La clope au bec, le costard impec, propulsant sa haute silhouette au-dessus d’un tourniquet… C’est ce que l’on appelle, en italien, la «sprezzatura», une sorte d’élégance mâtinée de nonchalance. Ce que l’on appellerait plutôt, de nos jours, le «swag». Jacques Chirac, pourtant pas le moins décrié pendant sa présidence, était devenu ces dernières années, bien après qu’il a quitté ses fonctions, en 2007, une véritable icône de la pop culture. L’emblème d’une époque qui, rétrospectivement, ne paraissait pas si noire, malgré les «affaires» qui ont émaillé la carrière politique de «Jacquot». Un Tumblr, FuckYeahJacquesChirac, inspirant une ligne de produits dérivées, tote bags et t-shirts, célèbre depuis 2011 le Jacques Chirac cool et classieux. Celui qui fumait cibiche sur cibiche, celui à qui Madonna avait jeté sa petite culotte lors d’un concert en 1987, celui qui ne répugnait pas à s’envoyer une petite tête de veau derrière la cravate. Une sorte de «qualité française», grande bouffe mais mise soignée, qui rappelle les brasseries de Claude Sautet, les volutes de fumée sur les plateaux télé, la bagnole sans ceinture. En bref, une certaine forme de décontraction.
Abracadabrantesque
Une liberté de parole aussi. Là, on est plutôt dans du Audiard. «Allons boire à nos femmes à nos chevaux et à ceux qui les montent», avait coutume de trinquer «Chichi». «Bien sûr que je suis de gauche, je mange de la choucroute et je bois de la bière», grinçait l’ogre de la politique, pendant la campagne de 1995. «Mais qu’est-ce qu’elle me veut de plus cette mégère ? Mes couilles sur un plateau ?», lâchait-il aussi en parlant de Margaret Thatcher. Chirac, comme l’appelait même sa fille Claude, sa conseillère en communication, avait aussi le sens du gimmick : «Faire pschitt», «abracadabrantesque», c’était lui. Des prises de parole, certes souvent empreintes d’un machisme un peu old school, voire ouvertement racistes («le bruit et l’odeur»), ce qui vaudra à Chirac d’être comparé au très peu politiquement correct OSS 117. Mais assez réjouissantes, parce que non corsetées par les éléments de langages creux, les anglicismes tout droit sortis des argumentaires d’écoles de commerce.
Iconique
Eminemment «iconique», comme on dit aujourd’hui, l’image de Jacques Chirac n’a pas été utilisée dans la publicité. Chirac avait pourtant œuvré à l’ouverture de la pub à la télé, avec la grande loi de l’audiovisuel de 1986, portée par son ministre de la Culture de l’époque, François Léotard, qui aboutit à la privatisation de TF1. On ne peut pas retirer à Chirac une intuition publicitaire quasi innée : il avait su, avec son entourage, surfer sur une parodie des Guignols, qui moquaient une interview dans laquelle il évoquait le pommier de l’un de ses proches, à tel point que l’on a fini par croire que ce slogan incongru et savoureux était le sien : «Mangez des pommes !».