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Le géant du e-commerce ne fait que croître dans la publicité en ligne. Si certains y voient un concurrent au duopole Google-Facebook, d'autres craignent d'y laisser leur indépendance. Tour d'horizon des arguments.

C’est LE sujet de discussion à la cantine des agences médias françaises, entre la poire et le fromage. Tel client s’interroge, untel bascule un peu ses budgets, untel a peur… La force d’Amazon, c’est d’avoir toujours réussi à faire parler de lui. Et la publicité n’échappe pas à la règle. Depuis un an, le géant de l’e-commerce et du cloud s’active sur le secteur. Et les annonceurs hésitent. Sa position hégémonique peut rebuter, et faire craindre un nouveau «dictateur du web» sur la publicité, duquel tout le monde serait dépendant. Mais beaucoup verraient d’un bon œil l’arrivée d’un concurrent au duo Google-Facebook pour titiller la main invisible du marché… Car le géant pose ses pions. «Tout le monde a sous-estimé l’ampleur de l’évolution d’Amazon dans la pub. On attendait 4 milliards de dollars au niveau mondial en 2018, mais ce sera plutôt de l’ordre de 8 milliards », prévient Christophe Le Marchand, codirecteur d’Ecselis France, l’entité de marketing à la performance d’Havas Media Group.

 

Amazon, le troisième invité

Pour l’instant, ses 4,1% de parts de marché publicitaire aux US, selon Emarketer, ne sont qu'une paille. Mais le cabinet s'attend à une croissance annuelle de 50% par an jusqu'en 2020, année où Amazon mangera 7% du gâteau. Encore loin des 20,6% projetés pour Facebook, et 35,1% pour Google… Ce qui fait dire à Emarketer que si Amazon pourrait bien s'imposer comme troisième acteur, devant Oath et Yahoo, le duopole n’est pas près de fricoter avec un troisième invité.

Sur le papier, Amazon a pourtant tout pour devenir un champion. «Quand, dans un pays, vous touchez entre 50 et 90% des internautes, et que vous êtes ancrés dans le quotidien des gens en termes de commerce, vous avez forcément des choses à apporter d’un point de vue publicitaire», commente Vincent Pelillo, vice-président de Captify, spécialiste de la donnée intentionniste. Au total ? 2,5 milliards de dollars de revenus au troisième trimestre 2018 sur la publicité. «Mais n’oublions pas que la pub n’est pas leur business modèle initial, tempère Benjamin Grumbach, co-président de Re-Mind PHD. En ce moment, ils se mettent à niveau, donc ils sont en croissance. La publicité, c’est vite rentable, et ça tend à devenir une part qui se voit dans leurs résultats.» Se fait-on une figure trop grosse du géant ? «Je ne pense pas qu’Amazon les rattrapera car il a beaucoup de retard», prédit Hugo Loriot, managing director de l’agence de data marketing Fifty-five aux États-Unis, et qui ne croit pas l’entreprise en mesure de tailler des croupières aux deux autres. «Il va aller chercher dans les budgets additionnels, que les annonceurs étaient réticents à investir sur les autres plateformes», assure-t-il. C’est donc dans la part restante du gâteau, qu’Amazon ira d’abord puiser. Pas de quoi rassurer les « petits » acteurs du marché, qui estiment déjà se partager les miettes…

L’accélération d’Amazon, en France, est bien réelle. Surtout en 2018, où il a effectué un rebranding total de son offre publicitaire. «C’est un écosystème assez complexe et spécialisé à plusieurs niveaux [Voir infographie]. Le rebranding visait justement, entre autres, à entrer dans les codes du marché pour clarifier l’offre», observe Hugo Loriot. La filiale française de Jeff Bezos a refusé de nous répondre, mais elle recrute à tour de bras dans les agences médias, et s’est développée une petite armée commerciale en B2B. En agence, les points de retraits de colis se multiplient, un service facilitant le quotidien des pubards parisiens. «C’est un levier d’influence comme un autre», concède un patron d’agence. Au même titre que les tables de ping-pong estampillées des régies M6 ou les goodies TF1. Et dans les faits ? Des annonceurs comme JDE (L’Or, Tassimo) ou Philips ont opéré un important arbitrage ces derniers mois dans leur budget de référencement payant, déportant la moitié de leur enveloppe de Google à Amazon. «Sur ce genre d’annonceur, Amazon a pris 45% de parts de marché», assure un spécialiste du trade marketing. Idem pour le jeu vidéo, ou les autres acteurs de la pub ont vu leurs budgets fondre.

 

Encore plus proche de l'acte d'achat

La raison de la bascule ? Pour Christophe Le Marchand, Amazon arrive à convaincre grâce au raccourcissement du chemin de conversion. «C’est un game changer. Là où Google était très proche de l’acte d’achat, on a trouvé encore plus proche car les gens allant sur Amazon sont au-delà de l’intention, ils sont déjà dans l’acte d’achat.» Sa force ? Son moteur de recherche. Au niveau mondial, Amazon a dépassé Google dans la recherche de produits, avec, aujourd'hui, 54% des requêtes effectuées sur Amazon vs 46% sur Google. Le géant offre ainsi des mises en avant, fonction des recherches des internautes sur son moteur. C’est un peu comme payer le vendeur en boutique pour qu’il recommande votre produit quand un client l’aborde. Sans doute le marketing le plus efficace.

