Tribune
La crise sanitaire et surtout le confinement ont montré que la révolution de l’omnicanal, loin d’être achevée, était non seulement une nécessité économique mais aussi un levier de souveraineté pour les marques.

L’arrêté du 14 mars dernier sur la fermeture temporaire des lieux «non essentiels» à la vie de la Nation a résonné comme un coup de tonnerre pour le monde de la distribution. La fermeture brutale des magasins et les deux mois de confinement qui ont suivi ont non seulement obligé les Français à bouleverser leurs habitudes de consommation, mais aussi modifié en profondeur le rapport entre marques et distributeurs. En 24 heures, la capacité de toucher, de converser et de vendre à son client quel que soit le point de contact utilisé, est devenue essentielle.

Pour autant, la ruée sur les services en ligne a mis en lumière des écarts béants entre les marques et les expériences proposées aux consommateurs. En jouant le rôle d’un formidable accélérateur de transformation digitale, la crise a montré que la révolution de l’omnicanal, loin d’être achevée, était à la fois une nécessité économique et un levier de souveraineté pour les marques.

On peut se demander si l’omnicanal n’était pas jusqu’à présent qu’une révolution de façade. Après tout, à l’heure du commerce dit électronique, mobile, social ou vocal, 90% des transactions restent, selon la Fevad, effectuées en points de vente. Mais depuis la pandémie, l'e-commerce aux États-Unis aurait autant progressé en deux mois qu’en 10 ans, selon Bank of America, pour atteindre 27% des échanges. En France, si le pourcentage reste plus modeste, les ventes de e-commerce alimentaire ont néanmoins doublé : le drive aurait ainsi recruté 1,2 million de foyers supplémentaires, parmi lesquels 500 000 retraités. Au-delà de la nécessité ponctuelle de s’adapter à la crise, cette explosion va laisser des traces et installer durablement de nouvelles pratiques de consommation.

Garder le lien avec les clients

Un verrou a clairement cédé. Alors que partout, les mêmes images de métropoles désertes et de magasins fermés se répétaient, l'e-commerce est apparu comme l’un des rares moyens pour les marques de garder le lien avec leurs clients. Évaporée la crainte de se mettre ses distributeurs à dos, vendre en direct à ses clients finaux n’est plus une agression envers son réseau de distribution, mais une nécessité, une nouvelle normalité. Nintendo lui-même, qui a toujours pris grand soin de ménager ses réseaux historiques, ne s’y est pas trompé : pas moins de 5 millions d’exemplaires de son jeu phénomène, Animal Crossing, se seraient écoulés sur son eShop sur le seul mois de mars 2020.

Malheureusement, beaucoup de marques proposent encore une expérience dégradée en ligne. Ce décalage entre le concept d’omnicanal et la réalité vécue par le client vient évidemment de la complexité inhérente au secteur de la distribution. Longtemps, l’endroit de la transaction était le lieu où l’on achetait le produit. Ce n’est plus le cas : la posture d’un omnicanal conçue comme un simple web-to-store a fait long feu. Désormais, tout l’enjeu pour les marques consiste à entretenir et garder un lien direct avec le consommateur final, quel que soit leur parcours d’achat, avec une proposition digitale au regard de son identité.

Affirmer sa souveraineté

C'est une façon d’affirmer sa souveraineté face à des expériences impersonnelles parfois dégradées. C’est le sens de la décision de Nike, qui annonçait fin novembre mettre un terme à sa collaboration avec Amazon aux États-Unis pour «améliorer l’expérience des consommateurs via des relations directes et personnelles». Jadis apanage physique et géographique du magasin, la proximité n’a pas été confisquée par l’algorithmie des pure players : elle réside désormais dans un dialogue permanent, mais équilibré et respectueux, avec le client. L’omnicanal est devenu un enjeu de valeurs et de culture des marques.

Ainsi, la situation exceptionnelle que nous vivons, notamment la sévérité de son impact financier sur les marques et les acteurs de la distribution, résonne comme un avertissement : la juxtaposition de canaux de ventes séparés, appuyés par un marketing encore organisé en silo, n’est plus possible. En se multipliant spontanément en ligne, apéros virtuels entre amis et initiatives solidaires l’ont bien montré : le digital n’est pas condamné à rester une expérience froide et déshumanisée. «Loin des yeux mais proche du cœur» : c’est tout le paradoxe de cette nouvelle proximité digitale. À l’heure du déconfinement et de la réouverture des magasins, l’omnicanal est le plus beau programme des marques : offrir enfin aux consommateurs le meilleur des deux mondes.

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