Les modes passent, le style est éternel, disait Yves Saint Laurent. Cacharel, marque patrimoniale du prêt-à-porter français, a-t-elle médité cet aphorisme ? Après deux tentatives avortées, Cacharel tente son grand retour. En perte de vitesse depuis 1998, année où la marque aux chemisiers fleuris clôt sa dernière usine à Nîmes au profit d'une production externalisée, Cacharel a finalement dû fermer sa plateforme logistique et administrative également située à Nîmes. Tout un symbole… C'est dans la ville d'Occitanie qu’en 1959, Jean Bousquet, fils de réparateur de machines à coudre, fonde la marque, clin d’œil à son origine provençale : son nom de baptême, déposé en 1962, vient d’un canard de Camargue, le cacharel.
Un modèle entièrement digital
Soixante ans après, la marque de prêt-à-porter emploie une trentaine d’employés. Et vient de décider de changer de business model passant d’un modèle physique à un modèle entièrement digital. Cacharel 2.0 a donc vu le jour le 14 février avec la sortie d'un nouveau site internet, fruit d'une collaboration entre deux agences : Mad Agency pour le back-office et Des Signes pour la refonte de l’identité visuelle, la charte graphique ainsi que la trame. « À l’origine, Cacharel nous a contactés pour le design d'affiches avec des typos plus actuelles, à destination du pop-up store. Mi-septembre, ils nous ont recontactés et demandé de rajeunir la marque sans perdre son ADN, en migrant sur le digital avant février », raconte Franklin Desclouds, directeur artistique de l’agence Des Signes. Une transformation qui passe inévitablement par la fermeture des dernières boutiques françaises. « Nous faisons face à un marché complètement différent où il est essentiel de s’adapter aux nouveaux usages des consommateurs. Mais je ne m’en fais pas, Cacharel est connue mondialement », lance sereinement le fondateur de la marque, Jean Bousquet.
Star des années 60
Retour gagnant ? Alexandra Jubé, fondatrice du bureau de style Alexandra Jubé, pense que la marque a pris le bon virage : « Elle démontre sa volonté de comprendre son époque et d’adopter un positionnement qui a marché pour d’autres, avec cette approche direct to consumer [distribution directe au consommateur] ».
Des consommateurs qui, pour certains, n’ont pas oublié Cacharel et sa prestigieuse histoire, tant marketing que publicitaire. Produit iconique ? Le chemisier crépon. Cette matière habituellement utilisée pour la confection de pièces de lingerie trouve grâce auprès de la gent féminine à l’âme révolutionnaire. Mais c’est surtout la licence parfum, créée en 1975 avec le groupe L’Oréal, qui contribuera à la renommée mondiale du groupe. Anaïs Anaïs, Loulou, Amor Amor… L’on sent ces parfums sur le cou de toutes les jeunes filles en fleurs. Actuellement, ils comptent pour près de 75 % des revenus de la marque.
Homme d’affaires, autrefois homme politique, Jean Bousquet a su s’entourer lorsqu’il était à son apogée : la photographe encore inconnue Sarah Moon, à qui l’on doit les mémorables campagnes Loulou et Anaïs Anaïs, le publicitaire Robert Delpire ou encore la styliste Corinne Sarrut. « Bousquet souhaite recomposer l’équipe des origines, un peu comme au bon vieux temps », affirme Franklin Desclouds.
À la photographie des nouvelles séries de mode, on retrouve Elene Usdin, et à la direction artistique, Pascal Millet. Nommé en septembre 2018, le styliste tente un comeback du motif Liberty, en plus des chemises en coton et du style sportwear chic. L'intérêt du digital ? Le renouvellement des modèles. Cacharel passe de deux collections à cinq par an. « Le site a été lancé avec la présentation de la collection printemps. Suivront les collections été le 5 mai, automne le 5 juillet et hiver le 5 septembre. Avec, en bonus, une collection de fin d’année qui sortira le 5 novembre », explique le fondateur. Ce lancement aura été l’occasion, entre autres, de réintroduire la collection homme, stoppée depuis 2014.
Une typographie sur mesure
« Après l'avoir analysé, nous trouvions le logo un peu daté. En jouant sur les points des lettres A, C et E de l'ancien logo nous avons recréé quelque chose de très léger où le sigle Cacharel vient prendre la forme d’un ballon. Sans toucher à l’identité, nous avons impulsé un nouveau souffle », décrit Franklin Desclouds.
En plus d’un logo rajeuni, une typographie a été inventée pour l’occasion. Un alphabet coupé censé refléter une culture « plus branchée, urbaine et moderne », complète le directeur artistique du studio. Comme une cure de jouvence voire carrément un lifting pour la marque, qui on l’aura compris, tente de séduire une génération plus jeune. « Quand Cacharel est née, la cible tournait autour de 18-30 ans mais cette-dernière a vieilli avec la marque. Notre but est donc de s’adapter aux usages de la jeune génération et de les séduire avec nos modèles », traduit le fondateur.
Des modèles dont les prix de vente s’adaptent aux porte-monnaie des jeunes. Entre 120 euros à 400 euros pour une pièce : l’enseigne s’aligne sur les modèles concurrents de prêt-à-porter premium tels que Sézane, Paul & Joe ou encore Bash. Selon Alexandra Jubé, le pari semble néanmoins risqué. « Ce n’est pas parce qu’une marque est sur le digital qu’elle va plaire aux jeunes. Il faut voir au-delà, en créant des contenus engageants, en entraînant une réelle communauté notamment via les réseaux sociaux ». La réponse de Cacharel concernant une possible stratégie sur les réseaux sociaux ? « C’est en cours ». Après les jeunes filles en fleur, les influenceuses, nouvelles égéries de Cacharel ?