Résultat, en termes de rentabilité, c’est du pain béni. Un spécialiste du marketing à la performance estime le taux de transformation sur Amazon deux à trois fois supérieur à celui observé sur Google. «On n’avait jamais vu ça avant, c’est un changement radical en termes de performance! Le système d’enchères d’Amazon coûte moins cher et le taux de transformation est meilleur. À la fin, la rentabilité de l’opération peut être multipliée par neuf.» Cette montée d’Amazon sur le référencement payant donne une autre saveur à la petite phrase lancée par Eric Schmidt en 2014, alors président exécutif de Google: «Beaucoup de gens pensent que Bing ou Yahoo sont nos plus gros concurrents. En réalité, notre plus gros rival en matière de recherche en ligne, c'est Amazon.» Et un constat qui ne devrait pas laisser de marbre le moteur de recherche, en passe de revoir sa stratégie, notamment sur Google Shopping. Même si l’on est encore loin de la concurrence frontale.

«L’heure est toujours à la pédagogie, souligne Christophe Le Marchand. Des marques habituées à leur circuit de distribution physique classiques sont parfois surprises d’être vendues sur Amazon, via la marketplace. Elles doivent donc reprendre le contrôle de leur image dans l’écosystème.» Aux agences, donc, de les aider en développant des offres spécialisées (lire encadré «Bientôt des agences spécialisées»).

 

Amazon, un environnement logué

L’autre point fort d’Amazon, c’est sa donnée. En proposant aux annonceurs un environnement logué, dans des univers très variés, Amazon connaît non seulement leur comportement, mais aussi in fine, ce qu’ils ont acheté. Et peut ainsi aider les annonceurs à comprendre leurs clients. Mais cela ne fonctionne que pour les marques «endémiques», c’est-à-dire celles qui vendent leurs produits sur la plateforme. «La grosse différence avec Adwords, c’est que les liens ne renvoient pas vers le site du client mais que l’on reste chez Amazon», analyse Hugo Loriot. Revers de la médaille: ces derniers aimeraient pouvoir renvoyer sur leur propre site pour optimiser leur connaissance client. Impossible, parce qu’officiellement, il n’y aurait pas de pertinence à ce que l’utilisateur change d’environnement. «Pour Amazon, c’est le beurre et l’argent du beurre…» continue-t-il. Et l'on commence à voir les côtés négatifs de la toute puissance d’Amazon.

«En réalité, l’univers publicitaire d’Amazon ne fait que reproduire ce que l'on connaît en grande distribution. Il faut voir cela comme du retail media, tempère Frédéric Marty-Debat, le président de Performics. Au même titre que des têtes de gondole, des mises en avant rayon ou autres services médias rendus par la grande distribution.» Mais ce que l’on ignore, c’est à quel point ces investissements média pourraient devenir un levier de négociation dans les relations commerciales, et influer sur le rapport de force. Car en France, Carrefour fait face à E. Leclerc. La concurrence enrichit la négociation. Mais Amazon, lui, n’a pas grand monde en face. «C’est à ce titre que bon nombre d’annonceurs s’interrogent. De peur de devenir trop pieds et poings liés», résume un consultant spécialisé. De quoi développer une certaine schizophrénie chez les marques, en alimentant le partenaire qui pourrait devenir le plus gros concurrent. Et n’oublions pas qu’Amazon fabrique aussi ses propres produits… Une fois les clients captés, la marque au sourire voudra sûrement mettre en avant sa MDD [marque de distributeur].

Pour les annonceurs non-endémiques, qui ne vendent pas sur la plateforme, Amazon propose un outil de DSP, basé sur sa propre donnée, qui permet d’activer sa segmentation sur son écosystème média, comme sur d’autres médias partenaires, pour un CPC [coût par clic] moyen aux États-Unis qui dépasse rarement les 0,35 dollar selon des sources de veilles internes d’agences. Mais rien que sur ses propres plateformes, le géant offre plusieurs formats, et cela ne demande qu’à s’étoffer. Mine de rien, alors que YouTube vient d’annoncer l’arrivée de longs-métrages financés par des coupures pub, Amazon est devenu un gros acteur avec sa plateforme Prime Video, pour laquelle il a investi 4,5 milliards de dollars en 2017 sur les contenus. En outre, sa filiale Twitch a fait sauter un tabou en couplant abonnement payant et publicité. Alors, Jeff Bezos proposera-t-il un jour de la publicité entre deux épisodes, renvoyant directement vers le site e-commerce ?

