Une surprise ?
Lorsque Jeffrey Bezos, dit « Jeff », a annoncé dans une lettre à ses salariés son départ de la direction générale d’Amazon, personne ne s’y attendait. La société, avec 386 milliards de dollars en 2020, soit une hausse de 38 % par rapport à 2019, et un doublement des bénéfices à plus de 21 milliards, ne s’est jamais aussi bien portée - grâce au Covid-19 et à la croissance de l'e-commerce. Pourquoi quitter une fusée en pleine ascension ? « Ce n’est pourtant pas si surprenant, admet Stéphane Distinguin, président de Fabernovel et auteur de la préface du livre de Richard L. Brandt, Amazon, les secrets de la réussite de Jeff Bezos, paru dès 2012. Quand on imagine que Bill Gates [Microsoft] et Larry Page [Google] ont pris du champ à 45 ans, et que lui en a 57, on se dit que c’est même tard ! » Mais on oublie parfois que le temps passe. « Même quand on regarde Elon Musk, on voit que les milliardaires ont changé physiquement. » Il est compréhensible de vouloir souffler quand en trente ans, on est passé de seul dans son garage à 1,3 million d’employés. Et il semble avoir trouvé en Andy Jassy, le patron d’Amazon Web Services, un successeur rassurant pour tout le monde.
Pourquoi maintenant ?
En dehors de la décision personnelle, l’annonce intervient à peine quelques jours après l’investiture de Joe Biden. Ce n’est sûrement pas anodin, quand on sait que le patron, propriétaire du Washington Post, clairement anti-Trump, s’est exposé personnellement durant le dernier mandat. « Il a fait rempart devant l’entreprise, et ne voulait pas prendre cette décision dans un moment de pression », éclaire Stéphane Distinguin. Et quid des dangers de plus en plus visibles d’un démantèlement ? « Ils sont réels pour tous les géants, même si Amazon n’est pas le plus exposé à ce jour. Et au contraire, je pense qu’il l’a bien préparé, limite en indiquant : “si vous voulez découper, voici les pointillés” », continue-t-il. Dans un prisme américain, il faut sortir du cadre romantique - très français - de l’entreprise. En bon actionnaire, il a tenté de voir comment un découpage pourrait tout aussi bien être porteur de valeur pour Amazon.
Faire l’histoire
Dans sa lettre, Jeff Bezos martèle le mot « d’invention ». « Et c’est intéressant de voir comment il ne parle pas “d’innovation”. Il se place dans un destin supérieur à celui d’entrepreneur », relève Stéphane Distinguin. De quoi poser les bases de la suite. Avec ses deux fondations, Day One Fund et Bezos Earth Fund, ainsi que son projet spatial, Blue Origin, Bezos veut sortir du cadre des entreprises et marquer autrement le monde moderne - même s’il reste président du conseil d’administration de l’entreprise. Et il veut dépenser autrement l'argent de sa réussite, surtout lorsqu’on sait que son ex-femme (qui possède une partie de la fortune à la suite de leur divorce) a été la personne qui a le plus dépensé en 2020 dans le monde, pour des projets caritatifs. Le départ de Jeff Bezos, s’il a pu surprendre dans une actualité très mouvementée, n'est qu'un départ masqué, et une décision d'une logique rationnelle, propre à celui qui l'a prise.