Réputation
Face à la multiplication des interpellations sur les plateformes sociales et les risques que ces bad buzz font peser sur leur réputation, les marques sont plus mobilisées que jamais, au risque de frôler la surréaction.

En marketing aussi, l'enfer est-il pavé de bonnes intentions ? En annonçant abandonner les termes « blanchissant » et « clair » dans le descriptif de ses produits, L'Oréal croyait bien faire... Pourtant, en quelques heures, les réactions virulentes se sont multipliées sur les réseaux sociaux, Twitter en tête. Les hashtags #BoycottLoreal et #JarreteLoreal ont même fait trembler le cours de Bourse de l’entreprise le 29 juin.

À chaque jour son bad buzz pour le géant des cosmétiques ? Quelques semaines plus tôt, le groupe avait déjà été la cible des réseaux sociaux, et avec lui le distributeur Carrefour, après qu’une consommatrice a posté, toujours sur Twitter, une vidéo montrant des fonds de teint foncés assortis d’un anti-vol tandis que les fonds de teint clairs en étaient dépourvus. Début juin, c’est E.Leclerc qui s’est fait prendre à partie sur le même réseau par Brune Poirson, la secrétaire d'État à la Transition écologique, celle-ci dénonçant, photo à l’appui, un emballage en plastique pour des œufs durs trouvé dans un magasin de Concarneau.

Impétueux réseaux sociaux

Montagnes russes émotionnelles pour les directeurs du marketing et de la communication. Les impétueux réseaux sociaux s'enflamment de plus en plus vite. De plus en plus fréquemment. Et bien souvent sans raison. Un état de siège permanent et chronophage, comme le décrit un directeur de la communication d'un grand groupe, qui a souhaité garder l'anonymat: « Depuis quelques années, les crises s’accélèrent de façon phénoménale. Avant, nous affrontions trois crises dans l'année, souvent déclenchées par des médias comme 60 Millions de Consommateurs, un retrait de produit, ou une nouvelle loi ; il fallait un marqueur fort pour que la crise éclate. Aujourd'hui, j'y consacre près de 40 % de mon temps, entre l’anticipation de la crise et la mise en place des process… »

Selon MMC, agence spécialisée en crise digitale, 527 bad buzz d’entreprises ont été enregistrés l’an dernier sur le web francophone et anglophone, un chiffre plutôt stable (537 en 2018, 502 en 2017). Dans le même temps, les conflits avec des clients sont devenus la première source de bad buzz, devant la discrimination ethnique et le sexisme, selon le Baromètre des bad buzz 2019 publié par MMC.

« Les réseaux sociaux sont des lieux de prise d'otage des marques par les individus. Si vous rencontrez un problème avec une marque, vous savez que vous pouvez aller immédiatement sur Twitter pour vous plaindre en mentionnant la marque. C'est quelque chose qu'il faut accepter », rappelle Arthur Kannas, président et cofondateur de l’agence Heaven. « Des marques comme L’Oréal ou comme Nestlé engendrent des territoires de défiance naturels : certaines personnes passent leur temps à créer de l’agitation médiatique pour atteindre l’entreprise. La difficulté pour une marque, c’est quand les discours négatifs sortent de ces territoires pour atteindre les médias ou d’autres communautés », contextualise Guilhem Fouetillou, cofondateur de Linkfluence, spécialisé dans l’écoute du web social.

Marques à fleur de peau

Chaque jour, on estime à 200 millions le nombre de contenus produits à travers le monde, qu’il s’agisse d’articles de presse, de tweets, de commentaires laissés sur un blog ou une page Facebook. Soit autant d’occasions pour les marques de se faire malmener. « Beaucoup ont du mal à évaluer la gravité d’un commentaire critique », observe Marie Muzard, fondatrice et directrice générale de MMC. Pour des marques à fleur de peau, il s'agit de se garder de la surréaction. « Un tweet n'est pas une crise. Les directeurs de la communication voient cette nuance et ne paniquent pas devant un tweet, là où des gens au plus près de la marque peuvent se sentir très vite agressés », ajoute le directeur de communication.

Pour aider les marques à détecter parmi ces millions de messages publiés ceux qui peuvent virer au vinaigre, et ainsi agir à la source, des outils de segmentation ont été mis au point. « Il convient d’analyser trois choses : qualifier de quoi le message parle, qui est l’émetteur et calculer quelle est la viralité du message, à chaque seconde. Les marques doivent être capables de segmenter les sources médiatiques en fonction de leur affinité et de leur pouvoir d’influence. Si vous vous arrêtez au sujet du message, alors vous êtes dans la gestion de crise permanente », met en garde Guilhem Fouetillou. 