 

Des audiences opaques

S’il a tous les pions pour avancer massivement, avant de devenir le roi de la pub, Amazon devra briser certaines barrières psychologiques chez les annonceurs. Notamment la transparence. «C’est un walled garden [jardin clôturé], avec des murs encore plus hauts que les autres», affirme un spécialiste de la donnée. «Les segments d’audiences sont faits de manière assez opaque», avance Hugo Loriot. Ainsi, un annonceur qui confie son brief à Amazon ne connaîtra pas le détail de la recherche. Une situation qui pourrait toutefois évoluer. «Amazon testerait avec les entreprises américaines la possibilité de les réaliser eux-mêmes», indique Hugo Loriot. Une information provenant de responsables d’agence mais non validée officiellement par Amazon. Autre point, «quand on achète de l’espace sur Amazon, la pub est hébergée chez Amazon. Normalement, on insère un lien URL qui vient chercher la publicité sur un serveur, et qui nous permet de savoir le nombre d’appel, de tracker, de suivre, de modifier la création, etc. Mais là, on leur envoie la publicité, et ensuite, on reçoit les résultats», regrette un professionnel de la pub. Et les acteurs sont obligés de croire le géant sur parole. Une pratique courante chez Facebook, et qui a amené aux scandales que l’on connaît sur la mesure d’efficacité des vidéos en 2016. Idem, «il ne faut pas oublier que 99,9% des internautes ne cliquent pas sur une publicité. Le plus intéressant, en publicité digitale, ce n’est pas de savoir qui a cliqué, mais de comprendre ceux qui n’ont pas cliqué. Avec Amazon, on n'a accès à aucune donnée!», se plaint un autre professionnel d’agence.

Mais peut-on leur reprocher de vouloir contrôler l’accès aux données ? «On a beaucoup reproché à Facebook d’avoir tout ouvert. C’est ce qui a donné les scandales que l’on connaît», rétorque Benjamin Grumbach. Ils arrivent plus tard, et donc apprennent des erreurs passées de Google et Facebook. Notamment, travailler avec des tiers adverificateurs», affirme-t-il. Integral Ad Science, par exemple est partenaire depuis 2017, avec des tags de visibilité, et des segments pré-bid de visibilité pour le display et la vidéo. Amazon est, sur ce point, plus ouvert. Mais cela se sait peu. Étant donné la suspicion généralisée sur le marché de la pub à l’heure actuelle en matière de transparence, le géant, s’il veut progresser, devra répondre activement aux questions de transparence, comme n’importe quel acteur.

«Finalement, l’important, c’est de ne pas être dépendant d’un seul levier et de diversifier les sources d’acquisition», souligne Etienne Alcouffe, dirigeant fondateur de Junto, société de conseil en acquisition, spécialisée notamment dans les Facebook Ads. Il plaide pour «l’équilibre entre les plateformes». En prenant en compte et en jugeant selon tous les paramètres: leur efficacité, leur coût, les risques à long terme, leur degré de coopération, «et si elles participent correctement à l’économie française via l’impôt», ironise un patron de PME publicitaire. Reste à pondérer tous les facteurs…

Chiffres-clés :

2,5 milliards de dollars. Chiffre d’affaires publicitaire d’Amazon au troisième trimestre 2018.

+122 %. Croissance annuelle du chiffre d’affaires publicitaire d’Amazon au troisième trimestre 2018.

4,1 % Part de marché d’Amazon sur la publicité digitale aux États-Unis en 2018 (eMarketer).

 

 

Bientôt des agences spécialisées 

La régie Amazon est en train de se staffer en France, et recrute « beaucoup de personnes » dans les agences médias. Comme chez Google, les équipes s’organisent par secteurs d’activité. En face, les « big six » des agences médias s’organisent. Par ailleurs, des agences se créent et se spécialisent sur Amazon. En Allemagne, deuxième marché pour Amazon derrière les États-Unis, l’agence Factor A, 100 % dédiée à la publicité Amazon, emploie 300 personnes, a ouvert un bureau à New-York et prévoit d’en implanter un en France prochainement. De son côté, Ecselis est aussi en train de construire une structure pour répondre à cet enjeu, mais sans se spécialiser à 100% sur Amazon. « On a à cœur de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier, donc on intègre dans notre offre e-retail des concurrents d’Amazon comme Fnac-Darty, Rue du Commerce, Carrefour ou Cdiscount », souligne Nathalie Bajeux, codirectrice d’Ecselis. Des acteurs français qui offrent, pour les annonceurs, un centre de décision plus proche qu’Amazon.

 

Faut-il y aller ?

LES POUR

• Un environnement transactionnel qui assure des bons taux de conversion en e-commerce. • Une offre large, récemment clarifiée amenée

à s’étoffer.

• Une DSP alimentée en data de segmentation précise.

• Une crédibilité et une renommée de la marque (Amazon n’a pas encore vécu de scandale dans ce domaine).

• Des coûts au CPC encore peu élevés.

 

LES CONTRE

• Encore un manque de transparence sur la data et des questions sur la compatibilité avec des systèmes tiers.

• Des outils pour le moment moins ergonomiques que ceux des principaux concurrents.

• Tous les secteurs d’activité n’ont pas le même intérêt à y aller (endémique vs non endémique).

• Manque d’accompagnement, avec un marché des agences pas encore structuré.

• Un risque de dépendance et de rapport de force inégal dans les négociations.

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