Consommation
En quelques années, la sociologie des clients du luxe a totalement changé. Les moins de 35 ans donnent aujourd’hui le « la » des tendances, et les Z ne vont pas tarder à les supplanter.

Une jeune Chinoise embarrassée avec ses baguettes face à un plat de spaghettis : le scandale provoqué par cette vidéo condescendante de Dolce & Gabbana le 21 novembre dernier et le retrait consécutif de la marque italienne des plateformes de vente en ligne en Chine montrent à quel point la vitesse de réaction des consommateurs s’est accélérée avec les réseaux sociaux. Et rappelle le pouvoir pris par les millennials, les 18-35 ans, dans le destin des marques de luxe. Pour Éric Briones, co-auteur de La génération Y et le luxe chez Dunod en 2014 déjà et cofondateur de la Paris School of Luxury (groupe MediaSchool, comme Stratégies), « 80 % de la croissance du luxe vient des 23-38 ans et l’âge moyen des consommateurs de luxe en Chine est 25 ans. Et comme les Z (12-18 ans) seront encore plus nombreux que les millennials, l’influence de la jeunesse ne fait que commencer. »

Vision latine vs vision asiatique

Tous les experts agitent ce chiffre du cabinet Bain & Co : les millennials représenteront 45 % des clients du luxe en 2025. Une nouvelle donnée dans un marché passablement chahuté. « On compte autant de millionnaires en Chine qu’il y a d’habitants en France, ajoute Davy Tessier, directeur de l’agence spécialisée Disko. La vision occidentale latine s’oppose à la vision asiatique, des marques de luxe classiques peuvent être vite déclassées, inversement, des marques émergent, qui n’existaient pas il y a quelques années. Le temps et les distances raccourcissent et toutes les stratégies du luxe sont disruptées. »

Cette évolution vient aussi des dirigeants eux-mêmes, rappelle Audrey Depraeter, managing director chez Accenture : « Alexandre Arnault, le fils du PDG de LVMH, a pris la tête de la marque de bagages Rimowa à 25 ans. Virgil Abloh, 38 ans, le fondateur de la marque streetwear Off-White, a été nommé à la création de Louis Vuitton Homme. » À 46 ans, Alessandro Michele, le directeur de création de Gucci, la « machine à cash » de Kering, fait déjà figure d’aîné mais il est emblématique de la nouvelle posture des marques de luxe, moins engoncées dans la tradition, tout en lui rendant hommage avec un magnifique musée à Florence inauguré en janvier 2018.

Nouveaux formats

En termes de communication, cette transition sociologique se traduit par de nouveaux formats, les millennials étant peu consommateurs de médias classiques. Habitué à de très beaux films cinématographiques, le secteur du luxe décline ses messages en plusieurs longueurs destinées à être visionnées et partagées sur les réseaux sociaux. « La personnalisation des produits attendue par les clients du luxe vaut aussi pour la communication, souligne Anne Kaminsky, global client partner luxury Facebook et Instagram. Les marques adaptent leurs messages aux différentes audiences, millennials ou génération X, en variant les gammes, les égéries et les formats. » Cartier, dont le film de 3 minutes 30 « L’Odyssée » a marqué les esprits en 2012, mène actuellement la campagne « Juste un clou » sous la forme de différentes capsules sur Facebook et Instagram. Pour la Saint-Valentin 2018, le joaillier a utilisé le format publicité de collection sur Facebook : une vidéo principale et des images de produits similaires pouvant guider facilement l’internaute vers l’achat. L’opération, menée avec Publicis 133 et Blue 449, a ciblé les 18 ans et plus amateurs de luxe au Royaume-Uni. Elle a généré deux fois plus de retour sur investissement publicitaire que les précédentes campagnes.

En France, Moët & Chandon a souhaité cibler les moins de 35 ans pour l’ouverture de la Maison Moët, un lieu éphémère à Paris, en juin dernier. L’agence Paris Tonic, spécialisée dans les partenariats média sur cette cible, a monté une opération avec quatre sites, Gustave et Rosalie, Fubiz, Do it in Paris, Vivre Paris, qui ont chacun créé du contenu sur mesure. La campagne a généré 10 millions de contacts et 1,5 million de reach affinitaire. Les 150 places mises en ligne sur la plateforme de Gustave & Rosalie ont été vendues en 48 heures.

Les millennials, demandeurs d'éthique

Amateurs d’expériences et de personnalisation, les millennials sont aussi demandeurs d’éthique et de transparence. La marque Baume, petite sœur de Baume & Mercier née cette année au sein du groupe Richemont, vise cette clientèle, avec plusieurs caractéristiques qui bousculent l’industrie de l’horlogerie : personnalisation sur internet et prix réduits (entre 500 et 900 euros) mais aussi refus du cuir et des pierres précieuses, participation à des actions de défense de l’environnement… « La jeune génération n’a plus besoin de porter de montre avec les smartphones, si elle en met à son poignet. Il faut que la marque ait une autre raison d’être, explique Marie Chassot, responsable de Baume. L’engagement pour l’environnement parle particulièrement aux millennials. Mais nous ne voulons pas culpabiliser les gens : la marque est attractive même si l’on n’est pas sensibilisé à l’écoresponsabilité. » Si l’horlogerie a été plus lente à se digitaliser que d’autres secteurs du luxe, une initiative comme Baume sert de laboratoire pour le groupe Richemont. « Personnaliser une montre fait qu’on la garde plus longtemps, précise Marie Chassot. On assemble sur demande pour ne pas gérer de stocks - une grande problématique du luxe. Ne pas pousser à la consommation, consommer moins mais mieux, c’est une caractéristique des jeunes générations. » Du moins en Europe du Nord et sur la côte ouest des États-Unis, cible privilégiée de Baume, les jeunes Chinois étant concernés sauf en termes de sécurité alimentaire. Certaines marques gardent d’ailleurs leur propre cap : « Rolex reste un symbole de réussite et n’a pas bougé de ce territoire de communication qui parle à la génération Z, dont le rapport à l’argent est plus décomplexé que chez les Y », précise Éric Briones. Si à 20 ans, tu n’as pas de Rolex…

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