités, managers...) ne peuvent plus utiliser des postures symboliques d’infaillibilité comme avant : aujourd’hui, n’importe qui peut balancer une photo démontrant qu’ils font le contraire de ce qu’ils disent. Alors, s’ils ne peuvent plus faire semblant, s’ils doivent être sincères, il leur faut revoir toutes les méthodes de leadership, les processus de production... Dans ce contexte les images de marques ne se construisent plus de la même façon. 



Entre Kim Kardashian et Jésus Christ, quels sont les points communs ?

Ce sont parmi les plus grands influenceurs de leur temps. La comparaison ne va pas beaucoup plus loin car le second n’a réellement été influent qu’après sa mort et la notoriété de la première ne lui survivra probablement pas. La notoriété de Kim Kardashian est intéressante : à la différences d’autres grands influenceurs/ses du moment, elle ne dispose pas de talents particuliers (ni artiste, ni sportive, ni plus charismatique que d’autres, etc.) et parvient tout de même à sortir du lot et à durer, ce qui démontre qu’il existe un savoir-faire, des techniques pour être influent.

 

L’influence n’a-t-elle pas évolué au fil des siècles ?

Si, tout à fait. Si je suis un commerçant et que je veux vous convaincre d’acheter, si je suis un politique et que je veux accéder au pouvoir, si je suis un chef et que je veux que mon équipe me suive, je ne vais pas actionner les mêmes leviers et les mêmes messages à l’air des réseaux sociaux qu’à celle de la télé des années 1980, ni à celle de l’Église du Moyen-Âge. Les religions ont, d’ailleurs, été les premiers canaux d’influence de masse dans la mesure où elles ont véhiculé des valeurs, des messages, des interdits et se sont parfois fait contrôler par des puissances politiques intéressées par leur capacité à convaincre ou à soumettre. 



Comment la mise en regard de l’influence à travers les époques peut nous mettre en garde contre ce phénomène à l’heure actuelle ? 

Depuis toujours, l’être humain veut que le monde et la vie aient un sens, que chaque fait ait une cause, qu’il y ait des gentils et des méchants et que les gentils gagnent à la fin. C’est parce que nous n’acceptons pas que le monde soit incompréhensible et que notre vie soit le fruit du hasard que nous avons façonné des religions, des philosophies, des idéologies qui expliquent le monde et le simplifient. Une fois créés, ces édifices moraux sont devenus des enjeux de pouvoir. Ils ont alors utilisé les techniques d’influence de leur époque pour s’imposer en flattant nos espoirs ou en jouant sur nos peurs. Quand on a compris que les chapelles moralistes du moment utilisent à peu près les mêmes méthodes et prétendent, comme les anciennes, détenir la vérité, on peut aborder les polémiques actuelles avec un peu plus de libre arbitre. 



Selon vous, les influenceurs menacent-ils le mode de gouvernance d’un État ?

En démocratie, la légitimité des gouvernants repose sur leur capacité à exécuter la politique pour laquelle ils ont été élus. Ils disposent pour cela du puissant outil d’action qu’est l’État. Mais à force de le sophistiquer, les gouvernements successifs ont transformé l’État en une grosse machine qui n’arrive plus à implémenter rapidement les promesses politiques (si tant est qu’elle le veuille). Devant l’impuissance publique, de plus en plus de citoyens pensent que la capacité à changer les choses passe par l’«action directe» : à quelques-uns, coordonnés par les médias sociaux, on peut agir concrètement immédiatement. Ces actions sont le fait de groupuscules idéologiques ou éthiques, d’associations thématiques mais aussi, de plus en plus, d’entreprises qui, pour améliorer leur image auprès de leurs clients ou de leurs collaborateurs, s’engagent pour transformer la société. L’entreprise et la foule deviennent donc des organes de pouvoir dont l’efficacité menace le leadership de l’État en la matière.

 

Quels sont les conseils que vous donnez aux marques ?

Certaines marques ont compris que, pour s’insérer dans les conversations des gens qu’elles veulent toucher, il faut qu’elles se construisent des personnalités authentiques qui leur permettent de prendre des positions crédibles et de discuter avec plus de spontanéité. Cela passe par le déploiement d’outils data pour gagner en vitesse et en pertinence dans les conversations, par un alignement entre les marques employeurs et marques commerciales (on ne peut plus dire qu’on est bienveillant à ses clients si on ne l’est pas avec ses employés, ni prétendre qu’on est écolo quand on produit salement) et surtout par le choix de thèmes éthiques qui leur ressemblent : vouloir s’emparer de tous les sujets moraux à la mode sous prétexte de faire du sens, c’est l’assurance de devenir incompréhensible et démotivant.



Pour vous, le concept d’influence semble empreint de dangers. Quels sont-ils et comment s’en protéger ?

L’influence est, avec le statut, l’une des deux sources de légitimité d’un pouvoir. De nos jours, elle a clairement pris le dessus sur le statut. Le statut, la respectabilité des institutions démocratiques, par exemple, sont de plus en plus souvent remis en cause. Or, si aucune institution statutaire ne tient plus debout, qui va arbitrer entre la multitude de courants idéologiques qui veulent agir de façon opposée sur le même sujet ? Si des gens agissent sans concertation simplement parce qu’ils sont l’influence d’une morale à la mode, sans se soucier des lois et de l’opinion de ceux qui ne pensent pas comme eux, cela va devenir la foire d’empoigne. Le danger vient de là.

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