« Longtemps, les entreprises réagissaient trop tard aux bad buzz. Aujourd’hui, beaucoup sont tombées dans l’extrême inverse et sont dans une hyper-réaction, avec des rétropédalages trop rapides, ce qui peut provoquer un autre bad buzz », estime pour sa part Marie Muzard. Et la communicante de citer le cas de Dove en 2017, prise dans un tourbillon médiatique pour une publicité montrant une femme noire retirant son T-shirt et devenant rousse et blanche, avant de devenir à son tour brune au teint mat. « La marque ne s’est même pas défendue alors que la capture d’écran à l’origine du bad buzz ne reflétait pas la dynamique de la publicité. C’est important de réagir avant que la polémique ne gagne du terrain, c’est une question de timing », explique-t-elle.

La peur n'empêche pas le danger… Selon Marie Muzard, « il y a un risque à s’organiser en permanence en cellule de crise pour un oui ou pour un non. C’est lourd comme process, alors qu’il faut pouvoir réagir très vite. Il faut une structure souple, virtuelle, avec un process de validation plus rapide. Dans certains cas, il faut se mettre en gestion de crise, mais pas avec les mêmes méthodes que la gestion de crise traditionnelle »

« Pour qu’un post devienne vraiment visible, il faut qu’il soit partagé par quelqu’un qui a des relais d’opinion derrière lui », ajoute Sandrine Plasseraud, directrice générale de l’agence We Are Social. Dans le cas des œufs durs emballés dans du plastique chez E.Leclerc, c’est parce que le message a été publié par Brune Poirson qu’il a eu un écho certain, repris ensuite par plusieurs médias et contrebalancé par la réaction de Michel-Édouard Leclerc lui-même. Même résonance médiatique quand le journaliste Hugo Clément prend à partie Intermarché, dont certains magasins vendent du requin renard, pourtant menacé de disparition.

Transparence raisonnée

« Deux types de réactions sont possibles de la part des entreprises et de leurs dirigeants : soit ils sont dans la réaction permanente, ce qui n’est pas forcément le plus efficace, soit ils se positionnent dans une transparence raisonnée pour éviter les problèmes. Ce que repèrent tout de suite les internautes, c'est le manque d'authenticité », relève Pierre-Etienne Boilard, CEO de Social & Stories. Pas surprenant donc que Michel-Édouard Leclerc rappelle à Brune Poirson les engagements pris par son groupe en matière de suppression du plastique. « Si une bourde dans un magasin vaut un tweet de ministre, combien de tweets pour la suppression de 14 tonnes de plastique pour ces glaces Leclerc ? », a-t-il tweeté.

À l’inverse, une marque comme O’Tacos ne se cache pas, limitant à priori les risques. « Qu'est-ce qu'O'Tacos sinon l'apothéose de la malbouffe ? Astucieusement, la marque assume et joue à fond sur le registre du plaisir coupable. Personne ne peut les attaquer là-dessus », tranche Pierre-Etienne Boilard.

« Une marque ne doit pas se considérer comme abîmée car elle est agressée sur les réseaux sociaux. C’est comme l’image du manager faillible : elle doit profiter de ces critiques pour en faire un élément constructif qui crée de l’adhésion », estime Nicolas Castex, fondateur du cabinet de conseil en communication Everybody Knows, qui cite en exemple la marque de baskets éthiques Veja, laquelle n’hésite pas à mettre en avant sur son site les limites de son modèle.

« Le problème aujourd'hui, c'est que les marques se retrouvent à réagir sur des sujets qu'elles n’ont pas choisis, MeToo par exemple. Tout à coup, elles se font interpeller sur ces sujets et sont sommées de s'exprimer, ce qui peut être déstabilisant et anxiogène », note Arthur Kannas. Le mouvement Black Lives Matter en est une autre illustration. Plusieurs marques de luxe qui avaient affiché un carré noir sur leurs pages sur les réseaux sociaux ont été accusées de ne pas en faire assez à destination des minorités. « Ces bad buzz peuvent parfois avoir ce mérite de porter à la connaissance des marques des choses qu'elles ignoraient », ajoute Arthur Kannas. En marketing comme ailleurs, à toute chose malheur est bon ?

Quand les marques boycottent les réseaux sociaux

Plus que jamais, les marques, plus prudentes encore après les déferlantes MeToo ou Black Lives Matter, n'entendent pas s'abîmer au contact de médias négligents. Alors que de plus en plus d'annonceurs, dans le sillage de Coca-Cola, Starbucks, Diageo, Honda, ou encore Unilever, choisissent de ne plus faire de publicité sur le réseau social Facebook, accusé de mal modérer les contenus haineux et racistes, les organisateurs américains de la campagne « Stop Hate for Profit », lancée par Free Press and Common Sense, ainsi que l'association d'égalité des droits Color of Change et l'Anti-Defamation League, appellent à un mouvement global et espèrent être rejoints par des marques européennes. La déferlante continue donc malgré une déclaration de Mark Zuckerberg le 26 juin dernier, annonçant un durcissement de la politique de Facebook face aux messages haineux. Facebook, qui aurait d'ores et déjà perdu 7,2 milliards de dollars dans le boycott, n'est pas le seul réseau social visé: Unilever a déclaré vouloir aussi boycotter Twitter et Instagram.

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